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Ramadhan 2020 : il fera date !

REGARD

Ramadhan 2020 : il fera date !

Les Algériens qui font face stoïquement à un brutal mais néanmoins inévitable changement de leurs habitudes, seront appelés ce vendredi à consentir un autre sacrifice lié à l’obligation du ramadhan.

Période de jeûne propice aux rituels religieux,  regroupements familiaux et déplacements pour l’acquisition de produits de consommation. Tout cela dans un décor d’une implacable réalité liée à la pandémie causée par le Covid-19, dont l’expansion n’en finit pas ! Il faut dire que les mesures barrières imposées pour en limiter la contagion connaissent un relâchement ces jours-ci au point où certains évoquent déjà et prématurément un (im)probable déconfinement à partir du 29 avril ; les experts scientifiques sont réservés sur la question, pour ne pas dire s’y opposent, redoutant une nouvelle vague massive de contagion du fait d’importantes concentration de foules dans les lieux publics, marchés et grandes surfaces !  

Confinement, déconfinement, toutes les mesures sont réversibles même si, à voir l’insouciance des uns , on peut dire qu’elle n’a pas de limite, tout comme d’ailleurs leur témérité ; ils en sont  à espérer un changement d’horaires pendant le ramadhan, à savoir : couvre-feu  pendant la journée et libre circulation après le ftour jusqu’à la prière du fadjr ! L’incongruité de cette « proposition » n’a pas amené bien sûr ses auteurs à s’interroger sur sa faisabilité et ses conséquences  sur le bon fonctionnement des institutions du pays.

Ce ramadhan comme on l’a affirmé supra, fera date ! 

Avec aussi cette  polémique lancée (malgré lui ?) par Noureddine Boukrouh sur sa page facebook où il a écrit ceci « si les infidèles ( les adeptes des quatre autres civilisations ne règlent pas son compte au Covid-19 d’ici le ramadhan, le vieux savoir religieux invariable en tout temps et tout lieu sera confronté à un sérieux embarras ; consentir à la suspension du jeûne cette année, car un gosier sec favorise l’implantation du virus, ou la refuser et braver le risque d’une plus large contamination des musulmans et des non musulmans qui vivent ensemble presque partout. Qu’est-ce qui doit primer, s’est-il interrogé, la vie d’un nombre indéterminé d’êtres humains ou une prescription religieuse ? » 

Il y a ceux qui ont salué l’audace du polémiste et ceux plus nombreux qui l’ont blâmé de s’être institué en mufti du monde musulman. Lui s’en défend, affirmant s’appuyer sur un communiqué d’El Azhar faisant état de l’examen par ses instances de possibles incidences du Covid-19 sur le jeûne. Depuis, le ministre des affaires religieuses et des wakfs a clos le débat en présidant le conseil de la fetwa, pour affirmer en présence du professeur Fourar, porte-parole du conseil scientifique chargé du suivi de l’évolution du Covid-19 qu’ « il n’existe pas de lien entre le jeûne et le virus ; au contraire, le jeûne permet de renforcer le système immunitaire ».

Ce mois de jeûne fera également date par l’extraordinaire mouvement de solidarité qu’il a suscité des algériens pour faire face à la crise sanitaire : 250 milliards cts et 1 million de dollars ont été versés au fond de solidarité de lutte contre le Covid-19 par les algériens d’ici et de l’étranger ! 

Ces mêmes algériens qu’on avait pris l’habitude de traiter, à l’orée de chaque ramadhan, de « tube digestif » ont muri. Le Hirak aidant, ils ont pris des résolutions  pendant ce ramadhan où la machine à tricher fonctionne à plein tube. Conscients que c’est le silence qui mène les agneaux à l’abattoir, ils ont décidé de prendre leur destin alimentaire en mains en s’interrogeant devant chaque produit qu’ils seraient amenés à acheter : de quoi c’est fait ? D’où ça vient ? Ce n’est pas de la contrefaçon, au moins ? Comment cela a-t-il été produit ? Peut-on le conserver ? Les enfants y ont-ils droit? 

 Le ramadhan, fait ressortir, bon an mal an, faut-il le dire, la «frénésie des achats» qu’un expert attribue à des facteurs psychologiques incitant des jeûneurs à imiter leurs congénères de façon irréfléchie, indépendamment de leurs moyens. Beaucoup de familles algériennes s’y résignent, par manque de foi, peut-être, ou de civisme, probablement, considérant les dépenses faites pendant le ramadhan comme «incompressibles».

En attendant, il faut approvisionner la population en denrées alimentaires et en quantités et surtout contenir la courbe de l’inflation qui, force est de l’admettre ou pour le moins de le supposer, repartira à la hausse avec les incontournables pratiques spéculatives qui accompagnent le ramadhan. A moins de surveiller de très près la mercuriale, ou de prendre en compte «la proposition consistant à autoriser les agriculteurs à ouvrir des points de vente, à l’occasion de ce mois, pour écouler directement leur production» pour lutter contre la  hausse des prix » ! 

Certes, les pouvoirs publics sont les garants de la réglementation du commerce et de la législation alimentaire, mais les administrations censées les contrôler sont dépecées ou désabusées, en tous les cas, peu dotées en moyens pour mener correctement leurs missions. Et les 9000 contrôleurs (assermentés ?) ne pourront pas faire grand-chose dans le pays où la triche a été élevée au rang de sport national !

La preuve, la contrefaçon prend des proportions dramatiques en Algérie : les chauffages de gaz naturel contrefaits font plus de 100 morts/an dans notre pays ! 

Les pouvoirs publics conscients du danger, sollicitent l’aide des consommateurs mais s’avouent impuissants face aux barons de l’informel et de la surfacturation. Le danger nous vient des frontières disent-ils, manière pour eux de botter en touche !

Le ministre du Commerce qui se tracasse pour assurer aux algériens un menu de ramadhan à bas prix, s’était voulu rassurant à l’occasion d’une visite au marché de gros des fruits et légumes des Eucalyptus (Alger). Il avait indiqué que « les producteurs s’étaient engagés à céder leurs marchandises à des prix raisonnables ». Mais après son départ, les producteurs ont « réajusté » les prix qu’ils avaient affichés précédemment comme dans une mise en scène.

A croire que la machine à tricher s’est mise en branle juste pour narguer  ce « candide » représentant officiel du gouvernement, en l’occurrence Kamel Rezig. Il y a aussi cette décision précipitée d’interdire l’apport de la viande étrangère sous le faux prétexte que dans ce domaine l’autosuffisance crève les yeux. Notre ministre du Commerce sait parfaitement que malgré l’importation de la viande, le prix de nos bœufs et de nos moutons n’a jamais cessé de grimper.

On vous l’a dit, ce ramadhan fera date

On parle de 350 marchés de proximité et d’un escadron de contrôleurs ! On feint d’ignorer la loi naturelle  du marché, celle de l’offre et de la demande et aussi la loi qui libère les prix des produits non subventionnés qui sont fixés en dehors de toute intervention des pouvoirs publics.

     Le président de l’Association de protection et d’orientation du consommateur et de son environnement a déclaré que les marchés dits parisiens constituent l’une des alternatives de régulation des prix et de protection du pouvoir d’achat des citoyens, C’est dans ce cadre qu’il a informé les journalistes présents au Forum d’El Moudjahid de la décision de la mise en place dans les nouvelles cités et des quartiers spacieux des villes, des marchés déplaçables faits de parasols et de tables au nombre de 600 dont 60 sites dans la capitale, afin de lutter contre la hausse des prix par la multiplication de l’offre.  

Mais pour le cas de l’application du prix révérenciel, imposé aux commerçants, il se montre sceptique quand un journaliste lui rappelle que le commerçant traditionnel de fruits et légumes et même de viandes fraîches ne peut s’aligner aux tarifs des commerçants nouvellement installés aux « marchés parisiens ». 

Comme les ministres qui l’ont précédé, Kamel Rezig sait que le ramadhan  2020 ne sera pas, une fois encore, « le mois de la retenue » et que «les mesurettes» qu’il propose ne feront pas plier les spéculateurs qui sont aux manettes de la machine à tricher ; ils ne vont pas se priver d’imposer leur diktat en l’absence de l’obligation de la « traçabilité » de leurs produits  ou de la « facturation » ou plus encore de devoir régler par « chèque » leurs transactions !

Et pourtant, le gouvernement a d’autres choix pour alléger le budget alimentaire des ménages pendant et après le ramadhan, comme par exemple :

  1. augmenter la disponibilité des produits correspondants à la demande

  2. relever les revenus des ménages !

  3. autoriser l’ouverture des «marchés de solidarité» où non seulement les consommateurs aux petites bourses y trouveront leur compte, mais aussi les «acquéreurs» de camionnettes «DFSK» pourraient s’y employer et dans le même temps rembourser leurs crédits , en ces temps où la fracture sociale va croissant !

     Parler de fracture sociale, c’est aussi évoquer tous ces pauvres qui vont se bousculer aux portes des APC pour prendre le chèque des 10 000 da promis par le gouvernement ; lorsqu’on a vu les cohues provoquées par les distributions de semoule, on ne peut que redouter  cette remise de chèque sachant la désorganisation des services communaux à chaque événement de ce type.  

Quant à leur dignité, ce n’est pas le souci des responsables qui faut-il le dire, n’ont n’en cure !

La preuve, un maire n’a eu aucun scrupule à délivrer à un citoyen nécessiteux « un certificat de pauvreté ». Et l’inquiétude ira croissant quand on voit le nombre ahurissant de personnes qui n’appliquent guère en ces  circonstances les gestes barrières requis !

On ne peut pas parler de ramadhan sans dire un mot des inévitables «fataras» ou comme on les appelle, communément, les «mangeurs» du ramadhan. A coup sûr, ils ne vont pas manquer de se manifester et l’ire de «l’establishment» religieux sera en rapport ; et dans la foulée, ne manqueront certainement pas de s’exprimer :

  • Le président de l’Association des Oulémas musulmans, qui parlera de provocation et demandera à l’Etat d’intervenir pour éviter la «fitna» et protéger les jeûneurs.

  • Le président du Haut Conseil Islamique qui, lancera du haut de sa tribune «un appel pour faire respecter la constitution qui fait de l’islam la religion de l’Etat».

  • Les quotidiens arabophones et à leur tête «Echourouk» feront de ces actes isolés leurs choux gras ; ils ne manqueront pas d’évoquer les dispositions de l’article 144 bis 2 du code pénal qui punit de 3 à 5 ans de prison et d’une amende de 50.000 à 100.000 dinars quiconque commet un tel délit.

En face, «les non jeûneurs», provocateurs à souhait, iront jusqu’à évoquer «leur liberté de conscience», et refuseront d’être considérés comme des tricheurs ; ils pousseront même le «bouchon» en appelant au rassemblement de leurs «ouailles» en ces temps de confinement, ce qui va encore exacerber la tension !

Le ministre des Affaires religieuses et des Waqfs sera forcé de jouer l’apaisement tout en qualifiant les actes des non jeûneurs de «provocation». Alors qu’il a mieux à faire, comme par exemple remplacer tout imam, en préretraite, par un jeune trentenaire, docteur en sciences théologiques, plein d’alacrité, maniant sans peine la tablette électronique et débattant avec ses pairs par visio-conférence.

Le ramadhan 2020 fera date enfin, parce qu’il survient au moment ou  les prix du pétrole poursuivent leur baisse enclenchée depuis des semaines, malgré la conclusion de l’accord de l’OPEP+ tablant sur une réduction de 9,7 millions de barils par jour.

Pour l’Algérie dont la survie dépend à 98% des hydrocarbures, la situation  est dramatique, à moins d’un miracle. 

Si le couteau a touché l’os, autant avoir le courage et la franchise de demander à la population de renouer pour toute alimentation à quelques dattes et  un verre d’eau.

    

Auteur
Cherif Ali

 




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