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Que le jour se lève, la nuit n’a que trop duré…

ANALYSE

Que le jour se lève, la nuit n’a que trop duré…

Marche du 20 septembre à Alger. Crédit photo : Zinedine Zebar.

Le temps est le seul capital des gens qui n’ont que leur intelligence pour fortune. (Honoré de Balzac)

Le titre de cet article m’a été inspiré par un jeune manifestant rencontré au milieu de la foule des manifestants du rituel du vendredi. C’est un habitué des marches depuis le 22 février. Il m’expliqua que ce jour était devenu sa deuxième date de naissance. J’ai souri, il me regarda et me dit, c’est ce que je ressens vraiment. Je l’ai cru car j’ai compris que les mots exprimant un sentiment profond, étaient plus parlant que les mots ronflants des esprits formatés.

Ayant revu ce jeune à plusieurs reprises à son poste de marcheur du vendredi, j’ai compris l’importance politique et l’espérance attendue du Hirak de la part des victimes d’une politique qui a fait d’eux des ziwalis (pauvres). Ce mouvement populaire qui a enclenché un processus révolutionnaire (et non un simple mouvement social comme le définissent des sociologues impénitents) a en effet donné un visage à des gens qui ne veulent plus être à côté de la vie. Nous ne sommes pas nés sous une belle étoile mais aujourd’hui me dit-il, rien ne nous arrêtera, ni la fatigue ni la lassitude. Il avait non les certitudes de la foi du charbonnier mais celle de la raison comme le prouve sa réponse à une de mes questions : ‘’nous avons (le peuple) le temps de la patience et eux le contrôle de l’espace’’. 

Un mois plus tard, loin très loin de cette ville d’Algérie, j’appris que l’entrée dans l’espace de la ville d’Alger fut interdite aux habitants des autres wilayates. Une décision qui s’ajoutait à d’autres qui ne détournaient pas pour autant les manifestants de leur rendez-vous programmé du vendredi.

Cette interdiction d’entrer dans la capitale m’a alors fait penser à ‘’mon’’ jeune marcheur. A l’évidence sa conscience politique s’est aiguisée auprès du mouvement populaire. Il commentait les événements actuels du pays avec une certaine pertinence. Ça m’avait changé des fades spéculations sur les rapports de force politiques qui étaient évalués en termes militaro-policier (1).

Les cerveaux d’une certaine ‘’élite’’ n’arrivent pas à intégrer le rôle déterminant des facteurs politiques dans les grandes batailles, surtout de portée historique. Et c’est au nom de cette vision appauvrie du politique que l’on veut forcer la main à un peuple pour lui faire peur, pour qu’il abandonne sa lutte, pour l’enfermer dans un schéma où l’adversaire détient toutes les cartes du jeu en main.

Les batailles, depuis la mise au pilori du 5e mandat et les reports successifs de l’élection présidentielle, ont été possibles grâce à la stratégie du Hirak (marches hebdomadaires du vendredi et lutte pacifique (silmya). Stratégie qui a montré sa valeur car elle collait à la fois au sentiment pacifique de la société (épuisée par tant de violence) et à l’intelligence de notre époque.

Et cette intelligence a été appliquée par les Palestiniens (qui ont fait école), qui chaque vendredi, manifestent à la frontière de leur pays d’où ils ont été chassés. Ils ont inauguré et débuté cette lutte en mai 2017 à l’occasion du 70e anniversaire de la Nakba (catastrophe), perte de leur pays. Ce rituel hebdomadaire a été repris en France par les Gilets Jaunes suivis par les Algériens et… les Chinois de Hong Kong.

Pourquoi cette stratégie ? Parce que les peuples ne peuvent affronter avec des armes leur Etat pour de multiples raisons. Alors, ils ‘’profitent’’ de la mondialisation qui fait circuler les mots et les images en direct sur tous les smartphones et les télés du monde. Mais au-delà de ce facteur visible de la mondialisation, les peuples renouent avec les luttes qui s’inscrivent dans le temps long, une stratégie théorisée par le père de l’art de la guerre, le vieux sage de l’antique Chine, Sun Tzu… La ‘’Modernité agitée’’ du monde virtuel courent derrière le temps, alors que les peuples ont toujours l’âge de leur temps, d’où leur non-besoin de s’agiter.

Entre les tribus de la ‘’Modernité’’ et les peuples, la victoire est du côté de celui qui  fait alliance avec le TEMPS.

Mais revenons à ces esprits chagrins ou mal intentionnés qui trouvent à critiquer, à condamner même ‘’l’incapacité’’ du mouvement du Hirak à faire émerger des représentants. Mais c’est précisément cette ‘’absence’’ qui a fait sa force et a permis sa durée dans le temps en ne tombant pas dans les traquenards qu’on lui tendait. Le beau monde, habitué à la traditionnelle et routinière vie politique a été désarçonné par ce ‘’vide’’ de la représentation.

Un adversaire non identifié ne peut répondre aux sirènes de ces biens pensants, pas plus qu’il ne veut subir le bâton détenu par celui qui lui fait face. On l’a vu avec l’exemple de Gilets Jaunes en France où la classe politique et médiatique poussait des cris d’orfraie contre ces atypiques et intraitables acteurs politiques des gilets jaunes qui refusaient de jouer dans leur cirque médiatique.

Si le 22 février a d’abord surpris chez nous et ensuite séduit le monde, il le doit à ses étonnantes capacités de mobilisation dans un temps long, à son toilettage idéologique des discours dominants médiocres et clivants parce que se nourrissant aux bouis-bouis des vieilles lunes, celles du chauvinisme nationaliste, du régionalisme ethnique et du religieux devenu une affaire juteuse pour accéder à un statut social. Les effets de ce volcan politique ont initié un processus révolutionnaire n’en déplaise aux frileux et adeptes des idéologies conservatrices.

Et ce processus révolutionnaire permet aux militants de faire chaque vendredi une analyse de la situation à travers les banderoles et les mots d’ordre des manifestants. Des mots d’ordres qui respirent une certaine poésie et cerise sur le gâteau, utilisent des notions politiques plus rigoureuses… ça fait du bien de ne plus subir uniquement la pauvreté des habituelles litanies des discours politiques.

Ali Akika

Note

(1) Cette ignorance de l’essence du politique est hélas partagée par beaucoup de monde. Ainsi, les spectateurs d’une télé française ont pu entendre un célèbre publicitaire de Paris fier de sa ‘’géniale’’ solution pour résoudre le problème de la violence dans les manifs des Gilets Jaunes : ‘’comment ça se fait, avait-il dit en s’étranglant, que la France 4e puissance militaire du monde ne puisse pas mettre aux pas un millier de casseurs’’. Ce monsieur, certainement un nostalgique suggérait de lâcher les paras sur Paris, contre son peuple comme hier contre un autre peuple dans la bataille d’Alger. Pitoyable !

 

Auteur
Ali Akika. cinéaste

 




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