Durant toute ma vie d’adulte j’ai milité pour les droits et la dignité de la Kabylie. Je n’ai rien ménagé dans mes efforts et mes écrits. Mon combat est dirigé contre tous ceux qui ont participé au renforcement du régime militaire pour des intérêts financiers, fussent-ils Kabyles.
Mais dès qu’on parle de Rebrab, alors l’indignation gronde et fustige tous ceux qui osent toucher au moindre poil de l’icône d’une population. Il est le milliardaire qui a réussi, il serait la preuve que la région en possède un qui n’est pas comme les autres.
Ce n’est pas la conception que je me fais de la Kabylie. Il n’y a aucune raison que je fasse une exception au regard d’un état civil et d’un compte bancaire. On ne me verra jamais défendre un de ceux qui ont dévasté mon pays et donc ma Kabylie.
L’accusation de régionaliste et de raciste me passent au-dessus de la tête comme un murmure qui ne trouve pas porte ouverte dans mes oreilles. La solidité de mes opinions ne me laissera jamais les contredire par un soutien qui leur serait une trahison.
« Il a construit sa richesse par son intelligence et la force de ses bras me dit-on ». Ah bon ? Les autres milliardaires sont aussi nuls pour ne pas avoir pu le faire sans l’aide des généraux ?
Pas une fois le discours des opposants n’a changé. Toute fortune considérable faite avec un régime militaire n’est pas seulement suspectée mais accusée de compromission avec le pouvoir sans une seule seconde d’hésitation.
Et pour Rebrab, je ne peux même pas dire un mot sans qu’on me tombe dessus ? C’est tout de même étrange. Et moi, l’étrangeté n’est pas dans les caractères qui nourrissent mon militantisme.
L’autre argument qui m’a toujours été opposé est « s’il a commis des illégalités, prouve-le ! ». Ah bon ? Pour les autres milliardaires, je n’ai rien à prouver devant des évidences mais pour Rebrab il me faut avoir une certification pour légitimer mon accusation.
Et puis qui parle de corruption ? On peut engager une équipe de contrôleurs pour rechercher ce mot dans mes écrits, ils n’ont aucune chance de le trouver.
La raison est simple, allez prouver la corruption avec un régime militaire ! C’est lui qui décide d’intenter un procès pour corruption sur les motifs qu’il veut, le moment qu’il décide et envers les personnes qu’il a choisies.
D’ailleurs, pas besoin de corruption au sens du dictionnaire dans un tel régime, les autorisations et la prise de marchés publics n’a jamais été illégal. Avoir pour compagnons des généraux, notamment un des plus violents, n’a jamais été un délit en droit . Fréquenter avec chaleur et constance le frère Bouteflika, régent de l’Algérie, et de bien d’hommes qui tenaient le régime de main de fer ne l’est pas davantage.
« Il a créé un groupe média indépendant », me dit-on encore. Ah bon ? J’ai dû rater un épisode algérien. Un groupe de presse indépendant, libre de critiquer les généraux et les corruptions massives ?
Et puis cette remarque qu’on me lance toujours à la figure, « Au moins, lui a investi dans son pays et participe à sa richesse ». Il ne manquerait plus qu’il ne rende pas des miettes à ceux dont il doit la richesse. Il n’en n’est pas ruiné pour autant puisque plus il investit en Algérie plus il s’enrichit.
Ma république rêvée est celle du droit et de l’égalité des chances, pas celle de la mendicité. Elle a besoin d’équité et de droit, pas d’un mécène . Non seulement il bâtit sa fortune avec un régime qui a terrorisé et pillé le peuple, il faut aussi que le peuple en fasse son bienfaiteur ?
Avec Rebrab, nous retournons à l’époque des grands capitaines d’industrie européens du 19ème siècle qui faisaient de la charité à destination de leurs salariés. Tous les systèmes sociaux étaient fournis par le bon père du peuple. Des logements sordides jusqu’à l’humiliation des soupes populaires.
Le bienfaiteur Rebrab promettait que l’or allait couler dans les rivières, que des usines de désalinisation fleuriraient dans chaque champ, que des hôpitaux sortiraient de terre, que la liberté reviendrait et même, ne riez pas car c’est vrai, qu’un chemin de fer transafricain allait être construit pour l’épanouissement des peuples et de leurs échanges.
« Oui mais il ne doit rien à personne pour sa fortune à l’étranger ». Ah bon ? Il a obtenu un prêt bancaire auprès de la succursale de la rue des rêves, sur la seule garantie de réussite ?
« Il a bénéficié d’une subvention et d’une autorisation d’investissement à l’étranger, c’est parfaitement légal ». Ah bon ? Il faut encore retourner à la notion de la légalité. C’est incroyable ce que ce monsieur est couvert par la légalité.
Jamais ce personnage ne s’était inquiété des difficultés énormes que nous avions pour construire une démocratie. Jamais je ne l’avais vu au siège du parti et encore moins proposer aux démocrates le moindre de ses sous (ce que d’ailleurs nous ne le lui avons jamais demandé ni n’aurions accepté). Rebrab est malin mais pas un fou. Pourquoi prendrait-il un tel risque pour sa fortune ?
La grande erreur que j’ai commise, car à ce niveau de militantisme, c’est une erreur impardonnable, est d’avoir accepté de convaincre une équipe de deux journalistes étrangers à visiter une usine et obtenir des renseignements sur l’état de l’industrie en Algérie.
Les hommes du pouvoir ne nous ouvrent leurs portes que pour des raisons de communication, jamais par soutien politique. Je l’ai déjà dit, les fous ne font jamais fortune.
Et puis la pire des remarques, celle en résumé de toutes les autres, une abominable phrase qui détruit tous mes fondements d’une vie, « Le nôtre n’est pas comme les autres ! ». Je ne me suis pourtant jamais découragé malgré cette affaire sordide de Rebrab. Mon soutien est indéfectible car je défends mes propres droits en étant à coté du combat pour les droits et la dignité de la Kabylie.
C’est la réponse au point d’interrogation du titre. Pourquoi alors ce questionnement ? Il est provoqué par la résurgence de la fièvre Rebrarienne dans l’actualité récente. Je dois avouer que je suis essoufflé, fatigué et meurtri, cette frontière du point d’interrogation me fait signe de nouveau avec plus de force. La cause de mon courage de ne pas être tenté est l’honnêteté du combat de la quasi majorité de mes compatriotes.
Quant aux pauvres malheureux crédules, je leur pardonne parce que le rêve, c’est toujours la promesse d’un bonheur qui leur est refusé. Mais pour beaucoup d’intellectuels intelligents, je ne peux pas avoir la même complaisance. Ils avaient la responsabilité de réveiller les foules, ils les ont plongés davantage vers l’illusion et la dévotion.
Ils voulaient, qui des miettes de retombées économiques, qui une parcelle de pouvoir et de notoriété. Que voulez-vous, l’humain est faible, surtout lorsqu’il a la conscience intellectuelle de sa condition.
Son rejeton vient aujourd’hui nous prendre à témoin de l’injustice et du règlement de compte à l’égard d’un grand industriel, sauveur de l’Algérie et de sa liberté, économique comme politique.
Je lui réponds qu’il aille régler ses comptes avec ceux qu’il avait accepté de faire affaire. C’est à eux qu’il faut s’adresser, pas au public et encore moins à moi.
Qu’il garde ses deux milliards de dollars estimés à l’étranger et qu’il se taise car il se tire à bon compte avec ses amis.
Non, Rebrab n’est ni mon Algérie ni ma Kabylie.
Boumediene Sid Lakhdar