Site icon Le Matin d'Algérie

Réforme du code minier : rejouer le scénario Chakib Khelil sans Chakib Khelil ?

mines

Les mines algériens sous convoitise

« Chaque époque a-t-elle son Chakib Khelil ? » La formule est mordante, mais pas gratuite. Postée sur les réseaux sociaux par Sofiane Djilali, président de Jil Jadid, au lendemain de l’adoption par l’Assemblée populaire nationale (APN) du nouveau projet de loi sur les activités minières, elle remet en perspective un débat que les autorités s’efforcent de contourner : celui du contrôle national sur les ressources stratégiques.

Car derrière l’enthousiasme officiel, la réforme soulève de sérieuses interrogations. Le texte, présenté comme un outil de modernisation du secteur minier et de diversification de l’économie, redéfinit en profondeur les modalités de participation des partenaires étrangers. Il fixe désormais à 20 % la part minimale que doivent détenir les entreprises algériennes dans les projets d’exploitation de nouveaux gisements.

Un seuil plancher que le ministre de l’Énergie, Mohamed Arkab, a tenu à présenter comme une « garantie » : « 20 % ne constituent pas une limite, mais une garantie », a-t-il assuré devant les députés, insistant sur le fait que les entreprises nationales gardent toute liberté de négocier une part supérieure avec leurs partenaires.

Une réforme votée en catimini

Pour les voix critiques, cette réforme s’est déroulée dans une discrétion jugée préoccupante, avec un texte adopté presque à huis clos par une Assemblée souvent perçue comme peu autonome. L’ensemble de la démarche semble s’inscrire dans une continuité de pratiques peu transparentes, en décalage avec les aspirations d’une société qui réclame plus de clarté et une véritable rupture avec les méthodes du passé.

Il est d’ailleurs utile de rappeler qu’un projet similaire, porté à l’époque par Chakib Khelil sous la présidence de Abdelaziz Bouteflika, avait été retiré face à la forte mobilisation de l’opinion publique.

La saillie ironique de Sofiane Djilali n’a rien d’un simple trait d’esprit : elle sonne comme un diagnostic implacable. Dans un style pince-sans-rire, le président de Jil Jadid dénonce la volonté des décideurs économiques actuels de rejouer le scénario Chakib Khelil sans Chakib Khelil.

Derrière le discours lissé de l’ouverture aux investissements étrangers, il pointe le risque d’un bradage méthodique des richesses nationales, maquillé sous les habits séduisants de la modernisation et de la compétitivité. Un rappel brutal que, sous couvert de réformes, le capital étranger pourrait bien être le principal bénéficiaire d’une souveraineté progressivement érodée.

Le parallèle avec la méthode de  « Monsieur énergie » (Chakib Khelil) du défunt Bouteflika n’est pas anodin. À l’instar de ce qui s’est joué dans les années 2000, les nouvelles orientations économiques prennent aujourd’hui appui sur le discours de la “modernisation”, de “l’attractivité” et de “la simplification”, mais au prix d’une souveraineté fragmentée.

Entre incitations et renoncements

Le gouvernement se défend en expliquant que la règle s’applique uniquement aux gisements encore inexplorés, où les partenaires étrangers assument les risques initiaux. Ce n’est qu’une fois le potentiel de rentabilité établi que les entreprises algériennes entrent officiellement dans les projets avec une part minimale de 20 %.

En apparence, il s’agit d’un “partage des risques”. En réalité, soulignent plusieurs experts, cette architecture juridique revient à laisser le contrôle effectif des gisements à des intérêts extérieurs, en limitant l’influence nationale aux marges. Certes, la loi ouvre la voie à des négociations pour porter la participation nationale au-delà du seuil minimal. Mais dans les faits, qui aura le pouvoir de négocier ? Et dans quel cadre ?

Un texte préparé de longue date, mais peu discuté publiquement

Mohamed Arkab a rappelé que la loi est le fruit de trois années de concertation avec les parties concernées, affirmant qu’elle vise à lever les blocages bureaucratiques, renforcer le contenu local, garantir la transparence et la protection de l’environnement.

Mais la critique ne porte pas sur la méthode, elle vise le fond : le désengagement progressif de l’État dans des secteurs stratégiques au nom d’un libéralisme économique qui, jusqu’ici, a souvent servi de prétexte à des réseaux opaques d’enrichissement.

La réforme mineure apportée à l’article 102 – qui remplace un plafond de 20 % par un plancher – n’a pas dissipé les soupçons. Pour Sofiane Djilali, elle reste « une concession de souveraineté maquillée sous le vernis de la modernisation », contraire à l’esprit même de la Constitution.

La mémoire du passé, le spectre du futur

Ce débat dépasse le secteur minier. Il réveille les traumatismes d’une décennie de scandales liés aux hydrocarbures, aux concessions de projets structurants et à une gouvernance économique fondée sur l’opacité. Ce passé encore récent incite à la vigilance.

Dans l’Algérie d’aujourd’hui, les mécanismes de contrôle démocratique restent faibles. L’APN, telle qu’elle fonctionne, n’offre ni contre-pouvoir ni espace d’expression pluraliste. Dans ce contexte, chaque réforme économique est lue à travers le prisme d’une méfiance persistante.

Quel cap pour la souveraineté économique ?

Le dilemme est clair : comment attirer l’investissement étranger sans brader les intérêts nationaux ? La réponse ne peut être exclusivement juridique. Elle suppose une vision stratégique claire, portée par un débat public réel, transparent, impliquant les forces vives du pays.

En tentant un exercice d’équilibre entre ouverture économique et maintien d’un ancrage souverain, le gouvernement s’expose à des critiques qui ne relèvent pas seulement de l’idéologie, mais d’une expérience historique douloureuse. L’exploitation des ressources nationales est une ligne rouge pour une large partie de la société – pas seulement pour des raisons économiques, mais parce qu’elle touche au cœur du pacte national.

En définitive, la question posée par Sofiane Djilali continue de hanter les débats : l’Algérie post-Bouteflika saura-t-elle éviter les errements de l’ère Chakib Khelil, ou en reproduit-elle déjà les logiques, sous un vernis neuf ?

Sofiane Ayache

Quitter la version mobile