La grâce royale pour les journalistes et blogueurs Tawfiq Bouachrine, Omar Radi, Suleiman Raissouni, Saida Al-Alami, Reda Al-Tawjani, Youssef Al-Hirash et Moul Al-Qartasa et d’autres, n’aurait de sens que si les autres, de notre Rif combatif et à leur tête Nasser Zefzafi, Djelloul ou Ahamjiq retrouveraient la leur.
La grâce royale : traiter l’exception et non l’ensemble, c’est justement à cela que servait la grâce au Moyen Âge… (1) Mais cette justice au cas par cas a-t-elle un sens pour la société entière ?
Une justice où le droit de grâce, un pouvoir régalien, c’est-à-dire un droit royal avec sa mise en en scène liturgique, bien nous rappeler la place et le rôle du pouvoir royal. Le roi tient son pouvoir de Dieu, il protège, il guérit … et il sauve de la peine lourde ou légère quand lui semble. Et peut importe ce qu’il pense du pourquoi du comment ; le gracié s’est retrouvé sujet de sa grâce !
Cela renforce son pouvoir politique, en créant un possible lien direct entre lui et ses sujets. Le roi est en quête permanente d’incarnation de la justice, sans se plier à ses impératifs. Le roi, en décidant d’user de son droit de grâce d’une partie et non de la totalité des condamnés sur un même dossier (la chose jugée étant la même et faisant autorité), fait que ses grâces ne venaient pas arbitrairement s’opposer à des décisions judiciaires.
En fait, la grâce, dans le logiciel de la monarchie, sert à améliorer la justice. Son discours bien rodé nous explique qu’elle n’était pas un passe-droit de l’exécutif suspendu au-dessus du pouvoir judiciaire, elle est un contrepoids nécessaire dans un système de répression dur.
Oui, mais tout ça nous vient d’où ? Il est le symbole emblématique de la monarchie moyenâgeuse sous couvert d’une modernité de façade ! Nous nous retrouvons donc face à une justice qui ne s’applique pas partout et pour tous. Elle est faible avec les forts (les fraudeurs fiscaux, les corrompus, les abus des biens publics..) et forte avec les faibles (les ouvriers des mines, les abandonnés du Rif ou d’autres mouvements…).
Elle lourde pour une revendication d’un hôpital ou d’une école ou de l’emploi et absente pour des milliards sous-tirés aux deniers publics. Lorsqu’elle frappe, elle doit frapper fort. Elle le fait « pour l’exemple de tous » : une condamnation à vingt ans de prison ne frappe que le condamné, certes mais toute la population de la région est indirectement concernée.
Les discoureurs de ces logiques de grâce nous expliquent qu’elle se détermine par les limites entre les actions acceptables, celles inacceptables, et puis les autres. Dans ce cas, qu’est-ce qui fait que les actions portées par l’ensemble des Hirakistes (cahier de doléances en 21 points – ou 5 autres de Jerada), soient acceptables pour les « graciées » et inacceptables pour autres ?
La mécanique de la grâce royale (et même présidentielle dans certaines démocraties) voudrait qu’elle s’applique aux cas les plus symboliques, notamment liés aux colères sociales considérées légitimes par le détenteur du droit de grâce lui même.
La grâce annoncée par le roi, bien qu’elle suit un discours légitimant les causes du Hirak et ce dès le 29 Juillet 2017, limite à certains ‘‘cas’’ et se garde d’épouser une ‘‘cause’’. Elle est « clémente » mais demeure injuste.
Grâce ou pas, nous demeurons dans l’exemplarité de la peine, tempérée par le recours au pardon que le roi peut aller jusqu’à proclamer comme un oubli total en abolissant le motif de la condamnation pour les uns et en le perpétuant pour les autres.
Mohamed Bentahar, militant politique marocain
(1) Jacques Krynen, L’Empire du roi. Idées et croyances politiques en France, XIIIe-XVe siècles, Paris, Gallimard, 1993.