Pour son quatrième passage devant le groupe de travail du Conseil des droits de l’homme (CDH) des Nations unies chargé de l’Examen périodique universel (EPU), la partie ne fût pas de tout repos pour l’Algérie qui a présenté un rapport d’une vingtaine de pages qui jure avec la réalité des droits humains dans le pays.
Comme à son habitude la diplomatie algérienne a usé à volonté de la manipulation des faits et de la dissimulation des faits face aux membres du conseil des droits humains. Pour un examen de passage, l’audition qui s’est déroulée lors de la réunion tenue le 11 novembre 2022, au Palais des Nations unies à Genève, fut plutôt, un véritable passage à tabac pour la délégation conduite par le ministre de la Justice et garde de Sceaux, Abderrachid Tabi chargée de défendre la cause du pouvoir algérien, tant était sans concession la réaction de certains représentants de pays tiers ou des organisations indépendantes des droits de l’homme qui ont brossé un tableau sans complaisance de la situation des libertés publiques et fondamentales en Algérie.
Si les observations du CDH ne sont que des préconisations et n’ont rien de contraignant, les représentants de ces Etats et des ONG ne se sont pas privés de déplorer les violations régulières des libertés en Algérie.
Plusieurs médias dont le journal Le Monde ont fait état de critiques émises par le représentant des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de l’Allemagne mais aussi de la France, du Chili et des Pays Bas qui ont exprimé leurs inquiétudes quant aux atteintes aux droits de la personne humaine. Ils ont appelé l’Algérie à revoir plusieurs textes de loi (code de la famille, loi sur les associations, plusieurs articles du code pénal). Ils ont invité l’Algérie à les adapter à la législation et aux conventions internationales qu’elle a dûment ratifiées.
L’article 87bis du code pénal algérien qui contient une définition vague du terrorisme et en vertu duquel l’Etat criminalise l’action politique a été décrié par les ONG et les représentants de ces pays qui ont été unanimes à demander son abrogation car considéré comme un outil pour museler toute opposition et les voix discordante. Un texte brandi pour justifier l’arrestation de plusieurs militants et activistes politiques pacifiques. Certains sont embastillés pour un simple statut publié sur Facebook. Le régime sous Tebboune a usé de cet article 87bis pour accuser de terrorisme de larges pans de l’opposition.
Il en est de même pour le non-respect de la liberté de la presse, du droit de réunion et de manifestation qui sont systématiquement réprimées et interdites. Les arrestations arbitraires et le recours aux détentions préventives qui durent parfois plusieurs mois sont monnaie courante, selon les organisations politiques ou des droits de l’homme algériennes. Riposte Internationale, la Laddh et d’autres associations ont fait preuve d’un lobbying extraordinaire au niveau international pour alerter sur les atteintes aux droits fondamentaux et aux libertés publiques en Algérie. Il est vrai qu’un véritable travail de documentation a été fait depuis quelques années par l’ONG Riposte Internationale sur les nombreux cas de violation des droits humains en Algérie.
Le cynisme du ministre de la Justice
Ce constat impitoyable, argumenté par des faits et les nombreux faits de violations des libertés et donc de la Constitution, est contredit avec zèle par la délégation dépêchée par le gouvernement algérien à la 40ème réunion du mécanisme des Nations unies (EPU).
En effet, le rapport qui a été lu par le ministre algérien de la Justice jure avec la réalité. En la matière, le document du ministre de la Justice est un véritable bréviaire de cynisme, de mensonges et de dénégations.
Abderachid Tabi a dressé un tableau idyllique de la situation des droits humains et de la démocratie en Algérie. A peine croyable ! Tout va comme dans le meilleur des mondes : les partis politiques et les syndicats activent librement, l’alternance au pouvoir est respectée, la justice comme la presse sont libres de toutes entraves. Les prisonniers politiques et d’opinion ne sont qu’une vue de l’esprit des ennemis de la nouvelle Algérie. Le texte lu par le ministre algérien est éloquent à ce sujet. Extraits.
« La nouvelle Constitution adoptée par Referendum en novembre 2020 constitue une nouvelle étape dans le processus de réformes institutionnelles, politiques et socio-économiques engagées par l’Algérie, telles que souhaitées par le Hirak, mouvement populaire pacifique, qui a revendiqué des changements et des mutations politiques et sociales. Plusieurs textes ont été révisés et adoptés pour répondre aux aspirations du Hirak du 22 février 2019, donnant lieu à des réformes qui ont permis de consolider certaines dispositions législatives existantes en les rehaussant au rang de normes constitutionnelles et en y introduisant de nouvelles. Il s’agit des droits fondamentaux et libertés publiques, le renforcement de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, le renforcement de l’indépendance de la justice, de la transparence, la prévention et la lutte contre la corruption, ainsi que la consolidation des droits de l’homme et le développement humain ».
Il ajoute avec appoint : « Le présent rapport est soumis en application de la résolution 60/251 en date du 15 mars 2006 de l’Assemblée générale des Nations Unies et de la résolution 5/1 du 18 juin2007 du Conseil des droits de l’homme, notamment son paragraphe 15(a). Il a été élaboré conformément aux Directives générales révisées pour la préparation des informations fournies dans le cadre de l’examen périodique universel. (Décision17/119). Il s’inspire des rapports périodiques de l’Algérie aux différents mécanismes internationaux des droits de l’homme et des trois rapports nationaux sur la mise en œuvre de l’EPU soumis en 2008, 2012 et 2017. Sa rédaction a été le fruit de nombreuses consultations au sein d’un Groupe de travail multisectoriel, coordonnées par le Ministère des Affaires Etrangères et de la Communauté nationale à l’étranger. Des instances consultatives à l’instar du Conseil National des Droits de l’Homme, du Haut-Commissariat à l’Amazighité, du Conseil National Économique, Social et Environnemental, ont contribué également à l’élaboration de ce rapport. Des représentants de la société civile activant dans le domaine des droits de l’homme ont pris part à ce processus », lit-on encore dans le document où il est fait état de « faits nouveaux » intervenus depuis l’examen précédent. Il est indiqué: « Algérie a poursuivi son processus de réformes concrétisé par la révision de la constitution de novembre 2020».
A croire que les membres Conseil des droits de l’homme ne savent pas ce qui se passe en Algérie. Bien entendu, pour Abderachid Tabi les 300 détenus d’opinion sont de vulgaires repris de justice. N’a-t-on pas entendu Abdelmadjid Tebboune traiter un journaliste connu de « khabarji » au mépris de la loi et des règles de bienséance que doit avoir un chef de l’Etat digne de ce nom.
Passage de la délégation algérienne devant le Conseil des droits humains à Genève.
Pour en savoir plus sur l’Examen périodique universel (EPU)
« Le mécanisme des Nations Unies pour l’examen de la situation des droits de l’homme dans le monde (EPU) est un dispositif unique qui permet d’examiner périodiquement la situation des droits de l’homme dans les 193 États membres des Nations Unies. Depuis la première session de l’EPU en avril 2008, tous les 193 États membres ont été examinés à trois reprises dans le cadre du premier, second, et troisième cycle de l’EPU. Au cours du quatrième cycle de l’EPU, les États auront à nouveau l’occasion d’énoncer les mesures qu’ils ont prises pour mettre en œuvre les recommandations faites au cours des examens précédents auxquelles ils se sont engagés à donner suite, ainsi que de mettre en évidence l’évolution récente des droits de l’homme dans le pays.
Les trois États faisant partie du groupe de rapporteurs (« troika ») pour l’examen de l’Algérie sont l’Érythrée, le Pakistan et le Brésil.
La liste des orateurs et les déclarations orales qui seront faites pendant l’examen de l’Algérie seront publiées sur l’Extranet de l’EPU.
Le Groupe de travail sur l’EPU adoptera les recommandations faites à l’Algérie le 16 novembre à 15h30. L’État examiné pourra alors indiquer sa position sur les recommandations reçues lors de l’examen. »
(Cf, https://www.ohchr.org/fr/hr-bodies/upr/upr-main)
Samia Aït Iqbal