Ils attendent, sentinelles patients, infatigables, et soudain surgissent des ténèbres, alléchés par l’odeur d’une victime qu’ils ont identifiée à travers le titre de l’article. Parfois ils se réveillent à la vue du nom de l’auteur et bondissent.
Ils se lâchent, ils déversent des tonnes de paroles et les couvrent de tournures grandiloquentes, surjouées et ridicules. Ils accentuent le propos avec des points d’exclamation, menacent avec des phrases en majuscule et tapissent leur propos d’interjections comme un Jaurès à la tribune.
Et pour bien montrer leur éducation, ils accompagnent leur haine avec des citations d’auteurs ou d’hommes politiques. C’est le sceau de leur vérité, de la légitimité de la profonde réflexion qu’ils vous lancent à la figure.
Mais ces grands maîtres de l’éloquence et de l’insulte ont la pudeur des grands auteurs de la littérature mondiale, ils ont des pseudonymes.
Leurs flamboyants pseudo sont aussi téméraires que le courage qui les anime, Hulk le barbare, Salim elma3na, Zid ya Bouzid et bien d’autres trouvailles, soit le seul génie qui peut leur être crédité.
Pourquoi l’anonymat ? Ils vous répondront spontanément que c’est une protection contre le régime politique algérien. C’est tout de même étonnant qu’ils s’adressent à moi, ai-je la tête d’un général ?
Ils vous diront que ce qui compte est le débat et ne veulent pas mettre en avant leur personne pour occulter les idées. Quelle magnifique pudeur et dignité. Ils ne peuvent pourtant s’imaginer que leur réflexion est noyée dans un torrent d’insultes et de vulgarité. Il leur vaudrait mieux mettre une photo, ce serait ainsi la preuve qu’il y a au moins une humanité derrière des paroles indignes.
Mais il y en a un, le virtuose des discours d’en bas, le maître de l’anonymat et des tournures alambiquées comme « amounavi » pour « à mon avis », une plaisanterie éculée des cours de récréations dans les années 70’ en Algérie. Il me suit comme une groupie devant la porte d’un chanteur de rock. Il culmine, il gesticule d’impatience et on sent qu’il va rugir en sortant de la fosse aux lions, celle dans bas. Il vient de m’entendre avec mes pas qui résonnent, en haut.
Il exulte et prépare son texte avec une délectation qu’il veut aussi patiente que le feu de l’enfer qui monte en température. Car il démarre toujours en préchauffage. On a même l’impression qu’il est heureux de me revoir puisque je lui donne l’occasion d’exister, alors il fait durer le plaisir avant l’assaut.
Son préambule est souvent « Ah, voilà notre Sid-lakhdar ! », « Ya si le professeur… » et parfois il se laisse aller dès le départ à la vulgarité des bas-fonds où il a une résidence sous les articles, « Le professeur de mes de.. ». Là, il ne s’est pas contrôlé car il a raté le suspense de l’insulte qui doit venir à l’acte suivant pour bien faire monter l’attention du lecteur.
Un jour je lui ai demandé pourquoi il rédige des réponses aussi longues et qu’il n’en fait pas part aux lecteurs en publiant des articles. Sa réponse, je regrette de ne pas l’avoir copiée car elle resterait inscrite dans le Panthéon des braves courageux du débat militant et de la surveillance des propos d’un certain Sid Lakhdar, « professeur de mes de… ».
En fait, par cet article en réponse, je cache ma grande déception, l’effondrement de mes espoirs. J’écrivais en pensant avoir un modeste écho sur un lectorat. C’est la grande ambition de ceux qui préfèrent la lumière et exposent leur vrai nom.
Je suis hélas suivi par des gens du bas des articles. L’ambition de porter une parole et des arguments doit toujours être accompagnée d’une grande modestie. Ces gens me rappellent à la mienne car ils sont mes lecteurs les plus prompts à réagir.
Gens des ténèbres, montez au niveau plus haut, celui des articles. Partagez avec nous vos idées qui semblent si riches lorsque vous êtes en bas.
Montez et présentez-vous avec vos vrais noms, nous verrions enfin qui sont ces grands téméraires du monde d’Hadès. Vous voyez, moi aussi je sais placer une référence.
Montez, sortez de votre anonymat et guidez-nous. Vous en avez l’éloquence facile, nous ne vous suivrons certainement pas mais nous n’aurions plus le bourdonnement du bas de nos articles.
Boumédiene Sid Lakhdar, enseignant retraité