Dans un long et pénible entretien accordé au journal Le Matin d’Algérie (qui s’apparente à un publireportage), le président du RCD, M. Atmane Mazouz m’a cité à travers une maison d’édition que j’ai créée en vue de tenter de dénigrer mon statut d’éditeur.
Cette prise à partie tant maladroite que sibylline, se veut une réponse aux critiques que je lui ai adressées il y a quelques semaines mais, tant dans la forme que dans le fond, elle peine à être autre chose qu’une pitoyable acrobatie d’une pensée boiteuse, incolore, inconsistante et manifestement inéligible à la responsabilité politique. La récitation aléatoire de slogans ne fait pas un discours.
Susceptibilité et agressivité
Je suis un citoyen algérien qui revendique l’exercice libre et autonome de son droit à l’expression et c’est en tant que tel que je me suis permis d’émettre des critiques à l’endroit de M. Mazouz dont les propos tenus à Montréal ainsi que sa complicité avec M. Mohcine Belabbas dans la capitulation du RCD devant les islamistes m’ont choqué. Il vient de rééditer l’exercice de l’inconséquence en déclarant qu’il n’y a pas de futur « sans rupture avec le mensonge d’État ». Quel culot ! L’effacement de la mémoire collective est le pire des mensonges.
Je rappelle, que depuis 2009, alors que j’étais encore étudiant en licence à l’université de Tizi-Ouzou, je publie régulièrement des tribunes dans la presse algérienne pour donner mon point de vue, positif ou négatif, sur toute la classe politique nationale. À chaque fois que j’ai estimé nécessaire de m’exprimer, je l’ai fait en mon âme et conscience sans jamais vouloir entrer dans un face-à-face avec un quelconque responsable.
À ce jour, aucun dirigeant ne s’est offusqué de mes interpellations. Que M. Mazouz réduise mon intervention à une volonté de le prendre à parti et de régler un compte personnel est une inqualifiable faiblesse que je perçois comme une tentative désespérée de dissimuler les problèmes que j’ai soulevés derrière une prétendue querelle d’ego. Je ne joue pas dans les eaux troubles et ne consulte, moi, aucun « haut gradé ». Je suis un éditeur connu et reconnu comme tel en Algérie et à l’étranger. Depuis mes débuts dans le métier, j’ai publié plus d’une centaine d’auteurs algériens et étrangers qui m’ont fait confiance et avec lesquels j’entretiens d’excellents rapports.
Tenter d’enfermer mes interventions au sujet du RCD dans la relation d’amitié et de travail que j’entretiens avec M. Saïd Sadi (dont vous avez dit au Canada qu’il était celui qui vous a le plus inspiré, chose que je n’ai pas trop vue dans votre interview) et suggérer que c’est ce dernier qui me pousserait à dire ce que je dis est un pitoyable raccourci qui en dit autant sur votre peur panique du débat contradictoire que sur votre passion pour l’intrigue et le ragot. La nature indigeste de votre entretien, pourtant écrit et donc relu, explique bien votre attitude : Le désert au RCD est si stérile qu’il n’admet plus la moindre contradiction.
En tant que journaliste, universitaire et homme de culture qui se revendique de l’école de Frantz Fanon, d’Edward Saïd, de Jacques Lacan, d’Anthony Giddens, de Paul Celan, d’Alain Touraine, de Jean-El Mouhoub Amrouche, d’Achille Mbembe, de Kateb Yacine, d’Abdelkader Alloula, de Saïd Sadi, de Sony Labou Tansi, de Mohammed Kheiredine, je veille sans cesse à maintenir une distance critique dans mon rapport au monde et cette démarche est une exigence méthodologique inaliénable pour moi. J’ai payé et je paie encore mes choix intellectuels de ma liberté mais ni intimidation ni répression ne pourront me faire changer de ligne de vie. Je fais mien ce propos de Frantz Fanon : « Ô mon corps, fait de moi un homme qui toujours s’interroge ».
Confirmations du naufrage
Dois-je pour ainsi dire vous blâmer ? Pas nécessairement. Parce que, par vos réponses contradictoires et ambiguës à mes interrogations, vous ne faites que confirmer ce qui, dans mes questions, n’était qu’hypothèse. Vous dites que votre projet est de préparer le « RCD à gouverner » alors que sur les ondes de Radio Azul International, vous avez déclaré il y a quelques jours que les institutions algériennes sont « du pipeau ». Vous dites que votre parti est présent sur le terrain et se bat pour une transition démocratique, mais vous dites en même temps que les Algériens sont totalement indifférents à la vie politique.
Vous dites que le RCD est un parti laïque mais vous refusez de vous démarquer d’une feuille de route signée par votre prédécesseur avec Rachad, un avatar du FIS dont certains dirigeants ont revendiqué l’assassinat d’intellectuels pendant la décennie noire.
Vous continuez aussi à officier régulièrement dans la chaîne Al Magharibia, organe dont la mission principale est de réhabiliter le FIS et préparer le terrain au triomphe moral et politique de l’islamisme. Vous revendiquez une filiation avec Avril 80 et le MCB mais vous couvrez la destruction des archives du RCD que l’ancien chef de cabinet de M. Mohcine Belabbas, M. Nassim Yassa, alors votre collègue à la direction du parti, revendique publiquement comme une victoire sans que vous ayez réagi….
Autant de contradictions qui donnent à votre discours l’allure d’un charabia qu’aucun esprit sainement construit ne peut saisir. Ceux qui ont trouvé la force d’aller jusqu’au bout de votre verbiage et qui ne connaissaient pas les raisons de l’effondrement du RCD ont la réponse à leur perplexité après avoir lu votre diatribe. Je vous laisse dans ce que vous semblez apprécier par-dessus tout : l’invective, la fuite en avant et la peur de la confrontation d’idées.
Entre-temps, je vous prie de me permettre de déplorer le naufrage en cours d’un parti qui a brillé par la qualité et la dignité de ses productions. Le spectacle est triste mais il a le mérite d’être inédit et de flatter les égos de ses auteurs.
Amar Ingrachen