Dans un monde idéal, chaque pays disposerait de ses propres usines, d’entrepreneurs dynamiques et d’une économie prospère alimentée par la production locale. Cependant, dans la réalité de certaines économies rentières, produire localement est devenu une activité subversive, presque illégale, tandis qu’importer des biens, souvent à des prix exorbitants, est devenu un sport national, légalisé et même encouragé par un système fiscal parfaitement huilé.
Nous voici donc plongés dans une économie rentière où l’unique secteur qui connaît une croissance soutenue est celui de l’importation. Le reste, notamment la production locale, se cache dans les ombres de l’informel. Pourquoi prendre le risque d’investir dans une usine locale quand il est bien plus simple d’obtenir une licence d’importation ? Pourquoi créer de l’innovation quand on peut simplement acheter des produits finis et récolter une partie du gâteau de la rente, sans avoir à se du processus de production ? Après tout, pourquoi se donner la peine de produire quand on peut juste importer ? C’est là tout le paradoxe d’une économie qui favorise l’importation au détriment de la production locale.
L’informel : un héritage de survie
L’économie informelle ne naît pas du désir de défier les lois, mais d’un système économique qui rend l’activité formelle presque invivable. Entre une fiscalité lourde, une bureaucratie kafkaïenne et une corruption généralisée, il devient quasiment suicidaire d’entreprendre selon les règles. Plutôt que de lutter contre un système qui privilégie les rentes, de nombreux entrepreneurs choisissent la voie de l’informel, celle où ils peuvent respirer un peu. De la micro-entreprise qui opère sans licence à l’indépendant qui échappe aux cotisations sociales, l’informel devient souvent une réponse rationnelle à une économie qui, par ses lourdes, empêche de prospérer légalement.
Et puis, qui voudrait se confronter à l’enfer de la bureaucratie pour obtenir une autorisation de construire une petite usine quand, au lieu de cela, il suffit d’acheter un conteneur de produits étrangers, de le faire passer par la douane (contre quelques enveloppes bien placées), et de le revendre sur le marché local avec un joli bénéfice ?
L’importation : la vraie réussite économique
Le paradoxe réside dans le fait que, pendant que la production locale se débat dans l’informel, l’importation de biens étrangers se fait dans un cadre parfaitement formel. Les documents sont en règle, les taxes sont payées (ou en partie, soyons honnêtes), et les marges bénéficiaires, souvent bien plus élevées que celles des producteurs locaux, enrichissent ceux qui ont accès à ces circuits.
Dans ce système, l’importation devient un acte économique légitime par excellence. Vous ne construisez pas votre propre économie ? Ce n’est pas grave, tant que vous apportez des produits à des prix compétitifs pour le marché local. Vous pouvez même bénéficier de subventions publiques, tant que vous avez un bon dossier et des relations dans les cercles de pouvoir.
Cette situation fait sens dans une économie rentière : plutôt que d’investir dans des secteurs productifs à long terme, il suffit de récolter les fruits de la rente naturelle ou de l’aide étrangère, tout en profitant des gains rapides issus de la consommation des d’autres. Après tout, pourquoi se de la production quand on peut simplement importer ?
Le cercle vicieux de l’économie rentière
Le piège est que ce modèle est insoutenable à long terme. L’informel n’est qu’un symptôme d’un manque d’institutions solides et d’une transparence inexistante. L’incapacité à créer des conditions propices à l’innovation et à la production durable nous mène vers une impasse. Le modèle rentier crée une dépendance accumulée aux ressources externes, et à terme, les pays qui adoptent ce système deviennent des consommateurs passifs, dépendants des importations et des aides externes, plutôt que des producteurs actifs.
Ainsi, l’importation devient une illusion de prospérité. Les produits étrangers arrivent en masse, mais la production locale se meurt lentement, reléguée dans l’informel où elle lutte pour survivre sans accès aux financements ou aux marchés légaux. L’économie dépendante de l’importation se retrouve à la croisée des chemins : son dynamisme extérieur devient une charge intérieure, où la richesse, concentrée entre les mains d’une élite, ne profite qu’à ceux qui contrôlent la rente.
L’illusion de la prospérité
Dans ce système, on se satisfait d’une illusion de croissance. La rente – qu’elle provienne des ressources naturelles, des aides extérieures ou des importations – est perçue comme un moyen facile d’atteindre la richesse. Mais sans un secteur productif solide, ce modèle est fragile, comme un château de cartes. Un simple souffle externe, une fluctuation des prix mondiaux, et tout peut s’effondrer.
En fin de compte, l’économie rentière valorise l’importation au détriment de la production locale, un acte considéré comme hérétique, presque illégal. Dans ce système, il est plus facile de demander la permission d’importer que de produire. La prospérité apparente cachera toujours un vide profond, une économie qui se nourrit de l’extérieur tout en mourant de l’intérieur.
Un système qui s’auto-alimente… jusqu’à l’implosion
L’ironie de ce système réside dans sa capacité à se nourrir de ses propres failles. D’un côté, les grandes entreprises et les hommes d’affaires prospèrent grâce aux importations, bénéficiant de licences bien placées et de relations solides avec ceux qui détiennent les leviers du pouvoir. De l’autre, les petites entreprises locales, désireuses de produire sur place, sont soit écrasées par une concurrence déloyale, soit contraintes d’opération dans l’informel, où les risques sont omniprésents.
Tout cela se passe sous l’œil d’un État qui, bien qu’affichant un discours en faveur de la production locale, préfère se concentrer sur la collecte des taxes des importateurs que sur la mise en place de politiques industrielles favorisant l’innovation et la création de valeur à long terme. La bureaucratie, alimentée par la masse de documents à traiter, régule tout et n’importe quoi, sauf ce qui pourrait réellement transformer le paysage : les obstacles à la production locale.
Les lois et règlements sont conçus pour permettre aux grands importateurs de jouer selon les règles du jeu, tandis que les petites entreprises locales n’ont d’autre choix que de se contenter de l’informel, sans accès aux financements, aux subventions ou même à une quelconque reconnaissance légale.
La solution : changer les règles du jeu
Que faire pour sortir de ce cercle vicieux ? La réponse semble évidente mais reste largement ignorée : repenser les règles du jeu. Au lieu de favoriser un système qui privilégie l’importation au détriment de la production locale, il devrait réorienter les politiques économiques vers la création d’incitations pour les producteurs locaux. Il est impératif de réduire la bureaucratie étouffante et de faciliter la tâche des petites entreprises pour leur permettre de respirer, de se développer et de prospérer.
Les gouvernements doivent repenser leur définition de la « réussite économique ». Il ne s’agit pas seulement de favoriser une petite élite d’importateurs, mais de créer un environnement propice à la croissance des petites et moyennes entreprises locales, d’encourager l’entrepreneuriat et de réinvestir les rentes générées dans des secteurs productifs.
La dernière chance avant l’inévitable
Tant que la rente continue de dominer la production, le piège de l’économie rentière reste ouvert. Cette logique qui nourrit une illusion de prospérité est en réalité une voie sans problème. Les pays qui reposent sur l’importation finissent par s’épuiser, et leur dépendance croissante à l’extérieur devient un fardeau.
Le véritable défi réside dans la réinvention du modèle économique, dans un retour à une véritable production locale, qui ne soit plus marginalisée. Une transformation profonde est nécessaire pour qu’une économie rentière se réoriente vers un système résilient, fondé sur la création de valeur et l’innovation. Si cette réorientation n’a pas lieu, l’effondrement de ce modèle ne sera qu’une question de temps.
Dr A Boumezrag