Dimanche 24 janvier 2021
Rente, dette, FMI : « El manchar, talaa yakoul, habet yakoul » !
Il est admis que le prix du brut est un baromètre de la santé de l’économie mondiale et un facteur de stabilisation des régimes politiques menacés.
L’objectif de l’occident, c’est la sécurité des approvisionnements en énergie. Il y va de la survie de la civilisation du monde moderne. Le prix est une arme redoutable de domestication des peuples et d’asservissement des élites. Le prix élevé du pétrole a structurellement pour effet pervers de perpétuer à l’infini le système mis en place. C’est dans la pérennité des régimes autocratiques que l’occident trouve sa prospérité et sa sécurité. C’est pourquoi, la liberté des peuples est inversement proportionnelle au prix du baril.
Plus le prix est bas, moins il y a d’importations, plus les pénuries s’installent, des émeutes éclatent et la répression s’abat sur la population. les marchés se referment, la récession s’annonce, la planche à billets reprend du service, le taux d’inflation galope, la demande s’accroît, l’offre diminue, le FMI pointe son nez,, la spirale de l’endettement s’engage, les peuples se plient, les Etats vacillent, l’ordre est menacé, l’Occident vient à la rescousse. Les crédits se débloquent les fonds affluent, le régime menacé retrouve sa santé.
Le prix du brut connaît une hausse, les pays producteurs relancent les exportations des biens manufacturés des pays industriels, les prix des produits alimentaires baissent, la productivité du travail s’accroît, la rentabilité des entreprises locales s’améliore, les opportunités d’investissements se multiplient, les frontières s’ouvrent, la croissance de l’économie mondiale reprend.
Ainsi l’occident donne d’une main ce qu’il reprend de l’autre. “El manchar, habet yakoul, talaa yakoul” En cas de surplus, il est placé dans les banques étrangères au nom de l’Etat et/ou des particuliers. Les algériens n’ont pas suivi le conseil koweitien « le pétrole dans le sol vaut mieux qu’un dollar en banque ». Ils ont préféré le placé en bons de trésor américain un peu moins liquide que le dollar mais politiquement avantageux. L’intérêt de l’occident ne se trouve pas chez les peuples mais dans les Etats.
Des Etats créés par la colonisation pour les besoins des pays grands consommateurs d’énergie non renouvelables. Les Etats arabes et africains n’existent que parce qu’il y a du pétrole, du gaz ou autre matière convoitée sur leur territoire (l’uranium par exemple). Les peuples qui y habitent sont considérés comme des troupeaux de bétail à qui on confie la garde à un berger, généralement l’idiot du village ou le serviteur docile que l’on arme d’un bâton, à qui l’on demande, lorsque le prix du baril chute, de les amener à l’abattoir et quand il flambe de les ramener aux pâturages.
Pour l’Occident, le pétrole est une des choses sacrées sur terre, personne n’y touche, il y va de la prospérité matérialiste occidentale et de la décadence morale des arabes. Le pétrole est la base sur laquelle la civilisation moderne s’est construite.
Il est le carburant de la prospérité des nations, le moteur de la mobilité sociale, un accélérateur de l’histoire, un frein aux religions monothéistes, et un levier de commande de la liberté des peuples. L’histoire et la géographie se rejoignent au présent. Le problème majeur de l’Algérie d’aujourd’hui est fondamentalement politique. C’est celui de la légitimité du pouvoir. Il réside dans le fossé qui sépare le peuple de ceux qui sont chargés de conduire son destin.
C’est une chose que la phase politique de libération nationale, ç’en est une autre que la phase économique, construire une économie était une tâche bien délicate, plus complexe qu’on ne le pensait. Dans la plupart des cas, on a laissé s’accroître les déficits et la création des crédits afin d’augmenter artificiellement les recettes publiques, au lieu d’appliquer une politique authentique de redistribution de revenus à des fins productives. Afin d’éviter d’opter pour l’une des différentes répartitions possibles entre groupes et secteurs, on a laissé l’inflation » galoper » à deux chiffres.
Cette façon de faire s’est révélée déstabilisatrice. Dans la conjoncture actuelle, l’équilibre de l’économie algérienne dont la base matérielle est faible dépendra de plus en plus de la possibilité de relever la productivité du travail dans la sphère de la production et dans le recul de l’emprise de la rente sur l’économie et sur la société.
La solution à la crise, c’est d’abord l’effort interne du pays, plus on parvient à se mobiliser par ses propres forces, moins on est demandeur, moins on est vulnérable, cette possibilité est cependant contrariée par l’ordre international dominant et freinée par les formes d’organisations économiques et sociales que la classe au pouvoir a mis en place à des fins de contrôles politique et sociales ; si bien que l’équilibre ne peut être rétabli soit par un nouveau recours à la rente ou à l’endettement si le marché mondial le permet (les importantes réserves gazières de l’Algérie constituent le principal atout), soit par une détérioration des conditions d’existence des larges couches de la population.
C’est pourquoi, l’Etat pourra connaître une instabilité d’autant plus grande que les problèmes économiques et sociaux deviendront plus aigus. Le service de la dette contraint mieux que toute domination politique directe les pays comme l’Algérie à livrer leur énergie à bas prix contre une paix sociale précaire et une difficile sauvegarde des privilèges des gouvernants.
En résumé, la dépendance externe et la violence interne sont le résultat logique et prévisible des politiques menées à l’abri de toute contestation depuis trente ans, marginalisant la majorité de la population au profit d’une minorité de privilégiés et au grand bénéfice des multinationales sous la houlette des organismes internationaux.
L’erreur de la stratégie algérienne de développement réside à notre sens dans l’automatisme qui consiste à vouloir se débarrasser de ce que l’on a au lieu de l’employer productivement chez soi ; la finalité de l’économie fût ainsi dévoyée, car il ne s’agissait pas d’améliorer ses conditions de vie par son travail mais par celui des autres grâce au relèvement des termes de l’échange avec l’extérieur. Or, il nous semble qu’une amélioration des termes de l’échange avec les pays développés ne peut être acquise que par une valorisation du travail local.
L’insertion dans le marché mondial fragilise l’Etat algérien soumis aux aléas de la conjoncture mondiale. Tant que les pays du tiers-monde subiront les contraintes imposées par la logique capitaliste dominante, ils ne pourront pas mettre en place un modèle de développement endogène capable de compter sur ses propres forces afin de satisfaire les besoins essentiels de la majorité de leur population.
En prenant les problèmes à leur niveau le plus élémentaire, il s’agit pour commencer de parvenir à nourrir correctement une population croissante qui sur le plan agricole ne parvient pas à satisfaire ses besoins alimentaires, d’assurer un niveau de santé minimal en déca duquel tout espoir d’atteindre une productivité suffisante est vain, de fournir une éducation élémentaire, technique et professionnelle à une jeunesse de plus en plus nombreuse et de plus en plus désemparée.
Dans cet esprit, l’entreprise algérienne aura à jouer un rôle primordial, son efficacité à produire et à vendre dépendra de la qualité de son organisation interne, c’est à dire de l’étendue et de la profondeur de la soumission de ses employés. Dans le rapport salarial, le pouvoir consistera essentiellement à obtenir la plus grande soumission possible au moindre coût. C’est pourquoi, le développement de l’économie dépendra désormais d’une main d’œuvre instruite qualifiée et motivée.
Le facteur essentiel pour l’avenir du pays, c’est la conviction que les cerveaux constituent la plus importante des richesses de n’importe quel pays. C’est de la capacité de certains acteurs d’imposer à l’ensemble des autres acteurs leur conception de la société, de ses objectifs, de ses modes d’évolution que se mesurent la profondeur et l’authenticité d’un pouvoir.
Notes : « …Un brigand agresse sauvagement à coup de couteau un passant pour lui dérober son portefeuille. Terrassée et gisant dans son sang, la victime supplie son agresseur de lui envoyer des secours. Ce dernier ramène deux charlatans de ses amis. Le premier médecin libéral, docteur du FMI, refuse de croire à l’agression et diagnostique une simple faiblesse. Une bonne saignée remettra le patient d’aplomb. Le second médecin socialiste et fonctionnaire, admet l’agression mais maintient le diagnostic de malaise et recommande vitamines et exercices. Tandis qu’ils se disputent ainsi, la victime achève de perdre son sang sous les quolibets de l’agresseur.. » Serge Latouche, Faut-il refuser le développement ? Editions Presses Universitaires de France, Paris, février 1986, p.183