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Rencontre avec l’actrice réalisatrice Catherine Belkhodja

Catherine Belkhodja
Catherine Belkhodja. Crédit Photo : Jowan Le Besco

Catherine Belkhodja est une artiste franco-algérienne au parcours atypique : auteure, plasticienne, reporter, performeuse, poétesse ou script doctor, on la connaît comme actrice réalisatrice, mais elle est aussi licenciée en philosophie, urbanisme, et architecte DPLG.

Après un passage à l’Education nationale, elle se spécialise en architecture bioclimatique, travaille comme urbaniste au schéma directeur de l’éclairage, poursuit ses recherches en philosophie jusqu’à l’obtention d’un diplôme d’études approfondies (DEA) en esthétique. Sa soif des arts ne s’arrête pas là. Après des études de théâtre au Conservatoire d’Alger, elle étudie au Conservatoire supérieur d’art dramatique de Paris, et commence une immersion fulgurante dans le monde de la télévision et du cinéma.

Le Matin d’Algérie : Vous avez un parcours fascinant. qui est finalement Catherine Belkhodja ?

Catherine Belkhodja : Fascinant, je ne sais pas. Atypique surtout, car je suis avant tout curieuse de découvrir le monde et d’expérimenter différentes approches créatives. J’aime rencontrer de belles personnes qui me font partager leur regard sur le monde et leur univers.

C’est pourquoi je consacre une partie de ma vie au questionnement : – questionnement philosophique mais aussi questionnement plus global envers les êtres qui m’entourent, leur culture, leur façon de vivre quotidienne ou leur créativité, le plus beau cadeau qu’on puisse me faire c’est de m’ouvrir des frontières en me faisant partager de nouvelles connaissances.

Nous avons tous le devoir de transmettre nos savoirs et d’apprécier ce que les autres ont la générosité de nous transmettre. J’ai eu le privilège de pouvoir suivre les études qui m’intéressaient mais les savoirs ne se limitent pas aux études officielles ou académiques. On peut apprendre de tous les êtres qui nous entourent, y compris de personnes qui n’ont jamais suivi d’études. J’apprécie particulièrement les autodidactes qui ont tracé leur propre parcours en s’inventant les outils pour le faire. C’est d’ailleurs le cas de mon cher père qui m’a beaucoup appris. Il nous a toujours incités à progresser, à aller de l’avant, en dépassant nos limites. De lui j’ai gardé le goût d’aller toujours plus loin, au-delà de ma zone de confort.

Le Matin d’Algérie: Quelle pourrait être votre devise ?

Catherine Belkhodja : Ma devise serait d’inventer chaque jour sa vie. J’ai pratiqué de nombreux métiers qui m’ont tous comblée… jusqu’à ce que j’en fasse le tour. Au début, il est évident que je devais surtout assurer mes moyens d’existence et celle de ma famille. Mais c’est toujours intéressant de s’adapter au Réel tout en se projetant vers un futur plus conforme à nos désirs. Il ne faut jamais renoncer à nos rêves d ‘enfance. Je n’ai jamais songé spécifiquement à « faire une carrière » mais plutôt à réaliser différents projets, aussi variés soient-ils, en fonction de mes centres d’intérêt, en créant un terrain favorable pour m’y préparer et en me forgeant les moyens de les réussir. Je n’ai jamais fini d’apprendre et j’aime penser que le futur me réserve encore bien des surprises. Naturellement, plus on avance, et plus les projets deviennent des défis qui nécessitent davantage de moyens, de ténacité ou de patience.

Par ailleurs, il m’a toujours paru important de réserver une partie de mon temps à la création d’un monde meilleur en s’impliquant dans des actions concrètes pour faire avancer des questions qui me tiennent à cœur comme la cause des femmes, l’écologie, la promotion des cultures, la situation des seniors, le droit des peuples …Chaque avancée est précieuse et mérite d’être tentée.

Je suis fière et heureuse d’avoir pu collaborer à la lutte contre le gaspillage alimentaire et la distribution aux associations, l’amélioration des EHPAD, l’observatoire de la diversité, la promotion des femmes, des énergies douces, d’artistes divers ou la défense de l’environnement.

L’art occupe cependant la majeure partie de ma vie. Il m’est absolument indispensable, même si les supports utilisés varient souvent : peinture, sculpture, installations multi- médias ou performances alternent avec le théâtre (actrice, adaptatrice, auteure ou mises en scène), le cinéma, la télévision (conception, animation, journaliste ou réalisatrice) ou l’écriture (poésie, haikus, nouvelles, scénarios). Cette forme d’art protéiforme peut désorienter parfois mais dans la mesure où je ne cherche pas des prouesses techniques, ces recherches ne sont pas incompatibles et se nourrissent mutuellement. J’ai grand plaisir aussi à organiser des évènements culturels (expositions, concours ou spectacles), pour moi, chaque journée est différente.

Cette nuit par exemple, j’ai conçu et réalisé la structure d’une sculpture en grillage métallique et matériaux de récupération divers (cartons, tissus, charriots, papiers et manche à balai) pour une exposition collective sur le thème de la différence inaugurée le 1 décembre. Mains griffées en coupant le grillage avec quelques restes de colle à effacer avant un casting. Le matin, les dernières corrections d’un article pour une publication dans une revue à laquelle je collabore. Dans la foulée, réponse à une interview sur Chris Marker avec qui j’ai travaillé une trentaine d’années.

J’organise en effet un festival Chris-Marker au cinéma Le Méliès de Montreuil avec l’équipe de programmation. Une séance de travail pour élaborer l’animation d’une conférence à l’Université du Caire ou la programmation d’une résidence artistique à Louxor. Au passage, noter quelques haikus sur le thème du scarabée ou travailler le fond d’une toile en devenir. Pause relax pour relire une pièce surréaliste de Jayne Mansour dont je dois assurer la mise en scène au printemps 2024, pour l’anniversaire des 100 ans du surréalisme à la Maison André Breton. Contacter un photographe au Sénégal pour une exposition sur les masques de lions ou la conception d’un nouveau magazine.

La journée se poursuit ainsi sur des chapeaux de roue, incluant films, livres ou pièces de théâtre à chroniquer. Depuis que mes enfants sont autonomes, et après le décès de mes parents dont je me suis beaucoup occupée en fin de vie, je peux me donner davantage à mes propres recherches ou activités. J’aime aussi être surprise avec des propositions de collaboration diverses pour des textes, des mises en scène, des conférences ou des expositions.

Le Matin d’Algérie : Depuis votre enfance à Alger, vous êtes habitée par les arts, l’art dramatique en particulier, pouvez- vous nous en parler ?

Catherine Belkhodja : Mes premiers cours datent effectivement de mon adolescence, au Conservatoire d’Alger où j’étudiais le violon, le solfège et la diction. C’est aussi à Alger que j’ai fait mes premiers pas au théâtre.

Je me souviens d’une toute petite apparition dans « Mon corps, ta voix et ta pensée » (dans un petit théâtre situé derrière « Les Galeries algériennes ») qui était passée aux actualités à la télévision algérienne et m’avait valu les taquineries de mes camarades de lycée. J’avais adoré aussi participer aux pièces présentées au lycée. Plus tard, on m’avait proposé de rejoindre la troupe de Kateb Yacine pour « Mohammed prends ta valise » mais mon père s’y était opposé.

Lorsque j’ai eu ensuite l’opportunité d’interpréter un petit rôle d’institutrice dans un film de Lallem, j’avoue que j’ai désobéi et me suis rendue sur le tournage. Si je me souviens bien, j’avais été repérée au club d’équitation de Blida pour une scène à cheval et voulais saisir cette chance. Par la suite, une partie de l’équipe avait quitté le tournage et j’ai eu l’opportunité de remplacer au pied levé la script girl, l’occasion pour moi découvrir les rudiments d’un tournage. J’avais participé aussi à la création de décors en réalisant plusieurs affiches de films lorsque j’étais étudiante aux Beaux-arts d’Alger.

Après mon bac, j’ai eu l’autorisation de poursuivre mes études à paris. Là, j’ai rejoint aussitôt une petite troupe de théâtre d’avant-garde, avant de prendre de nouveau des cours au conservatoire du cinquième arrondissement, puis du Conservatoire national Supérieur. Malheureusement je ratais certains des cours car je devais aussi gagner ma vie. Mon agent Myriam Bru avait décroché mes premiers rôles. Mes premiers cachets m’ont permis de quitter l’Education Nationale et de publier mes premiers articles, avant de rejoindre l’agence Gamma TV au début comme journaliste, puis présentatrice d’émissions TV avant de rejoindre la réalisation de sujets sociétaux. Par la suite j’ai proposé des concepts, animé des émissions TV, réalisé mes premiers courts métrages et décroché un sept d’or pour l’émission Taxi, avant de me tourner vers le cinéma.

Le Matin d’Algérie : Vos enfants font tous du cinéma, Léonor, Kolia, Jowan, Maïwenn et Isild font une carrière impressionnante.  Pouvons-nous dire que vous leur avez transmis le gène de la création ?

Catherine Belkhodja : Disons que je leur ai surtout transmis l’amour du cinéma mais ils n’ont pas tous souhaité en faire une carrière.

Léonor, qui a étudié la musique à mi-temps au Conservatoire de Paris est devenue auteure-compositrice et suit une brillante carrière en sociologie de la littérature. Elle a enseigné dans plusieurs universités, a créé une école de français en République dominicaine, tout en étant chercheuse, script doctor et journaliste.

Kolia, avec des débuts très prometteurs comme acteur (deux rôles principaux primés et excellentes critiques) a préféré s’orienter vers des activités humanitaires et la médiation culturelle. Jowan, a préféré poursuivre comme chef opérateur et documentariste. Lui aussi adore son métier et est capable de résister à des conditions climatiques redoutables pour réaliser ses films. Son premier documentaire a été sélectionné au film du Réel et acheté par ARTE.

Seules Isild et Maiwenn ont souhaité poursuivre comme actrices, mais sont devenues également auteures et réalisatrices. Contrairement à ce qu’on a pu lire dans certains journaux, je n’ai pas spécialement cherché à « pousser » mes enfants dans ces métiers mais comme ils vivaient avec moi, ils ont constaté le plaisir dans mon travail et participaient à certains projets.

Mes filles ont sans doute aussi pu comprendre les difficultés du métier et les luttes pour parvenir à faire les films que l’on porte en soi. Ces expériences ont sans doute été bénéfiques pour elles car elles ont pu résister aux obstacles et aller jusqu’au bout de leurs projets. Pourtant, ce n’était pas facile pour elles car elles étaient jeunes et ne sortaient pas d’une école de cinéma. Néanmoins leur forte personnalité leur a permis de vaincre les résistances et de s’imposer dans un métier où les femmes ont plus de difficultés à trouver des financements. Elles n’ont pas hésité d’ailleurs à devenir elles-mêmes productrices de leurs propres films avant d’acquérir la confiance des producteurs, grâce à leur succès. Ce sont de vraies battantes qui ne renoncent jamais. Je n’ai sans doute pas été une mère modèle mais je suis fière d’avoir transmis l’amour du travail bien fait et le courage de tenir bon même quand les obstacles nous découragent.

Ce n’est pas si facile de concilier travail et maternité. Il faut privilégier les priorités. On fait forcément des erreurs mais pour moi, ce qui importe le plus c’est d’aider nos enfants à trouver leur voie en leur permettant d’être autonome avec un métier qu’ils aiment et qui les rend heureux.

Le Matin d’Algérie : Un mot sur votre père, Kaddour Belkhodja qui nous a quittés à l’âge de 90 ans.

Catherine Belkhodja : Je n’ai pas la mémoire des dates. Papa était un vrai patriarche. Terriblement autoritaire mais très attentif et impliqué dans notre éducation. Il venait d’une famille aisée mais avait perdu son père très jeune. Comme de nombreux émigrés, il a rejoint la France pour gagner sa vie. Il a toujours été un exemple pour moi : Hyperactif, il arrivait à concilier son travail, ses activités militantes, et avait une constante soif d’apprendre et d’étudier. Il n’avait que son certificat d’études en arrivant en France mais tout en travaillant dur et en suivant des cours le soir, a fini par décrocher deux doctorats …Un vrai autodidacte qui en plus s’impliquait beaucoup dans la vie familiale. Il a toujours partagé avec ma mère les tâches du foyer : un vrai féministe avant l’heure, ce qui était plutôt rare à son époque et avec l’éducation reçue. Par contre, il était très autoritaire et pouvait nous terroriser parfois. Comme nous étions trois filles, il a toujours considéré que nous devions poursuivre des études.

Mais il était beaucoup moins généreux pour les autorisations de sortie !
Il a été un grand spécialiste de l’émigration algérienne et a réuni des documents précieux qui feront sans doute l’objet d’une future publication. Il a écrit aussi un livre plus personnel qui sera publié prochainement. C’était aussi un conteur né, et un vrai médium doué de facultés télépathiques qu’il m’a aussi transmises. Ma mère aussi était une femme exceptionnelle d’une grande personnalité. Mon père l’adorait et la respectait infiniment.

Le Matin d’Algérie : Vous avez à votre actif dix-sept longs métrages, douze courts métrages, neuf téléfilms, cinq pièces de théâtre. Quels sont vos souvenirs ou projets au théâtre ou de cinéma ?

Catherine Belkhodja : Je regarde rarement le passé et suis plutôt tournée vers l’avenir. D’ailleurs je n’ai pas de copies et égare souvent mes propres textes. Je suis heureuse de les redécouvrir quand ils ont été publiés. Dans le cinéma, mes prestations sont encore très modestes, même si mon rôle dans Level Five de Chris Marker a été très salué par la critique et m’a ouvert les portes … du dictionnaire du cinéma. (rires)

Pour le théâtre, je retiens surtout mes dernières créations : l’adaptation et la mise en scène de « Splendides exilées », une pièce d’Arezki Metref dont j’interprétais le premier rôle en compagnie de Myriam Mézières, Alexandra Steward et Noëlle Châtelet. Cette pièce avait d’ailleurs été présentée aussi en Algérie au festival Raconte-Arts et sélectionnée au festival international de théâtre de Bejaïa. Par la suite, j’ai écrit et mis en scène deux autres pièces : « Heureux comme un roi » avec Denis Lavant présentée au Théâtre de la Halle aux cuirs à Paris-la Villette, et « Escalade nocturne » au théâtre 104, à Paris également.

Ces deux pièces font partie d’une trilogie sur l’émigration. Le troisième volet « Macadam » est en cours d’écriture. Ces pièces ont été mises en scène au moment du Covid, ce qui a malheureusement stoppé les tournées prévues. Je garde un beau souvenir également de l’adaptation au théâtre du «Dépays» de Chris Marker avec Etienne Sandrin, présentée à Avignon et à Paris, au Collège des Bernardins. Cette pièce fera d’ailleurs bientôt l’objet d’une reprise à Paris et d’une tournée au Japon.

Le Matin d’Algérie : Vous avez beaucoup écrit dans la presse, dans des revues, des magazines. Vous avez cofondé le périodique Le Marco Polo magazine, fondé la maison d’édition Karedas dont vous êtes la directrice artistique, créé le grand concours International de haïku Marco-Polo, vous avez fondé également l’association culturelle Belleville Galaxie. Vous êtes une artiste infatigable, avez-vous des projets en cours ?


Catherine Belkhodja : J’ai toujours plusieurs projets en cours. Certains sont plus longs à mettre en place mais je n’y renonce pas pour autant. Ma prochaine pièce de théâtre «Macadam» bouclera ma trilogie sur l’émigration mais nécessite des partenariats avec des coproducteurs. Elle sera plus longue à mettre en place que les deux précédentes, qui nécessitaient peu de moyens. Une autre pièce, surréaliste, écrite par Jayne Mansour sera présentée à la Maison André Breton (La rose impossible) pour l’anniversaire du Surréalisme.

En cours de finalisation, un projet avec Philippe Bouret, poète, auteur et psychanalyste qui m’a présenté des photos d’installation d’objets quotidiens, que j’accompagne de haikus. Les premiers haishas ont fait l’objet d’une publication chez MARSA. J’ai également un recueil de nouvelles en gestation pour l’automne sans doute. Certaines parues dans les revues ou maisons d’édition comme Brèves, Marsa, Liroli, TK21, Le Lithaire ou la Belle inutile.

Le Matin d’Algérie : Votre double culture Française algérienne, a-t-elle été d’un grand apport ou un frein dans votre carrière d’actrice réalisatrice ?

Catherine Belkhodja : En termes de culture, c’est une vraie richesse. Pour l’action sur le terrain, cela peut être un handicap. Trop française en Algérie, trop algérienne en France. Le nom de mon père, que j’ai voulu conserver en refusant de prendre un pseudo, a plutôt été un frein : Le fameux plafond de verre, inutile de faire un dessin.

La culture de mon père, je la découvre davantage maintenant car durant mon enfance, il était très occupé et à l’adolescence, j’étais pensionnaire. J’ai appris l’arabe à l’école car maman ne le parlait pas. J’ai pu passer mon bac algérien mais avais malgré tout beaucoup de lacunes en arabe. Néanmoins, j’ai pu jouer deux fois en arabe lors d’un tournage à Venise et un autre à Berlin. Mon agent de l’époque m’avait classée dans les « actrices étrangères » et ne m’envoyait pas sur les castings en français. Inversement, après le conservatoire, on ne me proposait plus de rôle en arabe. En matière de réalisation, c’est épuisant de travailler sans le soutien d’une production.

En Algérie, la coproduction de la télévision algérienne s’est avérée fictive. Le seul soutien dont j’avais pu disposer était un car de l’office du tourisme pour mon équipe. Je leur en suis très reconnaissante. Les autres soutiens promis n’ont jamais été effectifs.

Seule la télévision française avait respecté les contrats (FR3, ARTE et Canal +). J’avais ensuite fondé une maison de production mais la gestion s’est avérée chronophage. Je me suis tournée alors vers des projets plus rapides à mettre en place. J’ai un scénario de long métrage qui me tient à cœur mais ne m’y consacrerai que lorsque je pourrai m’appuyer sur une maison de production solide. C’est trop compliqué de devoir tout gérer en même temps. Il vaut mieux former une belle équipe, fiable, pour de tels projets.

Je me suis lancée souvent dans des projets sans moyens. Maintenant je préfère prendre le temps de bâtir un vrai partenariat, pour ce projet plus ambitieux. En attendant, les idées ne manquent pas !

Entretien réalisé par Brahim Saci

https://mubi.com/fr/cast/catherine-belkhodja

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