Pourquoi en est-on arrivé là ? Mektoub répondent, narquois, certains des interlocuteurs de Omar. Pourquoi sommes-nous arrivés à nous exiler comme tant d’autres ? Surtout que, de plus en plus, on ressent vis-à-vis d’eux de l’arrogance qui respire l’appel à l’instinct de rejet de l’étranger.
Les migrants ont dépensé leurs plus belles années pour défendre et aider à construire la France d’aujourd’hui. Ils sont dépouillés du plus élémentaire droit de vote aux municipales tant promis par une gauche qui s’est reniée depuis, laissant le soin à une certaine droite reprendre démagogiquement cette question.
Certains pays européens moins illustres que la France l’ont pourtant réglée depuis des lustres ; pour certains, depuis les années soixante-dix, à un moment où les ressortissants de certains pays européens n’ont même plus besoin d’avoir un titre de séjour pour leur installation en France alors qu’eux continuent à subir souvent de plein fouet le chômage, l’habitat précaire et les échecs scolaires de leurs enfants, le tout avec uen avalanche de discours haineux devenus endémiques sur les chaines de TV …
Les migrants et leur progéniture née en France ont même été qualifiés de « racaille » ! Et, après de bons et loyaux services dans les colonies comme en Métropole, on a pu dire à leur endroit que « la France ne peut accueillir toute la misère du monde » – alors qu’elle y a contribué – et d’« invasion »… Chacun y va de ses bons mots à défaut d’apporter des remèdes sérieux et efficaces aux maux qui rongent les banlieues et les cités. Il est vrai que depuis longtemps déjà, les banlieues et les migrants sont devenus des thèmes récurrents dans le débat politique qui agite le microcosme de la classe politique française, droite et gauche confondues.
Ils sont en effet devenus une équation à multiples inconnues…sans réels moyens humains, financiers et techniques pour mettre en place une véritable politique à l’égard des citoyens de banlieues, de leur permettre d’exister, de s’exprimer sur leurs conditions et de se sortir de leur galère : logement, emploi, scolarité…
Les citoyens de banlieues ne veulent plus être considérés comme des boucs émissaires… Et d’aucuns se doivent d’éviter tout climat de tension exacerbée en jetant de l’huile sur le feu pour que cesse cette escalade insensée et privilégier le dialogue par une communication appropriée en usant de vocables à tout le moins courtois ; les citoyens de banlieues constituent un bon pactole de voix qu’il faudra constamment courtiser et venir chercher à chaque moment opportun. Et ce n’est certainement pas par le gourdin et les vocables de mauvais goût qu’on y parviendra… Les événements ne manquent pas pour montrer que la question de l’immigration reste hélas toujours d’actualité…
La « xénophobie d’Etat » a, selon certains, tué plusieurs personnes « sans papiers », ainsi une Chinoise et un Malien qui ont, à leur corps défendant, tenté d’éviter un contrôle d’identité. Ils sont devenus les victimes des lois contraignantes et de plus en plus répressives. Il ne s’agit pas là de simples faits divers. Il y a eu mort d’homme et de femme ; et rien qu’à Paris, il suffit de rappeler la situation des « retenus » dans les centres de rétention -au dépôt du palais de justice-, pour constater, a contrario, l’insécurité vécue par les étrangers…
Omar se remémore le mot de Nelson Mandela : « Quand j’étais étudiant, on m’avait enseigné qu’en Afrique du Sud, la loi était souveraine et s’appliquait à tous les citoyens, quel que soit leur statut social ou leur position officielle. J’y croyais sincèrement et j’envisageais une vie fondée sur ce postulat. Mais ma carrière d’avocat et de militant m’avait dessillé les yeux. J’ai constaté qu’il y avait une énorme différence entre ce qu’on m’avait enseigné dans les salles de cours et ce que j’avais appris dans les salles des tribunaux. » (Un long chemin vers la liberté).
Heureusement qu’il existe des femmes et des hommes de bonne volonté capables de muer leur révolte, face à ces situations exécrables, en actes positifs pour la défense des immigrés. Il est tout naturellement heureux que puissent exister des consciences à ce point pétries d’humanité et de convictions de nature à secouer l’injustice jusqu’à ce que liberté s’ensuive. Mais, pour autant, a-t-elle réussi à expurger de son corps social tout germe de rejet de l’élément dit étranger ?
Omar ne cesse de s’interroger, au regard de ces faits non anodins pour les milliers, voire les millions, d’étrangers que sont les migrants jugés de plus en plus persona non grata, faits qui mettent à nu les mécanismes de dégradation de la condition humaine déjà mal en point. Faut-il élaborer et faire voter des textes passoires laissant les frontières à l’air libre ? Nul besoin. La volonté des laissés-pour-compte à travers le monde, dit tiers, défiera toujours les schèmes mentaux marqués par l’esprit policier et bureaucratique. Le credo « surveiller et punir » à outrance e pays frileux annonce des Etats de droit policiers. La fermeture des frontières, au motif de la sécurité, est contestable. La faim chasse la peur. Tel est le postulat qui a traversé les siècles.
Accoler « l’identité nationale » à un département ministériel consacré à l’immigration est en soi une ineptie pour un pays démocratique ; et ce à l’heure de « la mondialisation » et du village planétaire qui s’annonce de plus en plus et à l’heure de l’élargissement de l’Europe à des Etats dont la situation de sous-développement le dispute à l’absence de démocratie ; certains de ces Etats n’ont rien à envier aux Etats maghrébins.
Se doter, mezza voce, d’une législation à même de prémunir l’Europe d’éléments étrangers – déjà inhabiles – jugés corrupteurs des « identités nationales » contredit, en tout cas limite, de façon certaine, la profession de foi relative aux droits de l’homme. Au demeurant, quels droits pour quel homme ? Omar espère que les uns et les autres arriveront à tempérer leur ardeur de donneurs de leçons de démocratie. Le village planétaire souffre déjà de moult maux où les nations ressemblent de plus en plus à de nouvelles tribus dont certaines cultivent l’identité nationale comme un fétichisme, alors que d’autres sont largement prisonnières du mal développement, des décisions arbitraires des « grands » de ce monde pour l’accès pour tous aux richesses culturelles et matérielles et, bien entendu, de l’injustice au quotidien de gouvernants souvent illégitimes qui poussent de plus en plus les jeunes à la harga…
Sans doute Mandela a-t-il raison de dire : « Si autrefois, j’avais considéré la loi de façon idéaliste comme l’épée de la justice, aujourd’hui je la vois comme un outil utilisé par la classe au pouvoir pour façonner la société dans un sens qui lui était favorable. Je ne m’attendais jamais à la justice dans un tribunal même si je luttais pour elle et parfois je la rencontrais »…(A suivre)
Ammar Koroghli-Ayadi, auteur-avocat
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