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Rebrab c’est comme Zidane, les Kabyles lui pardonnent tout !

Rebrab

Au village, les discussions sont aériennes. Ça vole haut, comme les hirondelles des montagnes. Les silences y sont aussi importants que les paroles ! Un temps pour dire, un autre, plus long, pour écouter et comprendre.

En kabyle, le dialogue se dit Ameslay, ce qui veut dire s’écouter. Chez les Kabyles, on s’écoute plus qu’on ne parle. Tout un art !

Dans le lieu qui sert habilement d’agora, quelques vieux échangent aimablement sur l’actualité de Rebrab. Des mioches jouent au ballon en contrebas. Quelques jeunes tendent discrètement l’oreille. Et toi, tu regardes se perpétuer devant toi une magnifique scène millénaire, où la parole a encore la noblesse de n’être prononcée que par ceux qui la sous-pèsent.

Le droit à la parole est un acte responsable. Un art, qui n’est permis qu’aux orfèvres du mot. Parler peu et bien. Parler vrai, parler juste. Une leçon de vie dans un monde brouillon, qui bavarde souvent pour ne rien dire.

Pour les uns, Rebrab est un patriote, un homme qui a fait du bien à sa communauté et à sa région. D’autres, moins admiratifs, croient que c’est d’abord un homme d’affaires, un industriel qui s’est enrichi, comme tout bon capitaliste, grâce au travail des autres, et ne comprennent pas ce soutien indéfectible des Kabyles :

– Le fondateur de Cevital aurait déboursé plusieurs millions de dollars pour ses investissements en Algérie. Des investissements qui ont permis à des milliers de familles de la région de vivre dignement. Rebrab est généreux, et pendant la Covid-19, il avait offert des milliers de respirateurs à des centres hospitaliers. Il avait aussi fait parvenir des convois de denrées alimentaires aux populations de Blida, pour les aider à surmonter les déboires dus au confinement. Ça, personne ne peut le nier !

– Oui, mais ça reste un capitaliste, qui a refusé en 2020 à des travailleurs de Numilog, filiale de Cevital à Bgayet, de se structurer en syndicat. Il ne leur a pas seulement refusé le droit de se syndiquer, il les a tout bonnement licenciés ! 200 familles se sont retrouvées sans le sou du jour au lendemain. Des familles kabyles ! Ces personnes avaient marché un an auparavant, bravant l’interdit et la menace, pour le faire libérer de prison, où il avait été incarcéré par El Gaid Salah. Avant, ses accointances avec les militaires, sa proximité présumée avec Toufik Rab Dzair, étaient un secret de Polichinelle.

– Ce sont des ragots ! Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage. Et concernant l’usine à Béjaïa, ce n’était pas lui, mais son fils Malik : il avait fait du zèle ! Et c’était plus compliqué que ça, parce que les syndicalistes étaient manipulés par le pouvoir de l’époque. C’est ce même pouvoir qui lui a toujours mis des bâtons dans les roues, qui l’a incarcéré en 2019. Ce même pouvoir qui a dressé Bouchouareb, un repris de justice, pour le salir et l’accuser de malversations et d’évasion fiscale ! Où est maintenant ce brigand de Bouchouareb ? En cavale, à se terrer comme un termite ! On en veut à ce capitaine d’industrie juste parce qu’il est kabyle et qu’il n’a pas marché dans leurs combines !

– Ce n’est pas aussi simple. Rebrab est cité dans le scandale des Panama Papers, il a fait de l’évasion fiscale, a fait affaire avec le sulfureux bureau d’avocats Mossack Fonseca pour créer Dicoma Entreprises Ltd aux îles Vierges britanniques. Il a eu des sociétés-écrans en son nom. Ce n’est pas si simple de tout mettre sur le dos d’un pouvoir. Certes, ce pouvoir est pourri, mais lui, sur ce coup, est vraiment louche. Le doute est cependant permis sur les accusations de surfacturations et d’importations de matériel désuet pour Evcon. Là, c’est un peu tiré par les cheveux ! Le pouvoir a en effet essayé de le saboter avec des accusations farfelues.

– Son erreur, c’est d’avoir, sans doute, misé sur le mauvais cheval, d’avoir soutenu Ali Ghediri. Et le pouvoir actuel ne le lui a jamais pardonné. D’abord, c’était lui qui était visé en 2022 par une interdiction d’exercer, maintenant c’est son fils Omar. C’est de l’acharnement. Heureusement qu’il a diversifié ses ressources avec ses 24 ou 26 filiales et ses investissements à l’étranger — en France, en Italie ou au Brésil ! Si ce magnat était pourri, on ne lui ouvrirait pas les portes des chancelleries de la sorte.

– Bof, les chancelleries sont très peu regardantes du moment que l’argent afflue et que des entreprises et des emplois sont sauvés. Ce qui me dérange, par contre, c’est qu’il est toujours resté loin de la politique. Il ne s’est jamais ouvertement engagé avec le FFS ou le RCD, ou un quelconque autre parti démocrate. Et la JSK ? Ça, c’est le plus grand parti politique de la Kabylie, non ? Et il n’a rien fait pour le faire grandir !

– Il a beaucoup trop d’intérêts pour pouvoir être libre ! Il a beaucoup à perdre ! Quatre milliards de dollars, ce n’est pas ce que peut porter ma bourse ! On ne réfléchit pas de la même manière quand on a 4 milliards de dollars et quand on a quatre sous ! Et puis, concernant la JSK, c’était Hannachi qui n’en voulait pas. Après cela, Cevital est devenu le sponsor officiel et majoritaire du club.

– Et Liberté ? N’oubliez pas que c’est lui qui avait signé l’arrêt de mort du journal. Il s’est soumis aux injonctions du pouvoir. C’est clair ! Il avait pourtant tenté de racheter El Khabar TV sans succès. Donc, qu’on ne vienne pas nous dire que c’est une question de rentabilité économique. Avec sa richesse, Rebrab aurait dû tenir par militantisme, pour garder un symbole d’une presse libre ! Au lieu de cela, il a signé un acte de mise à mort volontaire. C’est un homicide volontaire. Une euthanasie ! J’ai l’impression que plus on a d’argent, et moins on a de principes ! Je ne comprends pas l’amour que vouent les Kabyles à cet homme pourtant très controversé et sulfureux à plusieurs égards.

Et c’est ainsi que l’écoute fut interrompue par le plus vieux, qui était resté silencieux jusqu’ici :
– Ne cherchez pas à comprendre. Rebrab, c’est comme Zidane, ce n’est pas à cause d’un coup de boule qu’on le hait ! On pardonne tout à Rebrab. On pardonne tout aux virtuoses !

K.H.

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