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Récit-feuilleton. Exils (22)

Admirer au dehors la nuit paisible et semée d’étoiles ? Ce n’était pas le moment de se montrer romantique. Se plonger dans ses pensées maussades. Les passer au crible une à une. Voir si elles ne sont pas usées. Si l’une d’elles n’a pas besoin d’être cousue.

Il allait ainsi au gré de la fantaisie de ses idées qui devenaient alors étranges. Il imaginait l’une d’elles gambadant pleine de félicité dans son cerveau. Soudain, celle-ci se recroquevilla sur elle-même, se releva toute joyeuse de se sentir en vie…

Une autre gare…

Il somnolait quand il eut cette vision. Une physionomie morbide s’étala sur toute la largeur du ciel sombre et pourtant si limpide. Des yeux l’observaient de toute l’immensité de leurs orbites. Des lèvres frémissaient et bafouillaient des mots incompréhensibles. Un catogan se dénouait dans la nuit pour se confondre avec l’obscurité. Qu’est-ce que tout cela ? Un rêve cauchemardesque ? Des hallucinations probablement. Son esprit tiraillé par de fâcheux événements créait toutes sortes de choses.

Ses paupières, lourdes de sommeil, se fermaient. Envahi par une morne torpeur, il voguait dans l’oubli. De temps à autre cependant, ses soupirs le réveillaient en sursaut et, sans qu’il ne se rendait compte, il gémissait. Ses rêves déchirés, en guenilles et parfois couverts d’images déroutantes, le faisaient sursauter. Meurtri par les conditions du voyage, son corps en subissait le joug. Ses yeux, à demi clos, le ramenaient à la dure réalité. Quelle  amertume ! Un sifflement strident acheva de le réveiller.

L’approche d’une autre gare…

Ses yeux laissaient entrevoir sous les paupières mille et une scènes refoulées dans le subconscient. Elles se filtraient au contact des lumières lointaines. Il se revoyait enfant marchant côte à côte avec son défunt père, un homme frisant la soixantaine mais solide encore comme un roc et doué d’une force peu commune. Le sourire constamment aux lèvres et si élégant les jours de fête. Il lui portait un amour sans égal. Il le  prédestinait à une fonction honorable. Les rides striaient son visage brun barré d’une moustache fournie. Il ne ménageait point ses forces tant physiques que morales pour son bien-être. Le destin fantasque lui ravit celui qui fut pour lui le pinacle de l’affection. A ce passage de sa vie, il se remémorait le jour du décès de son père…

Le désarroi devait se lire sur son visage lorsqu’il imagina qu’une fois de plus, il allait être soumis à une nouvelle terrible épreuve. Il ne pouvait se faire à cette idée ; ses proches parents et ses voisins allaient en rajouter quant aux choses métaphysiques. L’anxiété devait se lire sur son visage ; il se rembrunissait par moments quand il revoyait la face exsangue de sa mère. Son sort se dessinait au fur et à mesure qu’il avançait dans l’âge adulte jadis inconnu pour lui, un monde regorgeant de mystères. Ce sort inextricable le rongeait intérieurement. Il pensait que seule la société était fautive ; à ses yeux, cette dernière était le grand criminel de tous les temps…

Une autre gare…

Les anecdotes, dont les propos étaient souvent fallacieux mais si pleins d’entrain et de gaîté puérile, l’enchantaient. La tête reposant sur les jambes repliées de sa mère, il était tout ouïe, tant émerveillé par les contes enchanteurs qui l’emmenaient dans un autre monde. Une autre vie. C’étaient les longues soirées hivernales, demeurées vivaces dans ses souvenirs. Le temps ne les a guère effacées.

Une somnolence exaspérante lui tiraillait les paupières et harcelait, telle une morsure aiguë, ses yeux harassés par les longues veilles d’études. A cette vision quelque peu vacillante avant l’âge, s’ajoutait le dépit mêlé à la léthargie. Son visage devenait un masque de tristesse.

L’espace d’un instant, il se rendait compte qu’il était tout en sueur. La marche nonchalante du train était insupportable, elle le plongeait dans un état fébrile. Il ouvrit la fenêtre du compartiment où littéralement il gisait. L’air frais de la nuit lui faisait du bien. Les traits de son visage congestionné se relaxaient eu contact du flux oxygéné qui le fustigeait presque. (A suivre)

Ammar Koroghli-Ayadi, auteur-avocat 
Email : akoroghli@yahoo.fr

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