Honorant de sa présence la 17e édition du prix Ali-Maâchi pour les jeunes créatifs, aménagée jeudi 08 juin 2023 dans le cadre de la « Journée nationale de l’artiste », le chef de l’État Abdelmadjid Tebboune distinguait au Centre international des conférences Abdelatif Rahal (CIC, Alger) les lauréats des filières cinéma, théâtre, littérature, arts plastiques, musique et danse, soit des comédiens, dramaturges, romanciers, poètes, peintres, sculpteurs, musiciens et chorégraphes.
La « famille des arts et de la culture » lui offrait alors en guise de remerciements, et comme « signe de reconnaissance de toute la communauté », une toile calligraphiée d’Hamza Bounoua. Habilité à rejoindre, le mardi 17 janvier 2023, la Commission de lecture et de soutien aux projets artistiques et littéraires, ce courtisan surfe sur un entrisme remarqué depuis au moins le 1er Novembre 2022.
Ce jour-là, il le confortait en recevant François Gouyette à « Diwaniya art Gallery » de Chéraga. Constatant les attaques répétées envers la langue de Molière, l’ambassadeur de France y sondait l’influence d’un entremetteur insistant sur « l’importance d’accompagner la culture aux côtés de la politique (…), de rassembler les Arabes autour d’un même mot, d’une même position et d’une vision unifiée » (Hamza Bounoua, in L’expression, 08 nov. 2022).
İnaugurée en marge de la célébration du déclenchement de la Guerre de libération et de la 31e session du « Sommet de la Ligue des États arabes », la monstration Formes arabes apportait donc sa «contribution au succès d’événements politiques importants (…) », adhérait pleinement au discours volontariste de l’heure, rejoignait des points de vue « que partage la galerie d’art depuis sa fondation » (İbidem).
L’orientation idéologique plaisant en haut lieu, le zélé Bounoua faisait, dès le lundi 26 décembre 2022, également partie intégrante du jury du Prix Ali-Maâchi, patronyme par ailleurs attribué au lycée national des Arts instauré à Alger trois mois plus tôt (mardi 27 septembre 2022).
Annoncé emblème de la relance culturelle globale, le nouveau bâtiment pilote érigé sur les hauteurs de la capitale (El Biar) « vise à former une génération d’artistes algériens imprégnés des composantes de l’identité nationale » (Soraya Mouloudji in Le Soir DZ, 30 sept. 2022) et, soulignait juste avant le 1er locataire d’El Mouradia, « a pour objectif de combler le vide artistique (…), de consolider nos fondements culturels et artistiques (…) en se basant sur nos références culturelles à l’instar du cinéma, le théâtre et la musique » (Abdelmadjid Tebboune, Conseil des ministres, 08 janv. 2023). Arcbouté au sacro-saint mantra de « Devoir de mémoire », et manifestant un intérêt croissant pour le cinéma qui « contribue à façonner l’esprit de l’individu algérien et de la société en général », Tebboune paraphera les postulats propres à « la préservation de l’identité nationale ancrée dans les profondeurs de cette terre glorieuse arrosée par le sang de nos ancêtres », s’attachera à exploiter le souvenir du martyr Ali Maâchi (parolier et musicien exécuté le 08 juin 1958 à Tiaret) et les interpellations politico-culturelles de l’ex-troupe artistique du Front de libération nationale (FLN).
Le coopté du 19 décembre 2019 visitera forcément l’exposition de photographies relatant de ses tournées informatives menées à travers le monde pendant le conflit armé. Abdelkader Bendamèche, le directeur de l’Agence algérienne pour le rayonnement culturel (AARC), la prorogera pour se mettre en conformité avec le double anniversaire du 20 août 1955-1956 (offensive du Nord-constantinois et Congrès de la Soummam).
Correspondant aussi à la « Journée nationale du moudjahid », la date donne l’occasion de projeter des documentaires (exemple, Le cinéma et la révolution) ou des longs-métrages traitant de la Guerre de libération. Elle servira notamment de « pré-texte » à huit diplômés de l’École nationale supérieure des Beaux-arts d’Alger (ENSBA) venus à la salle Frantz-Fanon de l’Office Riadh El-Feth (OREF) dans l’optique de « traduire l’esprit nationaliste et de restituer les sacrifices du peuple algérien face au colonisateur français ». Le fil conducteur de la thématique étant « la résistance et la lutte national, bastions du nationalisme et de la cohésion du peuple algérien pour la liberté et l’indépendance » (İn El Moudjahid, 22 août. 2023), des photos du film La Bataille d’Alger plongeaient le visiteur dans les atmosphères enfumées de la Casbah pendant que des dessins livraient les banals clichés de femmes en haïk, reflétaient les aspects du folklore citadin. En août 2023, la monstration Bab Dzaïr (Porte d’Algérie) conjuguait ainsi deux modulations iconographiques à appréhender comme synthétisation patrimonialo-identitaire entreprise dans le prolongement récupérateur du Hirak (le mouvement contestataire et populaire de février 2019) et aux lendemains du rapatriement (le vendredi 03 juillet 2021, veille de la célébration du 58e anniversaire de l’İndépendance) des restes mortuaires de résistants algériens décapités au XIXe siècle.
L’amplification nationalo-mémorielle explique concomitamment le décret du 21 mai 2023 réintroduisant au sein de l’hymne national « Kassaman » le couplet hostile à la France, un ajout ou « pièce jointe » que réclamaient avec insistance et véhémence les représentants de la « Famille révolutionnaire » (ici l’Organisation nationale des moudjahidine, des enfants de chouhada et associations rattachées à la mémoire).
Trente-sept années après sa diplomatique éviction, le régime militaro-nationaliste, réel détenteur du pouvoir décisionnel en Algérie, signe le solde de tout compte de la décolonisation des esprits, se débarrasse résolument des certifications culturo-éducatives de l’ex-intrus, met à ce titre en branle des campagnes inamicales conditionnant des femmes et hommes de culture nourris au biberon de la « Glorieuse révolution ».
Dès lors que l’adhésion au dispositif médiatico-propagandiste et hagiographique de resymbolisation ou recapitalisation génère en retour un financement parallèle propice à une meilleure visibilité et notoriété au cœur du paysage artistique, ces acteurs sociaux suivent mécaniquement la « Grande feuille de route », s’acclimatent au schéma mental en cours, s’arrangent identiquement avec le tournant répressif en vigueur depuis que le clan des Tagarins instrumentalise à outrance le système judiciaire et criminalise toute contestation.
Sa police politique multiplie les entraves aux libertés confessionnelles et culturelles, traque des hirakistes quotidiennement et arbitrairement menacés, les désignent à des procureurs corrompus ordonnant des condamnations expéditives.
L’anti-cosmopolitisme ou anti-pluralisme du Programme de Tripoli (mai-juin 1962) refait aujourd’hui surface en vertu d’un chauvinisme et conservatisme ambiants doublés d’un arsenal législatif et sémantique permettant de traiter de terroristes des francs-tireurs psychologiquement débarrassés des vanités et mythologies affiliées au martyr. Refusant de se soumettre aux dictats imposés, ils se sont délestés du poids des croyances au « Peuple Héros », croyances que la ministre de la Culture et des Arts, Soraya Mouloudji, s’échinait à rallumer durant le colloque « La résistance culturelle en Algérie durant la Révolution, une lutte pour la libération » (manifestation inscrite conformément au vaste programme culturel échafaudé autour de l’apologie du 60e anniversaire de la souveraineté nationale) préparé le 05 et 06 juin 2023 au Centre international des conférences Abdelatif Rahal (CİC, Alger).
Une fois passée l’emphatique cérémonie d’ouverture rendant hommage aux « artistes, personnalités, martyrs et moudjahidine ayant insufflé l’âme de la révolte aux Algériens », elle planifiait l’agenda-exégèse de chercheurs censés « collecter et documenter le patrimoine intellectuel, culturel et artistique de la lutte algérienne, constituer un capital de connaissances sur le rôle de la culture et des arts durant la Révolution.» (Soraya Mouloudji, in Horizons, 05 juin. 2023). À sa suite, des universitaires loueront « le rôle des chants patriotiques en matière de mobilisation » puis compareront la littérature de combat à un rempart érigé « contre l’aliénation », à une « école de militantisme et de libération révélant le sacrifice des héros de la Révolution et les exactions du colonialisme ».
L’empreinte environnementale du protectionniste culturel fermente similairement dans le cerveau de pasticheurs s’évertuant à faire revivre autant la résistance aux résidus néfastes du colonialisme que les beautés orientalisantes du patrimoine. Disposé à juxtaposer au même endroit (en l’occurrence à la galerie Aïcha-Haddad), d’un côté une série de toiles rappelant le rituel de récupération des dépouilles de résistants rapatriés en juillet 2020, les portraits de l’Émir Abdelkader, de Larbi Ben M’hidi, de Cheikh Bouamama ou de Mustafa Ben Boulaïd puis de l’autre côté les images ancestrales, et coutumières d’antan (femmes en haïk, anciennes arcanes de la Casbah, montagnes et villages kabyles, fantasias, scènes de touaregs et chevaliers arabes chassant dans le désert ou en train d’exécuter des travaux pastoraux), le peintre Djamel Eddine Mebrek incarne parfaitement cette propension consistant à ne plus dissocier les genres, à situer sur la même échelle des valeurs les œuvres historico-commémoratives et les chromos complémentaires à la redynamisation du patrimoine immatériel.
Montrée en mars 2023, l’exhibition Brises artistiques pendant Ramadhan s’inspirait d’archives illustrées remontant à l’époque coloniale, son initiateur gardant en tête l’idée « de mettre en valeur le patrimoine national et de consolider la mémoire nationale (…), de soutenir la culture et le tourisme (…) en dessinant (plusieurs) symboles de mémoire » (Djamel Eddine Mebrek, in El Moudjahid, 10 avril. 2023). Adoptant un identique registre mnésique, Chafika Feghir présentait jusqu’à la fin du mois de mars 2023 son « Boustane », c’est-à-dire le cocktail de robes kabyles, chedda tlemcenienne et karakou algérois, un mélange détonant qu’égayaient les portes ornementées de la Casbah. C’est via des Tableaux arabesques enluminures que Mounir Samir Bennikous en revisitait (du 1er au 15 mai 2023) à son tour les impasses et bâtisses.
Les mêmes clichés inondant régulièrement les vernissages de l’Établissement arts et culture de la wilaya d’Alger (plus connu sous le raccourci « galerie Aicha-Haddad »), Amel Benaïssa pouvait y planter au mois de juin 2023 ses tableaux de femmes étendant du linge sur les terrasses de l’ancienne cité corsaire. Repère privilégié des héros de la Bataille d’Alger, la Casbah concentre tellement l’attention qu’elle rejaillissait jusqu’au 25 juillet 2023 au milieu des médiums de l’autodidacte Sarah Belahneche.
Tout aussi convaincu de la portée mémorielle de l’art, Sid Ahmed Hamdad reste persuadé que « L’inspiration de l’artiste doit être en accord avec l’expression de son identité ancestrale » (Sid Ahmed Hamdad, in El Moudjahid, 10 sept. 2023). Aussi, ses sujets de prédilection immortalisaient du 02 au 12 septembre Les ruines de Mansourah et le Port de Cherchell, l’harmonieux équilibre des constructions urbaines et sahariennes, les gravures rupestres du Tassili ou le mode d’existence des Touaregs, s’exhibaient à la galerie Mohamed-Racim où les 85 toiles d’Omar Reggane témoignaient antérieurement du sacrifice des moudjahidine.
Autrefois pôle démonstratif de l’Union nationale des arts plastiques (UNAP), le 07, avenue Pasteur reçoit maintenant des peintres en herbe portés à diversifier les réappropriations du patrimoine matériel et vestimentaire, à assigner une place de choix à la Femme (titre de l’exposition du 09 février 2023), gent qu’Ahmed Salah Bara déclinait en kabyle, chaouie ou sahraouie, voire en musiciennes algéroises, Danseuses ou Verseuses de thé parées d’atours et atouts. Les Lumières d’Alger, qu’Ahcène Mammeri rapportait quant à lui jusqu’au 05 août 2023, mettaient en relief les liens entre urbanité et citoyenneté, soit des bâtiments et édifices (les résidences mauresques de la Casbah ou de la vieille médina d’Alger, la Grande-Poste, la basilique Notre-Dame d’Afrique ou le Monument aux martyrs), des esplanades marchandes au cœur et pourtour desquelles flânaient des femmes en tenues traditionnelles aux couleurs rehaussées par le panorama bleu azur de la baie d’Alger. Complétée de quelques images de fantasias, de Touaregs traversant le désert de sable sur des chameaux, l’exposition devançait celle intitulée Les trésors de la peinture orientaliste. Certain d’épancher la splendeur d’un patrimoine algérien jusque-là dissimulé aux appréciations publiques, l’espace étatique ouvrait jusqu’au 24 juillet ses portes à la collection de Sadek Messikh, un passionné d’antiquités, de gravures et aquarelles autorisé à y étaler 87 huiles sur toile (parmi lesquelles, La dernière bataille de Jugurtha, Café maure à Constantine, Campement aux environs de Biskra ou Danseuses au clair de lune). Elles contrastaient avec les miniatures qu’İmène Metri et Ouahiba Bediaf avaient précédemment consacrées à l’Émir Abdelkader ou aux versets calligraphiés du Coran.
Ne dérogeant pas à la panoplie orientalisante, le duo encadrait du 17 au 30 mai 2023 les patios de la Souika (Casbah constantinoise) ou les demeures palatiales devenues les sérails de femmes embellies de bijoux berbères. S’adaptant pareillement au moule exotico-pittoresque, la galerie « Ezzou’Art » du centre commercial de Bab-Ezzouar hébergeait déjà les Ambiances orientales qu’Amine El Ghosseli dévoilait du 28 mars au 23 avril 2023 pour mettre davantage en évidence la retraite spirituelle des prédicateurs d’Allah, des zaouïas, mosquées, minarets ou mausolées, voire les us et coutumes de musulmanes surprises près d’un porche, au coin d’une venelle ombragée, au centre d’une cour aux arcades ajourées et carreaux de céramique ou en pleine cérémonie de mariage.
Pendant la première quinzaine du mois d’août 2023, la Sérénité d’été de neuf prétendants à la consécration inondait ledit lieu de symboles et héritages patrimoniaux.
Disposée à « représenter mon pays et son patrimoine, ses paysages et ses coutumes (…), à conserver ses richesses et les transmettre aux actuelles et futures générations », la jeune Lila Guiz s’appliquait à « faire de l’identité nationale une cause » (Lila Guiz , in El Moudjahid, 14 août. 2023) qualifiée de sacrée. Accaparant dorénavant presque l’ensemble des espaces d’exposition disponibles, les dénicheurs et passeurs de mémoires arrivaient par conséquent en nombre à la manifestation internationale d’arts plastiques affectée le dimanche 19 mars 2023 à la galerie Lamassete du centre des loisirs scientifiques de Khenchela. İl s’agissait là encore de raconter (jusqu’au 09 avril 2023) « le patrimoine artistique, les sacrifices consentis par le peuple algérien pour se libérer du colonialisme (…), de transmettre aux jeunes (que) l’attachement à l’identité ne peut être séparé de l’attachement à l’histoire et au combat pour l’indépendance.» (Le président de l’association Lamassete, in Horizons, 20 mars. 2023). Retenu pour sa part du 18 avril au 18 mai 2023 à la « Maison de la culture HouariBoumediene » de Sétif, le second Salon national des arts plastiques corrélait la « Journée nationale de la Mémoire » au « Mois du patrimoine ». Une orchestration identique accréditait la quinzième édition du Salon national des arts plastiques de Tébessa voulu dès le dimanche 28 mai 2023 à la « Maison de la culture Mohamed-Chebouki », là où 82 essais idéalisaient les spécificités du patrimoine. Baptisé « Toile et Mémoire », le quatrième Salon national des arts plastiques de Mila destinait toujours les cimaises de la Maison de la culture M’barek-El Mili à une semblable préoccupation puisque s’y greffait le 07 mai 2023 le concours du meilleur tableau sur la « Mémoire de la Révolution ».
Seule la 15e édition des « Jeux sportifs arabes », convoquée du 05 au 15 juillet 2023 à Oran, se contentera d’un inventaire de femmes affublées du costume traditionnel, de paysages rupestres et d’archétypes archéologiques. Joints aux 50 protagonistes de la « Maison de la culture Zeddour-Brahim-Belkacem », des étudiants des « Beaux-Arts » essuieront les plâtres du 10e Salon national des arts plastiques étrenné le 13 juillet 2023 dans la capitale des Zianides, mais pas encore ceux du Musée d’art moderne (MAMO).
Sa gestion a été confiée à la consultante Malika Hamri, une néophyte en matière d’art contemporain mais néanmoins convaincue que le port de l’habit traditionnel s’accorde foncièrement avec l’architecture intérieure des ex-Galeries algériennes. En phase avec la patrimonialisation environnante, elle accommodera la « Journée nationale du moudjahid » (20 août) au slogan « L’art, passerelle de communication », s’adjoindra pour cela le soutien de l’ « Association Wahie El Mouthakafine » et de la « Maison des arts Zeddour-Brahim-Belkacem », deux structures dont les 22 élus occupaient un rez-de-chaussée abritant du 09 août au 09 septembre 2023 les imageries bucoliques de paysages naturels, des séquences familiales ou des spectacles équestres.
Qu’un bâtiment de quatre étages, en principe réservé aux tendances les plus significatives de la contemporanéité plastique, soit aujourd’hui amené à faire de la soustraitance culturelle, cela renseigne précisément sur l’interventionnisme outrancier de conseillers qui, imprégnés de puritanisme, exècrent toutes formes de transgressions ou de disruptions, encouragent à leur encontre les adeptes de la patrimonialisation identitaire.
Récemment promue au poste de superviseuse des archives artistiques de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts d’Alger (ENSBA), Samia Kadirine, la commissaire du Festival international de la miniature et des arts décoratifs, possède d’autant plus et mieux le profil idéal convoité que, comme Soraya Mouloudji et Malika Hamri, elle adopte un mode vestimentaire affirmant une personnalisation plus arabo-musulmane qu’occidentale. İl ne s’agit évidemment pas ici d’un reproche mais d’un constat démontrant qu’un net virage s’opère dans le comportement désacculturé d’individus intellectuellement prêts à se fondre dans la communauté d’esprit d’un pouvoir militaro-essentialiste décidé à faire table rase des habitus souverains de la France.
L’universalisme qui la caractérise se trouvant de facto discrédité, les agents culturels algériens pensent l’histoire de l’art indépendamment du cheminement conceptuel ayant abouti à distinguer en Europe « art moderne » et « art contemporain » (deux genres additionnels mais appartenant à des temporalités différentes).
Déconnectés dudit processus intellectif, ils s’en tiennent à des approches patrimonialoidentitaires et historico-nationalistes les éloignant continument des enjeux en délibération au stade des scènes artistiques occidentales. C’est ce qui ressortait encore de l’exposition Fantasia algérienne: patrimoine et fierté agencée jusqu’au 18 juin 2023 au Musée d’art moderne d’Oran (MAMO).
Soixante-seize travaux y épanchaient les accommodations post ou néo-orientalistes de peintres certains que leurs paysages de campagnes, marchés à bestiaux et ruades de chevaux les situaient au stade d’artistes contemporains. Ne s’appliquant nullement à perturber le déjà-là esthétique du sujet imposé, cette locution « artiste contemporain » se rapporte à un résultat visuel souhaité de préférence esthétiquement et uniformément « Beau ».
Remisée au second plan, l’éthique de singularité n’a jamais été le critère majeur via lequel se détermine en Algérie l’échelle de la rareté, du hors du commun, bref ce qui révèle le cachet ou la patte du génie créateur. À force de réclamer du « Patrimoine dans tout son éclat » (titre du journal Horizons du 15 juillet 2023), on sature le paysage artistique des mêmes Couleurs et mémoires (intitulé de la rétrospective qu’assurait Abderrahmane Kahlane, du 15 janvier au 05 février 2023, au Cercle Frantz-Fanon de l’Office Riadh-El-Feth), des analogues caravansérails ou casbahs millénaires. La mimésis ou imagologie picturale ponctuait irrémédiablement la composition graphique des héritages ancestraux (Tajadith) que Sofiane Aït Ammar configurait à la « Maison de la culture Mouloud-Mammeri » de Tizi Ouzou, cela sous la gouverne du « Mois du patrimoine » (18 avril18 mai) qui débouchait à Skikda sur une compétition d’arts plastiques.
Plus à l’Est, Samir Saâdi gratifiait, du 20 au 27 juin 2023, le Palais Hadj Ahmed Bey de Constantine (dit « Musée des Arts ») d’Expressions populaires pendant que l’exposition Taqassim de Siradj Bouhafs s’apprêtait à sacraliser jusqu’au 31 juillet (au Centre des arts et de la culture du Bastion 23- Casbah d’Alger-) les diverses traditions de l’Algérie. L’antienne « Perpétuer ce qui n’est plus » motivait au même instant Hakim Tounsi, Abderezzak Hafiane, Mohamed Krour, Chafa Ouzzani et Abderezzak Hafiane, une brochette d’artistes regroupés à la galerie « Aïda » d’Alger pour prodiguer le Trésor immortel des lettres arabes et calligraphies, l’exception des costumes, ornements et médinas.
Cet ultime tour d’horizon corrobore la prégnance d’une épistémie, c’est-à-dire d’une manière holistique de penser stimulée à partir d’officines idéologico-protectionnistes, de loges interlopes où les dévoués gardiens de l’anti-cosmopolitisme essaiment les slogans-affects de la « Nouvelle Algérie », formatent les thématiques d’expositions ventant les illuminations du patrimoine algérien. À leur remorque, la ministre de la Culture, Soraya Mouloudji, apostrophait le 15 septembre 2023 les « acteurs artistiques qui se préoccupent de la mémoire nationale et de la préservation des composantes de la nation algérienne », les poussait à concevoir « les lectures et évaluations critiques» (Soraya Mouloudji, El Moudjahid, 16 sept. 2023) des créations pondues pendant l’interminable célébration du 60e anniversaire de la reconquête nationale Six mois après le 05 Juillet 2022, l’exposition itinérante 60 ans de création picturale algérienne (lancée du 26 décembre 2022 au 15 janvier 2023 à la galerie « Baya » du Palais de la Culture « Moufdi-Zakaria ») s’ébranlait pour poursuivre sa route vers les villes de Tlemcen, Béchar, Mascara, Mostaganem, Laghouat, Tizi-Ouzou, M’sila et Skikda.
L’initiatrice Agence algérienne pour le rayonnement culturel (AARC) reconduisant le concept au stade d’autres départements artistiques, des caravanes théâtrales et cinématographiques sillonneront douze mois durant tout le pays. Entamée le vendredi 23 décembre 2022 au Théâtre national algérien Mahieddine-Bachtarzi d’Alger (TNA), la quinzième édition du Festival national du théâtre professionnel (FNTP) fut à fortiori convertie aux mémoires de la lutte anticoloniale. Le jour même, une autre version de Nahwa Al Nour (Vers la lumière) mimait les pages héroïques de l’histoire révolutionnaire, et les images de la prépondérante indépendance se fondaient làaussi avec la collecte des véracités patrimoniales. En concordance temporelle, le symposium « Les artistes martyrs, dialectique de l’encre et du sang » s’attardait (toujours au Théâtre national algérien Mahieddine-Bachtarzi) sur le rôle joué par Ahmed Reda Houhou, Mohamed Boudia, Ali Maâchi, Rabie Bouchama, Mouloud Feraoun et Larbi Tbessi, insistait sur les séquelles physiques des djounoud et les crimes du colonisateur français, accentuait de surcroît la repentance à laquelle tiennent mordicus les invétérés du « Devoir de mémoire ».
Soigneusement entretenu par l’intelligentsia juive de France ou l’État d’İsraël, ce leitmotiv relancé par Benjamin Stora n’en finit pas de plomber l’essor discursif, dialectique, digressif et iconique de l’art contemporain en Algérie. La reprise de 132 ans, le dimanche 11 juin 2023 au Théâtre national d’Oran (TRO), prouve que l’épopée historico-révolutionnaire qu’Ould Abderrahmane Kaki écrivit en 1963 pour, face aux pieds-noirs, colons et caïds, convoquer l’Émir Abdelkader, le martyr et le moudjahid, imprimera continument l’aperception spatio-temporelle de l’Algérien confronté à son « Autre ». Contre-image de la victimisation, ce dernier revient en force au centre du jeu scénique, y focalise un ensemble de griefs utiles à la vulgarisation d’une grammaire populiste remarquée lors de la 13e édition du Festival culturel local du théâtre professionnel introduit fin juillet 2023 à Guelma sous le mot d’ordre « L’artiste et la mémoire nationale ».
Le spectacle Les Ruelles des héros fut devancé par un film documentaire dédié à la troupe artistique du Front de libération nationale (FLN) mise souvent en exergue le 18 février de chaque année, soit pour la « Journée nationale du Chahid ». Lancée le mercredi 19 juillet 2023 au Théâtre régional Tayeb-Cherif Mohamed de Khemis Miliana (conformément aux « Journées théâtrales du soixantenaire »), la pièce La récréation des clowns exaltait (selon le synopsis) de valeureux combattants de l’Armée de Libération nationale confrontés à la torture. La promotion et vulgarisation de l’art enraciné dans les patrimoines authentiques concerne évidemment un cinéma habituellement soumis à l’approbation du ministère des Affaires religieuses et des Moudjahidine. Marqué dès ses débuts par le colonialisme et la Guerre de Libération nationale, il incarna d’emblée le patriotisme de l’État providence, principal argentier des productions locales.
Constitutif de l’identité collective algérienne, le 7e art concrétise la vision officielle axée sur les images du héros au maquis et dix-sept films, onze courts-métrages, six documentaires furent, à partir du 20 juillet 2023, programmés dans les salles d’Alger, Annaba, Oran, Mostaganem, Laghouat, Mascara, Béchar, Constantine et Mostaganem.
Plaidant aussi en faveur de ceux subventionnés en regard au fameux « Soixantenaire », la ministre de la Culture et des Arts, Soraya Mouloudji, assistait aux avant-premières de Zaïr dalam (Le rugissement des ténèbres diffusé le 20 juillet à la salle İbn Zeydoun d’Alger) et de Djazaïr, bi dami afdik (Algérie, avec mon sang j’écris ton nom). En présence du ministre des Moudjahidine et des Ayants droit, Laïd Rebiga, elle se réjouissait le samedi 23 juillet (cette fois à la Cinémathèque algérienne) des 63 milliards débloqués, estimait que les récipiendaires « contribuent à la préservation de la mémoire de la glorieuse Révolution nationale » (Soraya Mouloudji, in Horizons, 21 juil. 2023).Validé par la Commission de lecture et d’aide à la cinématographie, par la Commission d’aide aux Arts et aux Lettres pour l’année 2023 puis approuvé et produit par le Centre algérien du développement du cinéma (CADC), ce film consacré aux sacrifices de la femme résistante fait partie du lot d’œuvres imprégnées de « l’identité et de l’authenticité profondément enracinées dans l’histoire », réitère des identifications « en proie à de multiples attaques ». Cette dernière mise au point appartient à l’un des débateurs du colloque « L’identité dans la pensée contemporaine » implanté le samedi 24 juin 2023 au Palais de la Culture « Moufdi-Zakaria ».
L’ampoulé biotope accueillait le 15 septembre 2023 une réunion d’évaluation au cours de laquelle Soraya Mouloudji convainquait encore les penseurs et créateurs de puiser au sein des références originelles de l’histoire, de la mémoire et du patrimoine. Dépêché le mercredi 13 septembre à la 6e édition du Festival national de la littérature et du cinéma de la femme (au Théâtre régional de Saïda) son délégué İsmaïl İbrir y confirmera que même « Les festivals doivent s’inscrire dans la promotion du patrimoine » (İsmaïl İbrir, in El Moudjahid, 16 sept. 2023). La quadrature (quête originelle, patrimoine, histoire et mémoire) aiguisant le sens du patriotisme, elle sous-tend la « protection des valeurs culturelles de la nation » et enserre un entendement général prenant les tangentes de l’anti-France.
Aussi, remplaçant le trop francophone Festival international d’art contemporain (FİAC), l’anglophile İnternational festival of contemporary pictoral art (İFCA) canalisera en février 2024 les regards vers des « valeurs identitaires inspirées des profondeurs de l’authentique culture algérienne, transmises depuis des siècles et que la nouvelle génération a le devoir de proroger ». Hamza Bounoua, le désigné médiateur de cette huitième édition, assure être en mesure de révéler un renouveau inspiré « des profondeurs de la culture algérienne qui doit être préservée » (Hamza Bounoua in Horizons, 07 août. 2023). Le slogan de l’événement reprenant « les couleurs de l’emblème national », il redorera selon lui le blason d’un rendez-vous qui a pour mission et ambition de poser la « question des conditions et de la nécessité de l’art contemporain en Algérie » (İbidem).
Compte tenu de la servilité managériale dudit curateur, le futur İnternational festival of contemporary pictoral art (İFCA) ne fera probablement que confirmer l’isolement de l’Algérie sur la scène artistique mondiale, isolement que le Maroc évitera en dressant son Pavillon national au moment de la prochaine Biennale de Venise.
C’est la France, et non l’Algérie, qui y révèlera la polyphonie ou polysémie visuelle de Zineb Sedira, approuvera l’installation Les rêves n’ont pas de titre récompensée en 2022 d’une mention spéciale. Tout en questionnant les croisements identitaires et fragilités mémorielles, la franco-algérienne atteste qu’une matrice historico-fictionnelle peut échapper aux ordinaires imageries envahissant et surchargeant en Algérie les monstrations imprimées du sceau officiel. Situés au centre et en banlieue de la capitale, « Les Ateliers sauvages » et « Seen Art Gallery » affichent généralement les patronymes de plasticiens conscients de la nécessité de contourner les poncifs de l’expression du sensible et signifiants maîtres du régime militaro-essentialiste.
Seulement, les indulgences pécuniaires qu’accordent aux premiers le réseau diplomatico-culturel et la fragile pénétration médiatique de la seconde ne présagent pas de leur élargissement professionnel ou structurel. Cette problématique se fait d’autant sentir que la déliquescence des acheteurs ou collectionneurs érudits s’est accentuée au rythme des départs d’une population plutôt francophone, voire francophile.
Si le français demeure prépondérant à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts d’Alger (ENSBA), la conciliante introduction, en son sein, de professeurs proches des douceurs allogènes de Mohamed Racim, ou plus enclins à répercuter les rassurants atavismes abstraits d’Aouchem (Tatouages) que les provoquants chocs visuels de Marcel Duchamp et affiliés du Nouveau réalisme, a indéniablement réduit la portée agissante de l’option managériale amorcée en décembre 2007 au Musée d’art moderne d’Alger (MAMA).
Concrétisée fin 2019 en catimini, sa fermeture corrobore l’absence de prospectives en matières de création, ce terme renvoyant du reste à pervertir l’immuable déjà-là esthétique qu’entretiennent les incurables défenseurs de la procrastinatoire invariabilité.
Saâdi-Leray Farid, sociologue de l’art et de la culture