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Réflexions critiques sur « L’Algérie juive » de Hedia Bensahli

Réflexions critiques sur "L’Algérie juive" de Hedia Bensahli

La publication de « L’Algérie juive – L’Autre moi que je connais si peu », signée Hedia Bensahli, est un événement littéraire de 2024 qui suscite des interrogations profondes sur l’histoire occultée de l’Algérie.

Cet ouvrage, salué pour sa rigueur documentaire et sa finesse d’analyse, propose une immersion dans un passé oublié, celui des Juifs d’Algérie, et met en lumière une pluralité mémorielle longtemps niée ou minimisée dans les discours officiels. Bensahli nous pousse à réexaminer la complexité de l’identité algérienne à travers une réflexion critique sur la mémoire, la marginalisation et la réconciliation avec notre propre histoire.

1. Une mémoire longtemps refoulée

Le projet de Hedia Bensahli est ambitieux. Il ne s’agit pas simplement d’évoquer la présence juive en Algérie, mais de la replacer dans une trajectoire historique multimillénaire, souvent effacée du récit national.

En restituant la profondeur historique des Juifs d’Algérie, l’autrice soulève des questions fondamentales sur l’identité de ce pays et les dynamiques de refoulement qui l’ont traversée. Loin de toute nostalgie ou de simplification, l’essai montre que la mémoire est un terrain de lutte où s’opposent des forces de conservation et d’effacement.

Le mérite de cet ouvrage réside dans sa capacité à traiter la question juive non comme un événement isolé, mais comme un prisme à travers lequel se dévoilent les fractures profondes de l’histoire algérienne. Cette histoire des Juifs d’Algérie est intimement liée à celle des autres composantes de la société, qu’il s’agisse des Berbères, des Arabes, ou des influences chrétiennes et païennes qui ont, chacune à leur manière, contribué à façonner le pays.

2. Entre mémoire et identité : réhabiliter une pluralité négationnée

Ce que Bensahli expose avec une lucidité implacable, c’est l’entreprise systématique de négation de la pluralité identitaire algérienne. À travers son analyse, elle démontre que la suprématie d’un récit monolithique, centré exclusivement sur l’arabo-islamisme, a non seulement marginalisé la culture juive, mais a également minimisé l’amazighité, elle-même reléguée au second plan dans la construction de l’État postcolonial. Cette homogénéisation forcée, qui a servi à cimenter l’unité nationale, s’est faite au prix de la diversité intrinsèque de l’Algérie.

L’essai invite donc à repenser l’identité algérienne à travers le prisme de la pluralité, en replaçant les Juifs, les Berbères et d’autres minorités au cœur du récit historique. Le dialogue entre ces identités est, pour Bensahli, non seulement essentiel pour comprendre l’histoire de l’Algérie, mais il est aussi un moyen de guérir les blessures laissées par les politiques d’effacement. L’autrice plaide pour une réintégration de ces mémoires refoulées afin de dépasser les divisions imposées par l’histoire coloniale et postcoloniale.

3. L’amalgame perpétuel : judaïsme et sionisme

Un des points saillants de l’essai réside dans la distinction claire que fait Bensahli entre judaïsme et sionisme, distinction souvent ignorée dans les débats contemporains. Elle met en garde contre l’amalgame qui fait du Juif un éternel étranger en le rattachant artificiellement à des questions géopolitiques étrangères, en particulier le conflit israélo-palestinien. Cet anachronisme idéologique contribue à renforcer une forme de rejet injustifié, alors que l’histoire des Juifs d’Algérie n’a rien à voir avec le sionisme contemporain.

Ce faisant, Bensahli interroge les mécanismes d’exportation des conflits extérieurs dans les débats algériens, qui servent souvent à occulter des questions internes cruciales. Elle rappelle, à juste titre, que l’histoire des Juifs d’Algérie doit être comprise dans son propre contexte, sans être réduite aux dynamiques modernes du sionisme ou de l’antisémitisme. Ce rappel de la complexité et de la spécificité des trajectoires historiques algériennes constitue l’un des apports les plus précieux de l’ouvrage.

4. L’Algérie face à ses fantômes

Au-delà de l’étude historique, L’Algérie juive est un ouvrage qui nous engage dans une réflexion sur la manière dont les nations se confrontent à leur passé. En abordant la question de la mémoire juive, Bensahli s’inscrit dans une démarche de réconciliation, non pas une réconciliation illusoire qui masquerait les divergences, mais une réconciliation avec la vérité historique.

Reconnaître la contribution des Juifs à l’histoire de l’Algérie, c’est reconnaître que l’identité algérienne a toujours été plus diverse et complexe que ce que les récits officiels ont laissé entendre.

L’autrice élargit ainsi la question de la mémoire juive à celle, plus générale, de la fragmentation mémorielle en Algérie. L’oubli des Juifs ne constitue qu’une part d’une amnésie plus large qui concerne également d’autres composantes marginalisées de l’identité algérienne. Ce qui est en jeu, selon Bensahli, c’est la capacité de l’Algérie à intégrer pleinement son passé dans la construction de son présent, à accepter ses multiples héritages sans les hiérarchiser ou les occulter.

5. L’appel à une nouvelle lecture de l’histoire

Bensahli, à travers L’Algérie juive, propose une lecture radicalement nouvelle de l’histoire nationale. Elle nous rappelle que la construction d’une identité nationale véritablement inclusive nécessite non seulement de reconnaître les ombres du passé, mais aussi de les embrasser comme des composantes essentielles de l’être collectif.

L’Algérie ne peut se comprendre en rejetant ou en refoulant certaines parties de son histoire ; elle doit, au contraire, puiser dans la diversité de son héritage pour se réinventer.

Ce livre invite également à une réflexion plus large sur le rôle de l’intellectuel dans la société contemporaine. En mettant en lumière des aspects oubliés ou marginalisés de l’histoire algérienne, Hedia Bensahli s’érige en défenseuse d’une pensée critique et libératrice.

Elle incite ses lecteurs à adopter une posture d’ouverture et de questionnement, à refuser les récits simplistes et univoques qui étouffent la richesse de la réalité historique.

6. Une mémoire à reconquérir

L’Algérie juive – L’Autre moi que je connais si peu est plus qu’un simple essai historique ; c’est une œuvre de réhabilitation mémorielle et un manifeste pour la reconnaissance d’une pluralité identitaire trop longtemps négligée. À travers ce texte, Hedia Bensahli engage une réflexion philosophique sur la nécessité d’accepter la complexité de l’histoire pour construire une société plus juste, plus ouverte et plus inclusive.

Ce livre est une invitation à la réconciliation non seulement avec le passé, mais aussi avec nous-mêmes. En dévoilant les multiples strates de l’identité algérienne, en rappelant que l’Algérie a été juive, chrétienne, amazighe, et tant d’autres choses encore, Bensahli pose les bases d’une réflexion cruciale pour l’avenir : celle d’une nation capable d’assumer sa diversité sans crainte, de reconnaître ses fractures sans les instrumentaliser, et de s’unir autour de la richesse de ses mémoires partagées.

Bouzid Amirouche

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