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Retour sur les morts de Montreux

Montreux

Montreux, prestigieuse ville suisse, située sur la Riviera vaudoise, est désormais associée à l’illustre Mouloud Feraoun, l’auteur notamment de La Terre et le sang

Et pour cause, parmi les cinq membres de la famille qui sont tombés les uns après les autres dans un intervalle de cinq minutes, depuis leur balcon du 7ème étage d’un luxueux immeuble, près du Casino, on compte deux petites filles jumelles de l’illustre écrivain algérien assassiné par l’OAS le 15 mars 1962.

Le drame est survenu le 24 mars dernier. Les cinq membres de la famille, le père, les deux jumelles, la fillette de 8 ans sont morts sur le coup pendant que le fils âgé de 15 ans a miraculeusement survécu. Aux soins intensifs, on pense qu’il va survivre, selon les informations données par la police vaudoise.

Monteux, le 29 mars. Retour sur les lieux du drame. Une après-midi dominicale ensoleillée, la circulation est dense sur l’artère centrale. Les touristes sont de retour, des processions de promeneurs envahissent le bord du lac. 

Une foule bigarrée savoure joyeusement le retour de la vie après plusieurs mois d’angoisse : les enfants courent dans tous les sens, des photographes amateurs prennent des photos du lac et des queues de quelques mètres se forment devant des glaciers. La vie est célébrée sans retenue sous les yeux heureux de la statue de Freddy Mercury devant laquelle des adolescentes ne cessent de déposer des fleurs et de petits mots d’amour. 

A quelques mètres de cette dernière scène, on retrouve au pied d’un petit palmier, sous le luxueux immeuble d’où s’est défénestrée la famille, des bougies, des cartes et des fleurs déposés par certaines âmes charitables. Quelques curieux s’arrêtent, pour ensuite disparaître dans ce décor paradisiaque où l’on voit aucune trace de qui s’est passé, il y a quelques jours, très tôt le matin. 

« C’était un drame insoutenable », nous dit Giselle, une employée d’un commence avoisinant, rencontrée par hasard. « De loin, je voyais un mouvement de policiers, en m’approchant jusqu’à la limite autorisée, j’ai pu voir de loin, me semblait-il, un corps gisant au sol. La scène m’est insupportable pour rester sur les lieux. », nous raconte-t-elle.

Plus tard dans la journée, notre témoin, apprend par le biais de la presse que la famille en question est franco-algérienne et installée depuis quelques années dans cette ville où Ferhat Abbas tenait une permanence du F.L.N,  à l’hôtel des Palmiers, en 1957.

Elle apprend aussi qu’il s’agit d’une famille très instruite et très aisée. « La vie est étrange, pendant que des réfugies affluent d’Ukraine pour fuir la mort, d’autres se la donnent gratuitement », nous dit Giselle.

Nous avons fait le tour de l’immeuble pour essayer d’imaginer la scène. Et là nous tombons nez-nez avec Maryam, une connaissance algérienne qui est dans la ville pour profiter des douceurs du lac. Très vite, sans le vouloir, le sujet du drame s’est imposé. Elle nous partage, en faisant l’effort de retenir ses vives émotions, son choc et celui de toute la communauté algérienne. « Même si visiblement personne ne connait cette famille, le fait d’apprendre que ce sont des Algériens et reliés à notre chère Feraoun, cela nous choque doublement », témoigne Maryam, avant d’aller siroter un cocktail sur une terrasse donnant sur le lac.

Ce drame humain insoutenable et étrange a suscité émoi et curiosité, et a très vite fait le tour des médias. Concernant les causes, les spéculations sont allées bon train. Mais la police vaudoise a écarté l’intervention d’une personne étrangère et de la violence au sein de la famille pour ne retenir que la thèse du suicide collectif. La famille est visiblement acquise aux thèses catastrophistes, survivalistes et complotistes. 

En effet, des quantités importantes de produits alimentaires et pharmaceutiques ont été retrouvées stockées dans leur l’appartement. Mais un journal romand questionne cette thèse en parlant de la photo de la scène de crime qui est entre les mains de la police et qui « jette un gros doute sur l’acte délibéré et commis en commun, privilégié par la justice et la police vaudoises. » A ce stade, l’énigme demeure et probablement le survivant miraculé finira par raconter les faits.

Nous sommes devant l’entrée du bâtiment, une vieille dame passe avec son chien. Nous avons essayé de la questionner. Quand elle a compris l’objet de notre interpellation, elle vociféra : « Laissez les morts se reposer tranquillement ! » Ce que l’on a fait. On rejoint une terrasse d’un café, avec une vue sur l’étendue bleu azur sur laquelle tapaient des rayons lumineux, on ouvre La Terre et le sang et on commence à lire : « La vie, c’était cela: le doute lancinant , le tourment, le remords qui empêche de dormir ou qui vous réveille en sursaut. La vie c’est aussi l’image souriante et douce jusqu’aux larmes…»

De Montreux, Tahar Houchi

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