Le chef du gouvernement libyen basé à Tripoli a limogé sa cheffe de la diplomatie, Najla al Mangoushi, pour avoir rencontré récemment son homologue israélien en Italie, une entrevue interdite par les lois libyennes dont il était forcément au courant, selon des analystes.
Le Premier ministre Abdelhamid Dbeibah a suspendu dimanche Najla al-Mangoush pour avoir eu une entrevue la semaine passée avec son homologue israélien Eli Cohen à Rome.
Lundi, M. Dbeibah a annoncé son « limogeage » depuis l’ambassade palestinienne à Tripoli, a rapporté la représentation diplomatique sur sa page Facebook. La télévision Al-Ahrar, citant une source gouvernementale, avait elle aussi annoncé son limogeage plus tôt lundi.
Le Premier ministre s’y est rendu pour exprimer « le soutien libyen à la cause palestinienne », affirmant que la position de Mme Mangoush « ne représente pas le gouvernement de la Libye ni son peuple », selon la même source. La Libye ne reconnaît pas Israël et s’oppose à toute normalisation avec ce pays.
Le sort de Mme Mangoush était inconnu lundi. Selon l’agence de presse turque Anadolu, citant des « sources de sécurité » anonymes, un avion gouvernemental libyen l’aurait conduite de Tripoli à Istanbul dans la nuit. Une source ministérielle libyenne a par ailleurs confirmé le départ de la cheffe de la diplomatie vers la Turquie.
Selon plusieurs spécialistes de la Libye, M. Dbeibah, à la tête d’un gouvernement mis en place dans le cadre d’un processus de paix parrainé par l’ONU, avait en réalité donné son accord à l’entretien avec le ministre israélien, et Mme Mangoush est un « bouc émissaire ».
« Le Parlement de l’Est, (l’homme fort de l’Est Khalifa) Haftar et Dbeibah la rendent responsable de décisions auxquelles ils ont tous participé », a déclaré Anas el-Gomati du Sadeq Institute. Le camp de l’Est, notamment le maréchal Haftar et son fils Saddam, ont eu des contact directs avec des responsables israéliens ces dernières années sans subir aucune sanction.
Depuis un an, deux gouvernements se disputent le pouvoir dans ce pays plongé dans le chaos depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011: celui de M. Dbeibah dans l’Ouest et celui de l’Est soutenu par le M. Haftar.
Selon M. el-Gomati, pour garantir « un soutien américain (à un accord entre les deux camps), des pressions ont été exercées (sur la Libye) pour adhérer aux accords d’Abraham » de normalisation entre les pays arabes et Israël.
«Survie» politique
Jalel Harchaoui, également spécialiste de la Libye, pense aussi à « une manoeuvre de M. Dbeibah » pour se maintenir au pouvoir face « à une pression qui monte à l’ONU et aux Etats-Unis afin d’installer un nouveau gouvernement de technocrates » pour préparer des élections.
Pour M. el-Gomati, Dbeibah joue « sa survie » qui « dépend surtout des relations et des alliances qu’il entretient au-delà des frontières libyennes avec de puissants acteurs régionaux ».
« Le soutien de Tel Aviv à Haftar n’est un secret pour personne », a-t-il rappelé, qualifiant l’annonce de la rencontre de Rome par Israël de « stratégique » car « destinée à faire pencher la balance en faveur de Haftar, en acculant Dbeibah ».
Le ministère israélien des Affaires étrangères a nié lundi être à l’origine de cette « fuite », alors que c’est son service de presse qui a annoncé dimanche sur une rencontre « inédite » de M. Cohen avec Mme Mangoush.
Sortir l’information vise, selon l’expert, soit à « pousser Dbeibah à abandonner le pouvoir, soit à le contraindre à un compromis avec le camp de Haftar ».
Dbeibah « a eu la tentation de faire un coup en termes de diplomatie mais c’est raté car il n’a pas évalué correctement le risque que la population se focalise sur lui » et non sur Mme Mangoush, a estimé M. Harchaoui.
Des mouvements de protestation ont éclaté dimanche à Tripoli et dans plusieurs villes et la maison du Premier ministre a été attaquée. Des groupes de jeunes ont coupé les routes, brûlé des pneus et brandi le drapeau palestinien.
Avec AFP