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Récit-feuilleton. Exils (VIII)

Après chaque été passé à la campagne, il s’habitua à aller à l’école dès septembre où il commença alors à apprendre à se socialiser avec ses camarades de classe et à prendre conscience de l’importance de la chkoula, même si certains souvenirs demeurent désagréables.

Frappant. Un souvenir frappant déambule dans sa tête. Dès les premiers jours de la rentrée scolaire, un fâcheux événement le marqua. Et comment ! Alors qu’ils sortaient  dans la cour, en récréation, l’un de ses camarades de classe le poussa par jeu sans doute. Ou par empressement. Il se  retrouva la tête en premier sur le sol.

Une grosse bosse sur le front. Pleurs. Récriminations à l’endroit de Rachid. C’était l’auteur de ce coup. Quelqu’un lui colla une pièce de monnaie à l’endroit de la bosse pour éviter, lui dit-on alors, que la bosse n’enflât démesurément. C’est ce qu’on pourrait appeler un souvenir frappant, n’est-ce pas ? Il se rappelle même qu’il portait une veste assimilée cuir avec une petite fourrure.

Récit-feuilleton. Exils (VII)

Bizarrement, peu d’autres faits de l’enfance arrivent à émerger. Impossible de percer l’écorce de la mémoire sur les deux premières années de l’école primaire, si ce n’est les jeux avec la pâte à modeler et le remplacement de leur maîtresse par un instituteur fort sévère ; à l’aide de ses deux pouces, il lui arrivait de leur frictionner les cheveux au niveau des tempes jusqu’à les faire crier de douleur. Fort heureusement, il ne leur rendait visite que par intervalles irréguliers.

Parmi ses camarades de classe d’alors, Bouzid. Il lui arrivait de se confier à lui. A propos d’un complexe qu’il aurait cultivé. Il lui semblait qu’il était un mal aimé. A cause de la couleur noirâtre de sa peau. Il le rassurait alors. Ils avaient en commun la passion du dessin ; ce qui les liait d’autant plus qu’ils faisaient le même chemin pour rentrer chez eux, à lèdjnèn. Dès la seconde année de l’école, ils rivalisaient déjà à qui mieux mieux en cette matière. C’est cette année qu’il eut  l’occasion de tester la lourde main de son père sur sa joue à propos de son classement…

Et pourtant sa mère le suppliait alors de boire son café. Pour la énième fois. Café qu’elle lui réchauffait souvent. C’est qu’il n’avait d’yeux que pour ses devoirs et ses récitations, avant de manger et de sortir pour jouer avec les gamins de son quartier. Ce quartier où ils échouèrent fut un épisode des plus cruels de leur existence ; il leur fit prendre davantage conscience de leur indigence. Leur vulnérabilité. Point de jouets. Et la morgue de l’un d’eux qui se mêlait peu à leurs  jeux, se contentant de les observer de loin. Il est vrai qu’il habitait avec ses parents l’une de ses villas classées biens vacants.

Capitaine de son état, le père -ou l’oncle- était alors bien placé pour accéder à ce type de logement. Au moment où leurs parents furent voués à remplir les camions qui les déversaient en ville pour manifester, scandant « Tahya El Jazaïr. Yahia Ferhat Abbas. Yahia Ben Bella ». Les dures journées passées dans les stades, en état d’arrestation, n’avaient pas été comptabilisées pour faire d’eux des héros de la révolution. Ils figurent parmi les innombrables oubliés de l’Histoire. Comme ils ne pouvaient hélas se dire enfants d’un tel, martyr ou ancien moudjahid, leur progéniture hérita d’une situation similaire somme toute…

L’école était leur refuge. Le seul. Malgré de vifs souvenirs. Ainsi, affleure à sa mémoire le dialogue surréaliste entre sa mère et son institutrice du cours élémentaire d’alors, Madame Simone. Et l’hilarité générale de ses camarades de classe. Sa mère tentait d’expliquer à celle-ci son intrusion dans la salle de classe. En daridja. Face à son institutrice passablement médusée, mais qui se comporta envers elle avec une gentillesse pédagogique. Elle l’écoutait en silence, opinant du chef. Tantôt sérieuse, tantôt amusée. Ses camarades de classe avaient sous les yeux l’exemple typique de la communication incompréhensible du fait de la barrière des langues, chacune méconnaissant la langue de l’autre. Omar n’oubliera cependant pas cette gentillesse extrême de Madame Simone envers sa mère.

Parce que humaine et femme, elle comprit l’inquiétude de Dahbia l’Algérienne pour son fils. C’est ainsi qu’ils découvraient que les Français n’étaient pas tous les mêmes, certains étant plus proches de leurs préoccupations et préféraient sans doute alors partager leurs vies avec eux, faisant de leur métier d’instituteurs un véritable sacerdoce.

Il est vrai que sévissait alors un climat séditieux. C’était le temps de l’OAS. Sa mère n’hésita pas à s’envelopper de la légendaire mlaya des femmes des Hauts plateaux et courut à perdre le souffle pour arriver à l’école. Le bruit de l’explosion d’une bombe courut comme une traînée de poudre. Essoufflée, mais non décontenancée, sa mère voulait s’assurer qu’il étais vivant.

Courageuse mère qui, toute d’inconscience, n’écouta que son instinct maternel à tout rompre pour se lancer dehors -lieu quasi exclusivement masculin- pour l’amour de son fils. Ce courage ne devait plus se démentir plus tard durant les nombreuses et sombres années qu’elle vécut après l’indépendance en prenant d’assaut l’administration alors naissante afin de briguer la moindre parcelle de droit.

Après maintes explications ponctuées par des tentatives d’interprétariat de quelques camarades, Madame Simone finit par comprendre l’objet de la visite de sa mère et l’invita à repartir avec elle, sous les gentils quolibets de ceux-ci. Il ne sait à ce jour pourquoi il choisit de rester en classe. Sans doute la hechma, cette légendaire propension à adopter une attitude d’humilité mêlée de timidité. Ce, en dehors de l’insistance de sa mère. Il est vrai aussi qu’elle n’était pas la seule mère à avoir fait le déplacement. Les femmes aux mlayas étaient venues en nombre, inquiètes pour leur progéniture devant cet acte de terrorisme qui ne disait pas son nom.

Une connivence solidaire les conduisit à la porte de la chkoula et les amena à faire bloc afin de pénétrer dans cette enceinte de l’instruction qui les séparait de leurs enfants. Il ignore à ce jour comment il leur a été permis de rentrer et de faire irruption dans les classes. Comme quoi, lorsque la volonté est là, des barrières peuvent tomber. Et non des moindres… (A suivre)

Ammar Koroghli-Ayadi, auteur-avocat 
Email : akoroghli@yahoo.fr

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