Le Hirak, Omar le vécut en exil, comme un nouvel espoir. Tel un miracle, ce mouvement naît en Algérie le 22 février 2019. Il reste vivant depuis de nombreux mois et a étonné le monde par son pacifisme. Sans effusion de sang également.
Tour à tour, chaque vendredi, les citoyennes et citoyens descendent dans la rue apprivoisée comme seul espace public. Et pour cause, la télévision du pouvoir continue de pratiquer une communication au service du prince du moment et tente vainement d’ignorer cet événement de taille.
L’appel à la libération sociale, par la parole retrouvée, pour renouer avec une tradition millénaire en terre algérienne : la résistance. En l’espèce, à celle de la hogra distillée par un système politique dominé par la direction de l’armée instrumentalisée. Et soudain, hommes de sérail, de palais, habitués des bureaux capitonnés et des résidences « Club des Pins » (et des coquins) sont mis sous les feux de la rampe pour se retrouver dans les geôles d’El Harrach. Il est vrai, sous la férule de ce qui a été appelé « la justice du téléphone ».
Désormais, El Djazaïr reprend des couleurs pour dire haut et fort : vingt ans ça suffit ! Stop à la présidence à vie. La rue algérienne s’anime, comme jamais depuis l’indépendance, pour annoncer au monde un souffle nouveau, une soif de justice, de liberté et de nouvelle indépendance. Et la fin de la pensée unique trop longtemps incarnée par le parti unique. Les têtes connues pour leur implication dans l’ancien système dans ce qu’il a de plus abject (corrompus et corrupteurs) a fait l’objet d’une opération visant à assainir le pays de la gangrène de la corruption. Seuls les corrompus présumés sont à ce jour touchés, quid des corrupteurs et autres corrompus notoires laissés encore à l’ombre du pouvoir de fait ?
Fin de l’oligarchie enrichie par la quasi-généralisation du gré à gré ; ce qui explique sa mainmise sur tous les marchés : BTP, agroalimentaire, communications ? Et quid du pouvoir politique dont la marque de fabrique a été la violation des dispositions constitutionnelles ? Le fait du prince est toujours d’actualité. Mise à nu du système économique, miné par la rente pétrolière qui subit de plein fouet les coups de boutoir de ce fléau favorisant ainsi l’affairisme d’Etat. L’élection présidentielle de décembre 2019 restera comme un énième remake du pouvoir mettant en scène l’illégitimité, son domaine de prédilection. Alors «Yetnahaw gaa» ! Jusqu’où ira ce pouvoir dans sa quête éperdue dans la confiscation du rêve désormais à portée de mains pour un monde meilleur au peuple des jeunes ? Quel projet politique pour le Hirak ?
Quoique puissent dire certains, Omar pense que le Hirak a mis fin à la présidence à vie. Et pour cause, le président déchu qui pensait n’avoir de compte à rendre à personne, encore moins au peuple (ni même au Parlement pour un éventuel contrôle de sa politique), Ahl El Hirak ont dit NON, non seulement à l’infamie du 5ème mandat, mais également au système en place depuis l’indépendance sans résultats efficients pour le bonheur du peuple. Omar pense même que le Hirak devrait instaurer le pouvoir à points. Et pour cause, l’Algérie a payé un lourd tribut à la démocratie : 1000 milliards de dollars (outre les pertes en vies humaines et en infrastructures économiques durant la « décennie noire »). Et, pour le président déchu, vingt ans. Ainsi, quels qu’en soient les tenants et aboutissants, le Hirak démontre que le « chahut de gamins » n’a pas cessé. Il a même redoublé pacifiquement d’intensité pour signifier la fin de la ruse pour le maintien au pouvoir du régime et de ses affidés -dont les oligarques constituent le noyau dur- à travers le principe galvaudé de la « continuité »… du régime.
Pour Omar, ce qui est à craindre, c’est que le nouveau pouvoir fera de même, alléguant par avance de la légitimité des urnes quoique celle-ci est pacifiquement contestée par le hirak. Ce, pour continuer le même régime (équipollent à un 5ème mandat ?) et le même système (légitimité dite « révolutionnaire » sous une forme ou une autre, incarnée encore par les « seigneurs de la guerre » encore présents sur la scène politique algérienne). Il faut donc s’attendre au retour du principe de la continuité du régime (et de la reconduction de l’obsolète système politique) davantage que la continuité de l’Etat refondé dans le cadre d’un nouveau système politique par un pouvoir constituant souverain. Dans cette perspective, toute nouvelle constitution rejoindrait, en l’état actuel, la galerie des textes ésotériques sans incidence significative sur la réalité du pouvoir.
A ce jour, seule la voix du Hirak demande un changement conséquent vers un système politique expurgé de ses scories d’autant que la participation des citoyens au pouvoir est des plus réduites. Les assemblées locales comme l’Assemblée nationale sont liées au régime en place. Et, constitutionnellement, la concentration des pouvoirs continue d’être au seul bénéfice du président de la République, toujours ministre de la Défense nationale, principal pourvoyeur aux postes civils et militaires d’envergure et la possibilité de légiférer, concurremment au Parlement, par voie d’ordonnances qui devraient garder leur caractère exceptionnel (sur la petite lucarne, seule la notion infâmante de « fakhamatouhou » a été gommée).
Omar pense que la société civile est le réel contre-pouvoir à même de contrôler les institutions politiques, administratives et judiciaires du pays. A défaut, la situation qui prévaut actuellement gomme toute chance sérieuse d’accès à la citoyenneté des Algériens en les faisant participer, par voie référendaire par exemple, tant à l’organisation qu’au fonctionnement des institutions appelées à prendre en charge leur devenir. Ce, plutôt que de confier notre sort aux panels et autres comités d’experts.
Ainsi, le Hirak peut demander la fin du présidentialisme, c’est-à-dire le régime dans lequel la Constitution accorde au président de la République des pouvoirs exorbitants, sous le seul contrôle de la Direction de l’Armée considérée comme son principal bailleur de pouvoir.
Pour Omar, le big bang politique tant attendu depuis l’indépendance de l’Algérie tarde encore. Le Hirak n’a hélas pas réussit l’exploit d’instaurer un nouveau système politique en achevant définitivement l’ancien régime, en s’émancipant de toute tentative de manipulation et de récupération ? C’est essentiellement au peuple (et singulièrement du peuple des jeunes) de répondre en faisant sienne la légitimité démocratique. Et le fondement de celle-ci se trouve être le suffrage universel, l’idée de légitimité ne se limitant plus à l’établissement d’un gouvernement ou à celui de l’État et à la vie sociale. Elle s’étend aux activités gouvernementales ou étatiques et à l’analyse des phénomènes du pouvoir, de la vie politique et des conditions socio- économiques…
Tout ou presque est à refaire pour une authentique refondation de l’Etat et une nouvelle politique économique et culturelle avec les assises d’états généraux et des élections par la base avec le Hirak. En ce sens et dans cette perspective, l’expression inappropriée et galvaudée ici et là de « personnalités nationales » semble à Omar de peu de consistance et inopérante pouvant encore rappeler inutilement et inopportunément celle d’ « hommes providentiels ». « Harkis du système » (sic) ou « commis de l’Etat » seraient sans doute des expressions plus appropriées.
Car enfin de quoi ces « personnalités » sont-ils le nom ? Si l’Algérie a fait le deuil des « chefs historiques », pourquoi devrait-on galvauder des « hommes providentiels », « sauveurs de la nation » et autres « personnalités nationales » ? Le Hirak ne représente t-il pas quelques quarante millions de personnalités ?
Dans ses réflexions, Omar a pensé qu’il y avait sans doute lieu de structurer le hirak (en faire un parti ?). Le, hirak, élément moral structurant d’une révolution en évolution ? A méditer : le peuple des jeunes peut désormais constituer, sans intermédiaire, une force politique autonome en dehors même des partis politiques (les appendices du pouvoir comme ceux de l’opposition), des syndicats classiques, des éventuelles ONG préfabriquées et des associations sans canaux de communication avec les citoyens.
Car demeure toujours d’actualité l’équation fondamentale suivante : comment réconcilier les Algériens avec les impératifs de développement politique (la démocratie), le développement économique (impulser une politique efficace de l’investissement et rentabiliser le parc industriel existant, dans le cadre d’une économie forte et sociale de marché), le développement social (l’émancipation des travailleurs avec la mise en place d’une nouvelle législation sociale), le développement culturel (renouveau linguistique et remise à flots des créateurs dans l’ensemble des domaines artistiques) et la justice sociale conçue comme pierre d’angle de tout projet cohérent. Le principe, premier ? Comment se gouverner (plutôt qu’être gouvernés) ! Pour ce faire : s’auto-organiser et se doter d’une plate-forme politique. Le chemin est encore long… (A suivre)
Ammar Koroghli-Ayadi, auteur-avocat
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