Dimanche 15 juillet 2018
Quel bréviaire pour les réformes économiques ?
En dépit des discours sur la diversification économique, la rente pétrolière demeure la colonne vertébrale de l’économie nationale.
Le contexte de la crise des finances publiques, qui semble s’inscrire dans la durée, malgré le bond du baril enregistré au cours du premier semestre de 2018, d’une part, et les lourdes contingences de l’économie mondiale, gagnée par une mondialisation problématique et fort inégalitaire, d’autre part, font apparaître des défis nouveaux que l’Algérie est tenu de relever, aussi bien sur le plan purement économique que sur les plans politique, institutionnel, social et culturel.
Autrement dit, le passif des fameuses « réformes »-qui ont pris les contours de l’Arlésienne, dont on a parlé pendant plus de vingt ans sans en avoir vu la silhouette-, risque de rebondir avec plus de force et moins d’indulgence s’il n’arrive pas à être pris en charge dans sa globalité et dans l’enchaînement solidaire des segments qui le forment.
Le concept de réforme, tel qu’il a été utilisé au début des années 1980 par exemple, se limitait à la restructuration du secteur public hérité de l’ère Boumediene; ce que d’aucuns, à l’époque déjà, n’hésitèrent pas à qualifier de politique de « déboumédienisation ». Ce fut le morcellement- sous couvert de « filialisation »- du patrimoine public industriel. Des méga-entités se transformèrent en unités plus modestes, jugées comme étant plus gérables. Quelque temps après, on passera à ce qui fut appelé l’autonomie des entreprises publiques, avec un statut inspiré du code de commerce en vigueur dans les économies occidentales (conseil d’administration, assemblée générale ordinaire, comité de participation, conventions collectives, dépôt de bilan, liquidation judiciaire,…). La seule différence est que l’actionnaire unique étant l’État.
Pendant les événements d’octobre 1988, le 10 du mois exactement, le président Chadli crut pouvoir, à travers son discours en larmes à la télévision, se sortir de l’impasse générale (politique, économique et sociale) dans laquelle il s’était englué, par le seul fait d’annoncer des « réformes profondes ». Quatre mois après, nous eûmes droit à la Constitution de février 1989 qui prononcera les deux termes « tabous »: pluralisme politique et libération du champ économique au profit de l’initiative privée. L’on se souvient que, pendant la période immédiatement post-octobre 88, le mot « réforme » était entendu surtout comme le recul de l’Etat des activités économiques, laissant aux institutions publiques le seul devoir de régulation.
Résistance et inhibition
Cependant, toute la « littérature » débitée à ce sujet n’avait pas nécessairement pris en compte les facteurs d’inhibition et de résistance qui ont fait que la marche des réformes ne pouvait être ni fluide ni rectiligne. Dans une espèce de linkage bien réussi, l’économie rentière sustentait un équilibre politique – sous la coupe du parti unique- fait de clientèles bien fidèles. Face à tous les remous d’une opposition clandestine balbutiante, un corps solidaire se dressait au nom d’une symbolique usée jusqu’à la corde, à savoir la légitimité historique. Le paradoxe était que le nombre de moudjahidine augmentait au lieu, comme le veut les lois de la biologie, de diminuer.
La Constitution de février 1989 a consacré le droit à la propriété privée et la liberté d’entreprendre. Au moment où l’Algérie devait entreprendre les premières réformes, le pays sera confronté à la subversion terroriste. Et c’est au début de cette longue chute aux enfers que notre pays négocia avec du Fonds monétaire international, pieds et poings liés, le rééchelonnement de sa dette extérieure, forte alors de plus de 26 milliards de dollars. Car, en 1994, le pays, en ne payant que les services de la dette, voyait plus de 90 % de ses recettes en hydrocarbures s’évaporer. La suite, qui ne sera évitée que par le recours au FMI, aurait pu être la cessation de payement, et tous les risques et conséquences qui vont avec.
Au début des années 2000, les sommets atteints par le prix du baril de pétrole et, par conséquent, par les recettes extérieures du pays, ont permis au gouvernement de lancer de vastes programmes de développement (plans quinquennaux, programme Hauts Plateaux, programme spécial Sud,…), basés sur la réhabilitation et la modernisation des infrastructures publiques (routes, barrages hydrauliques, chemins de fer, école, universités, hôpitaux…). En l’espace de quatorze ans, quelque 800 milliards de dollars ont été consommés par ces programmes sans que la typologie de l’économie nationale n’ait évolué d’un iota. Autrement dit, les recettes extérieures du pays dépendent toujours à 96 % des hydrocarbures, et le budget de l’Etat est formé à près de 60 % par la fiscalité pétrolière.
Pendant toute cette période, le terme de réforme a été dilué dans un galimatias qui tentait de justifier le surplace et l’inhibition rentière. Aucune initiative de taille n’a été lancée en direction de l’entreprise algérienne, publique ou privée, pour l’encourager à s’impliquer dans l’investissement productif. Les travaux, études et fournitures- ce qu’on appelle la commande publique- lancés par l’Etat et ses démembrements dans le cadre des marchés publics liés aux plans de développement, ont plutôt enrichi les entreprises étrangères, avec la qualité des travaux et des études qui ne sont pas toujours au-dessus de tout soupçon.
La seule réforme qui vaille….
Avec un tel passif, l’Algérie aborde, depuis la fin 2014, une nouvelle ère, celle de l’amenuisement des recettes pétrolières dues aux aléas du marché mondiale des hydrocarbures. Le gouvernement fait parler encore le vieux bréviaire pour ânonner le terme de « réformes ». Quel peut être le contenu de ce concept dans un contexte aussi tendu et aussi confus? Le nouveau « modèle » de croissance économique de Sellal semble être jeté aux oubliettes, comme d’ailleurs son auteur? En lieu et place, on constate plutôt une « monétisation » des solutions transitoires proposées aux Algériens, consistant principalement en une sur-taxation de plusieurs produits et services et en financement non conventionnel (planche à billet).
Autrement dit, la solution optimale, l’unique, en fait, que la logique économique admet, à savoir l’investissement productif via des entreprises algériennes (privées et publiques) et étrangères (IDE), n’est pas encore tout à fait à l’ordre du jour, même si des balbutiements se font sentir ça et là de façon désordonnée.
En d’autres termes, la seule réforme qui vaille est celle tendue vers la neutralisation de la gestion et de l’esprit rentiers. Le reste en découlera, y compris la nécessité d’aller vers une école et une université modernes, ouvertes sur le marché du travail.
Dans le tâtonnement actuel, les citoyens et les ménages n’ont reçu et ressenti que les effets d’une austérité mal partagée, avec son lot d’inflation, de chômage, de baisse de revenus, de recul de certains acquis sociaux ; une austérité, en outre, qui ne garantit nullement la réussite des efforts pour l’établissement d’une économie diversifiée, délestée de sa dépendance vis-à-vis des hydrocarbures.
Avec la machine grippée des investissements productifs, on a presque oublié qu’un nouveau code des investissements a été adopté par le gouvernement en 2016,, c’est-à-dire presque deux ans après le début de la crise des revenus pétroliers, texte par lequel le gouvernement entend améliorer les climat des affaire, faciliter l’acte d’investir et susciter de l’attractivité pour les territoires.