Repose en paix, Ahmed. Tu as traversé ce monde comme un désert, avec quelques escales dans de rares oasis et des vertiges délétères au large des mirages.
Tu avais du talent à ne savoir où l’engranger, une dégaine en mesure de conquérir tous les feux de la rampe et une générosité à crever les écrans.
Tu adorais le cinéma dans un pays où les salles de projection sont livrées à la ruine et aux rats, tu adorais le théâtre dont le plancher geignard pleure ses géants d’autrefois, tu voulais interpréter tous les rôles, être roi et brigand, charmeur et mauvais garçon, héros éblouissant et âme damnée, trimardeur halluciné et sauveur de nation, tu voulais tous les rôles parce que tu avais tous les talents.
Mais dans le marasme ambiant, tandis que les gargotes se substituaient aux librairies, les artistes de ton envergure couraient le cachet comme on traque la licorne et aucun décideur ne souhaitait d’autres figures de proue que la sienne.
On perfuse au compte-gouttes de rares projets, on censure jusqu’aux courts-métrages, on regarde pourrir sur pied d’immenses réalisateurs et s’amenuiser à vue d’œil d’exceptionnels comédiens.
Pourtant, tu n’as jamais lâché d’un cran ta passion d’acteur et tu as continué de ramer en quête de projecteur salvateur.
Merci pour les rêves que tu as confectionnés pour les autres pendant que l’on rognait les ailes aux tiens, merci pour l’homme que tu as été, pour ce centaure merveilleux que j’avais reçu chez moi à Tamanrasset,(1988) avec Arezki Mettef, et qui avait fait de cette soirée fraternelle une formidable joute oratoire car tu savais dire les choses avec coeur et talent.
Je te revois encore au CCA, assis en face de moi, en train de brasser l’air avec grâce comme un semeur d’étoiles.
Ces quelques mots que je t’adresse tisonnent ma peine. Je suis triste pour ta famille, pour tes amis, pour le cinéma algérien et le cinéma tout court et pour toutes les belles choses qu’on t’a empêché de réaliser pour nous.
Repose en paix, Ahmed Benaissa. Tu mérites de te reposer, même si nous ne méritons pas de parler de toi au passé car nous t’aimons de tout notre cœur.
Salue tous les géants d’Algérie qui te célèbrent déjà La-Haut et dis-leur qu’eux aussi nous manquent atrocement. Fraternité éternelle.
Yasmina Khadra