Le Hirak/Tanekra a-t-il échoué ? Non! La dictature a-t-elle gagné ? Non, non plus ! Ni l’un ni l’autre n’a remporté la bataille finale, jusqu’à présent. Mais est-ce qu’il y a un perdant ? Oui : le peuple.
Tout le problème se pose, en effet, au niveau de la structuration de la société. Le pays, bien que mobilisé pendant plus de deux ans, pour l’avènement du changement, semble être vide, quant à sa société civile. Ni syndicats ni associations ni comités de quartier ni rien du tout sur le terrain.
Le peuple veut le changement sans structures, sans représentation, sans leadership, sans élites. Celles-ci semblent gagnées par le phénomène de la rente. Elles courent derrière les privilèges, tout en oubliant leur rôle premier d’éclaireuses. Divisées, affaiblies, achetées, elles tournent le dos au peuple grâce à qui elles sont pourtant là, à régner, à décider, à tirer profit du grand gâteau.
L’Etat profond y trouve une occasion en or, pour revenir par la petite porte et instaurer, avec l’aval bien sûr de certaines puissances étrangères, une stratégie de tout-sécuritaire, basée sur, à la fois le spectre du péril islamiste et le gros problème de l’émigration clandestine. La catégorisation des deux mouvements Rachad et Mak dans « le club terroriste » entre dans cette dynamique. C’est-à-dire, transférer la peur dans l’autre camp, en semant la suspicion partout, afin d’asphyxier les forces citoyennes qui travaillent de l’intérieur.
En même temps, cela fera oublier, en quelque sorte, aux autre meneurs de la bataille démocratique l’idéal du changement, en se contentant de sauver leur têtes de la machine de la répression qui s’installe, paraît-il, dans la durée. Comme, il donnera l’illusion au peuple que les ennemis, ses ennemis, sont dans le Hirak lui-même, et non pas ailleurs.
Ce qui attirera une grande partie du peuple à sa cause, la cause du système bien entendu. En termes plus terre-à-terre, le Hirak a renforcé le système, au lieu de l’affaiblir, en lui donnant l’alibi pour réprimer.
Car, face au manque de représentativité citoyenne dans ce mouvement de masse « hétéroclite », la peur du chaos, du reste, légitimée par le contexte régional instable, donne au système le bénéfice du doute, quant à la bonne foi d’une importante partie de la rue.
L’armée, en tant que seule force organisée dans le pays, est indirectement invitée à prendre publiquement les commandes, après l’avoir fait déjà et pendant longtemps dans les coulisses. En gros, c’est à une phase de restauration de la dictature qu’on assiste, avec en guise de mode opératoire, le démantèlement systématique des structures partisanes encore en résistance, à l’exemple des partis du MDS, RCD, PT, et à un certain degré la base militante du FFS, dont la présidence actuelle est pourtant en normalisation active avec le système.
Néanmoins, l’espoir est permis, car même si le Hirak démocratique est en faiblesse, le Hirak social risque d’enflammer la scène d’ici quelques mois. La crise économique qui se profile à l’horizon n’a pour conséquences que l’ébullition du front social, qui affronte déjà les pénuries, les spéculations sur les denrées alimentaires de base et la cherté de la vie dans l’indifférence générale.
C’est pourquoi, il est permis de dire que le Grand Soir, typique des révolutions marxistes, peut faire pencher la balance en faveur du peuple, en joignant les revendications démocratiques avec celles d’ordre plutôt social. Wait and see!
Kamal Guerroua