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Radios locales : le parent pauvre de la modernité communicationnelle

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Radios locales : le parent pauvre de la modernité communicationnelle

Le paysage audiovisuel algérien ne se limite pas aux chaînes TV publiques et à ce qui, actuellement, fait la bouillante actualité des chaînes privées « offshore » (une cinquantaine de chaînes que le gouvernement dit vouloir « assainir). Dans ce tableau de la communication moderne figurent également plus de 50 stations radio. Une réalité peu décrite, rarement mise en relief, aussi bien par les pouvoirs publics, qui ont installé ces radios, que par ceux qui ne leur trouvent pas une efficacité particulière, les jugeant souvent de « stériles structures budgétivores ». En résumé, le débat et les controverses qui ont lieu au sujet de l’audiovisuel algérien ont amputé ce terme de sa première syllabe (audio), pour ne braquer les regards que sur le « visuel », à avoir les chaînes de télévision.

Lorsqu’il en parlait, par la voix de son ancien ministre de la Communication, Hamid Grine, le gouvernement exprimait presque toujours la sempiternelle question des zones de silence, dans les wilayas du Sud et des Hauts Plateaux, ainsi que des phénomènes d’interférences de fréquences qui parasitent certaines stations côtières (proximité avec les îles Baléares et de la côte Est espagnole). Autrement dit, sur cette demi-centaine de chaînes, payées par le contribuable algérien, il est très peu fait cas du contenu et de la qualité des programmes.

La réalité la plus prosaïque est que, toutes les chaînes de radio algériennes sont publiques, hormis quelques rares stations diffusées exclusivement sur internet. La question se pose déjà à ce niveau-là, de savoir pourquoi le privé n’a pas investi dans la communication radio. Le marché lui-même a-t-il été étudié ? A-t-on fermé les portes à l’intérêt que porte le public à ce vieux moyen de communication, transmis aujourd’hui, non seulement par les classiques ondes hertziennes et les bandes FM, mais également par toutes les technologies modernes (antennes paraboliques fonctionnant au satellites, internet, téléphones portables)?

Depuis qu’elles ont été lancées progressivement à partir du début du nouveau siècle, les radios régionales ont assurément apporté une touche à la construction du paysage informationnel national. Elles ont contribué à installer une culture de la communication de proximité, avec, néanmoins, les limites que le système politique algérien a fait valoir dans ce domaine, comme dans les autres domaines de la communication.

La proximité contre l’ogre de l’hypercentralisation

Avec les radios de wilaya, les Algériens découvrent que l’on peut mettre à portée des citoyens et, également, vulgariser, des questions ou des débats techniques, liés à la santé, à l’éducation, à l’environnement, au cadre de vie, à l’école,…etc. En même temps, sur beaucoup de ces questions, ils restent souvent sur leur faim, au vu des limites tracées à ces organes publics en matière de liberté d’expression. Pire, on a même eu affaire à des radios régionales qui « sacralisent » le wali, lui font dans l’excès d’éloges et relativisent l’intervention de la société civile et des populations.

La notion de proximité est d’abord battue en brèche par la manière (le « logo sonore ») avec lequel la radio locale décline son identité. Au lieu de l’appeler directement par le nom de la wilaya où elle est installée et où elle exerce, le présentateur la présente en ces termes: « Radio d’Algérie de…. » (suit le nom de la wilaya). Cette attache n’est pas fortuite. Elle matérialise une dépendance administrative qui relie la radio régionale à la direction générale d’Alger; mais, elle illustre surtout la centralisation excessive de toutes les institutions du pays qui relativise grandement la volonté d’admettre et de consacrer l’autonomie des acteurs locaux et de faire valoir une véritable information de proximité, laquelle est censée participer à la construction de la bonne gouvernance locale.

La notion « floutée » du service public

Est-il normal que des barricades et des fermetures de mairies soient rapportées par les journaux privés, installés à Alger, et qu’elles soient zappées par des stations de radio qui reçoivent, dans leurs studios même, la fumée des pneus qui brûlent à partir des barricades et les cris des protestataires qui fusent au pied des bâtiments? La crédibilité de ces moyens de communication, payés par la collectivité nationale, ne peut pas se construire sur la base de l’information officielle, telle qu’elle est décidée par les pouvoirs publics. L’idéal sera de parvenir un jour à « se familiariser » avec l’idée qu’une radio publique, comme d’ailleurs une télévision publique, ne signifie pas une radio ou une télévision du gouvernement, tout en déplorant le fait qu’il n’y ait pas encore de radios privées qui assureraient, à leur tour, une partie de la communication de proximité et le service public y afférent.

C’est là une culture politique qui mettra du temps pour s’installer; le temps qu’il faudra au mouvement de la décentralisation institutionnelle de s’opérer de façon avancée. Mais, malgré ces retards politiques, et d’autres faiblesses dues au manque de formation du personnel affecté à certaines stations, des stations de radios régionales se sont distinguées par un début honorable dans la communication de proximité, non seulement dans le volet de l’information factuelle, liée aux événements locaux, mais également dans l’animation culturelle et les débats de société.

Des informations locales, fraîchement rapportées aux premières heures de la journée, commencent à situer le citoyen dans son environnement le plus immédiat, afin de l’aider à bien préparer le plan de sa journée et à prévenir certains difficultés de la route, du transport public ou d’un autre service public frappé par exemple par une grève (polyclinique, caisse d’assurance, taxi ou fourgons,…). Sur certaines antennes, on a même droit actuellement à la mercuriale des prix des fruits et légumes des marchés de quartier.

Les Amrouche et la chaîne II comme précurseurs

Les questions relevant de la vie quotidienne des populations (voies de desserte, transport et distribution de bouteilles de gaz, coupures d’eau potable, intempéries,…) ont véritablement besoin d’être prises en charge par ce média populaire, que l’on retrouve partout, de la cuisine jusqu’à la voiture, en passant part le téléphone portable, le satellite et le web; comme devront être en charge toutes les autres question liées à la culture, aux sciences et aux débats de société. Sur ce chapitre, l’histoire de la richesse particulière de la radio chaîne II, pourtant publique, est là pour témoigner d’une histoire exaltante, faite de « combattants » des ondes qui- à l’image des Ben Mohamed, Hadjira Oulbachir, Ahmed Oumaziz, Boukhalfa Bacha, Si Smaïl, Belkacem, Abdelkader, Khadija Chikhi et de dizaines d’autres- ont laissé des marques indélébiles dans l’institution radiophonique et formé et influencé un public kabylophone très large, malgré les limites physiques de transmission imposées par le parti unique d’alors à l’antenne de la chaîne 2 et les horaires très réduits par rapport aux deux autres chaînes.

Jean Amrouche et sa sœur Taos avaient déjà ouvert le chemin de la communication radio, en français et en kabyle sur les ondes de l’ex-ORTF, avec cette vocation que le premier a forgée dans l’expression littéraire (des émissions qui sont les ancêtres d’ « Apostrophes » et de Bouillon de culture »), et la seconde dans les questions culturelles et de la lutte pour les droits de la femme.

Le débat sur les questions relatives au rôle de la communication dans la société et dans les institutions du pays en général, et à la place qui devrait y revenir à la radio, en particulier, ne saurait sans doute avoir lieu sans le retour à ce qui fonde l’idée même de l’information : choix et technique de l’élaboration du contenu, ciblage du public et instauration d’une éthique, où seraient combinées pédagogie, déontologie et pertinence. Ainsi, les efforts de réhabilitation de la communication radiophonique, l’extension du réseau des radios régionales et surtout une éventuelle ouverture du domaine sur le secteur privé, donneront, à n’en pas douter, une place nouvelle, et même enviable, à ce précieux outil dans la sphère de la communication en général et, plus spécifiquement, dans l’univers des médias audiovisuels de plus en plus complexe et envahissant.

 

Auteur
Amar Naït Messaoud

 




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