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Récit-feuilleton. Exils (33)

Pour la préparation de son doctorat, il fréquentait les bibliothèques universitaires de Cujas et de Sainte-Geneviève situées toutes deux près du Panthéon, à deux pas de l’Université de la Sorbonne.

Le programme était souvent le même. Dès dix heures, il y était ; déjeuner à treize heures au restau U proche de la rue Mouffetard qu’il a beaucoup aimée d’autant plus qu’il lui arrivait de se rendre à la bibliothèque municipale pour y emprunter maints ouvrages afin de le changer de ses recherches en droit. Reprise vers quatorze heures jusqu’à la fermeture vers dix-huit, dix neuf heures. Dîner à dix neuf heures, tantôt au même restau U, tantôt au restau de la cité U internationale qui fut pendant quelques années le lieu où il se rendait régulièrement pour y manger.

Ce fut un endroit de prédilection. Il lui arriva aussi d’y pratique du sport. D’y voir des films également. Il est vrai qu’il était loin de s’y sentir dépaysé. La plupart des étudiants étaient étrangers. Ils partageaient ensemble cette qualité. A ce titre, ils ne pouvaient se rivaliser. Endroit agréable, la verdure y est abondante. Une bonne partie du globe avait sa Maison. Pour ses étudiants. Sans doute les plus chanceux, les places y étant limitées. La nourriture y était correcte.

Récit-feuilleton. Exils (32)

Parfois, ils  assistaient à des débats animés entre étudiants. Souvent, il s’agissait davantage de querelles à connotation idéologique que des discussions sérieuses. Ces prises de bec en public les amusaient et les stimulaient à la fois. Il est vrai que, du temps de ses études à Alger, ces discussions étaient plutôt privées ; elles avaient souvent lieu dans leurs piaules. Ils se sentaient  surveillés.

Invariablement, il demandait des ouvrages, thèses et mémoires ayant un rapport avec son sujet. Au fur et à mesure, il améliora sa technique de prise de notes qui s’avéra bénéfique, mais qui nécessita beaucoup de patience et de méthode. Il photocopiait également certains passages destinés  à être cités. Il y avait alors un certain calme qui permettait la réflexion. Surtout à la bibliothèque Sainte Geneviève ouverte par ailleurs le samedi. Il eut de nombreux samedis studieux passés dans l’enceinte de cette bibliothèque. La bibliothèque de Cujas étant plus spécialisée et mieux dotée en thèses.

Il découvrit alors l’immense butin légué par d’innombrables thésards du Maghreb sur des sujets divers ; il y avait là de quoi meubler des bibliothèques par le labeur fourni de nombreux d’entre nous. Beaucoup de ces travaux peuvent faire l’objet de publications et de traductions pour mettre à la portée de tout un chacun tant de culture scientifique. Il regrettera toujours que les responsables de l’enseignement supérieur et de la culture du pays n’aient la tête à cette fructueuse tâche.

Deux fois par semaine, il arrêtait ses recherches vers seize heures, devant dispenser des cours d’arabe dans un foyer situé à Aubervilliers ; c’était le job qui lui permettait de gagner sa vie. Formés en deux groupes, ses élèves avaient le même niveau. Ils débutaient depuis l’alphabet. Il est vrai que les jeunes, parfois des enfants de dix ans, apprenaient plus rapidement.

Le week-end, il allait un peu plus loin pour ces cours. A la Courneuve. Il y avait deux foyers, l’un réservé aux Maliens et l’autre aux Maghrébins. Des tours de plusieurs étages situés à la périphérie de la ville. Il  découvrit sur le terrain le déphasage entre les discours politiques et médiatiques et la réalité vécue par nombre de ceux qui comme lui ont été amenés à quitter leurs pays pour s’installer dans les froideurs de l’exil. Souvent pour nourrir une ou deux familles entières qui attendaient le mandat mensuel pour leur permettre de survivre.

A l’époque, certaines émissions ont été consacrées à l’immigration, souvent sous le mode de l’analyse théorique par des invités pompeusement qualifiés d’experts ès immigration. Souvent sous le mode folklorique…

Le quartier latin, son premier quartier, n’était pas loin. Il y descendait par moments, le boulevard Saint Michel n’était pas loin. Pendant longtemps, il eut à le fréquenter et d’en faire un lieu de prédilection. Il y rencontrait des compatriotes et se rendait dans ses cinémas. Certaines salles étaient spécialement réservées à la projection de films étrangers dont il raffolait.  Sans doute parce qu’il pensait y trouver quelque réconfort loin de sa patrie. Ils devaient absolument reconvertir quelque peu leurs  mentalités pour mieux comprendre les ressorts de la société d’accueil. Ce fut un minutieux apprentissage. Se mettre dans la peau de l’autre pour mieux le comprendre et se faire admettre.

Parmi ses nouveaux amis figuraient des Maghrébins, des Africains, des Latino-américains, des Européens… Il apprit à être Africain et Maghrébin à Paris. L’occasion lui fut offerte de connaître moult étudiants en thèse. Souvent, pour financer ses études –en fait son loyer et sa  nourriture-, ils eurent à exercer toutes sortes de travaux qui allaient de deux heures à deux mois. Et notamment les soirs, les week-ends et l’été.

Combien d’années sans congés, ni vacances ? A foison. Ils étaient une sorte de lumpen prolétariat… intellectuel. Et pourtant, nombreux sont ceux et celles qui ont réussi ainsi à préparer leurs diplômes. Ce fut en effet le prix à payer. Leur jeunesse les  protégeait alors. La lecture et la curiosité également. Haro sur le savoir !

Beaubourg. Il lui arriva de fréquenter ce lieu de culture durant plusieurs années. Il s’émerveillait de tant de production de livres. A la portée de tout un chacun. Il passait des heures entières à lire, parfois tout un dimanche. Ce qu’il fit plus tard à la Cité des Sciences, porte de la Villette. Souvent pour étancher sa curiosité dans des matières autres que le droit. Exercice conjugué à la lecture de journaux et revues en bibliothèques municipales. De nombreuses années, cette soif d’apprendre et de découvrir estompa l’exil. Il y étudiait nombre d’auteurs venus d’ailleurs.

Il voyageait ainsi tantôt en Asie, tantôt en Amérique latine. En Afrique et au Moyen-Orient aussi. Il lui fut agréable de discuter avec d’autres étudiants venus de divers pays. Au café situé tout en haut de cet édifice culturel, il put voir Paris et ses toits. Rester ainsi en contemplation de la  ville cosmopolite. Quel régal !

A la même période, il fit ses classes dans des radios libres à destination d’immigrés maghrébins. Il débuta par une émission littéraire. Il lui fut ainsi donné de présenter des auteurs venus d’ailleurs. De Tagore à Marquès, en passant par des auteurs Africains et Maghrébins ; il lut alors du poète marocain Abdelatif Laabi des poèmes de Chroniques de la citadelle d’exil et de Sous le bâillon le poème, alors incarcéré pour atteinte à la sûreté d’Etat. Ce fut exaltant tant par la recherche qu’il effectua que par la présentation de ces auteurs. Il mit en place ensuite une émission ouverte au public, en direct, qui se déroulait en soirée ; après exposé du thème du jour, il livrait la parole aux auditeurs.

Certaines de ces émissions donnèrent lieu à une profusion d’échanges fructueux mais non moins houleux. Les exilés apprenaient  alors les rudiments du droit à l’expression, préalable et condition à un passage à la démocratie qu’il avaient longtemps considéré comme un mode opératoire bourgeois des pays occidentaux avilis par le luxe et corrompus par le passé colonial où tant de barbarie régna. Certains n’hésitèrent pas à clouer au pilori les politiques des pays d’origine également.

Ils se sentaient orphelins de la protection effective de leur mère patrie au-delà des vocables jetés en pâture dans les discours destinés à  la consommation intérieure. Durant quelques mois, ils eurent ainsi loisir à débattre de leur quotidien, à écouter des musiques leur rappelant leurs origines. Jusqu’au jour où ils furent  interdits d’émettre. Quelle frustration au pays des droits de l’homme ! Sevrés de parole sur la place de la démocratie. Confiscation d’un outil de communication avec les siens, dans une langue qui lui est accessible. La leçon fut dure à digérer. (A suivre)

Ammar Koroghli-Ayadi, auteur-avocat 
Email : akoroghli@yahoo.fr

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