De l’extérieur, rien de particulier. Sinon ces « Fouta » (pagnes), tissus berbères, qui voilent le bas des vitres, comme pour donner un aspect à la fois discret et mystérieux à l‘établissement. Ou encore le garder jalousement à l’abri des regards de la grande foule… et la consommation de masse. Nous sommes pourtant entre le Mile End et le Mont Royal, uns des quartiers les plus animés de Montréal.
Ensuite, cette plaque en bois à l’ancienne, accrochée sur un mur en brique rouge, un peu à l’écart de la devanture. Il faut bien lever la tête et chercher du regard pour y lire en lettres sculptées et aux couleurs verdoyantes de la Kabylie, “Rites Berbères”.
Une porte s’ouvre puis une deuxième pour accéder à la salle principale du restaurant. On se croirait déjà à une autre époque. Il faut dire que l’établissement existe depuis 1985. Rien n’a changé depuis.
Voici un comptoir quelconque derrière lequel se tient fièrement un Monsieur d’un certain âge. Ses médailles de marathonien, obtenues à Québec comme à Boston, placées juste au-dessus de sa vieille machine à encaisser des sous, luisent au reflet de la lumière sur sa tête rase.
Tout autour, des jarres et des plats en terre cuite et en céramique témoignent du précieux leg des mères et des grands-mères constamment à l’ouvrage.
Mohand Yahiaoui a émigré il y a une quarantaine d’années au Québec. Il a quitté les montagnes de sa Kabylie natale pour une autre montagne. Celle du Mont Royal, en contre-bas de laquelle il a tâché à reconstituer sa petite Kabylie… au plus fort des six mois que dure, ici, l’hiver.
Durant l’été, une à deux fois par semaine, et après avoir mis son couscoussier sur le feu, il enfile sa tenue de course pour aller faire le tour de la montagne. Un parcours de 14 km environ, alors que Dda Mohand vient de boucler ses 69 ans.
Aussitôt de retour, il grimpe une échelle pour cueillir des tomates fraîches de son potager qu’il garde constamment à l’œil. De minuscules rongeurs, appelés les écureuils, lui sapent souvent un bout de sa récolte 100 % bio.
Une petite salade bien assaisonnée à l’huile d’olive du bled et une petite bouteille de vin blanc tirée de sa précieuse cave à vin, Mohand Yahiaoui s’installe sur sa terrasse, en dessous de la vigne qu’il a plantée lui-même, pour savourer son repas.
Des airs de la Méditerranée
Le « Rites Berbères » dispose de deux terrasses. L’une couverte avec comme toile de fond un mur orné des meilleurs vins du siècle dernier. Les bouteilles sont toutes entamées comme le restaurant n’offre pas de boissons alcoolisées, mais encourage ses clients à apporter leur breuvage.
La seconde terrasse a quelque chose de la Toscane, en Italie. Cette fraîcheur en bas de la vigne et sur un plancher en bois. Une petite cabane où sont stockés les outils de jardinage et sur laquelle courent des rumeurs. Il paraît que le propriétaire y enferme les mauvais payeurs quand ils ne savent pas faire la vaisselle ! Bien entendu, c’est une blague !
Le petit repas santé avalé, Mohand accueille ses clients comme on accueille à la maison. De sa petite table où il savoure son « Riesling Muenchberg Grand cru 2014, Domaine Ostertag », en lisant son Canard Enchainé qu’il part chercher à vélo toutes les semaines. Autour de lui Alice et Cloé, ses deux magnifiques et fidèles chatonnes, l’une avec son petit bol de melon, l’autre avec sa petite assiette de beurre d’amande crémeux.
« Si jamais vous souhaitez prendre une entrée, je vous propre un assortiment de pois chiches au cumin, Tchakchouka piquante et salade berbère. J’apporte les couvercles et les assiettes, et vous vous servez vous-mêmes ». C’est en ces termes que Mohand propose toujours son menu dont la version imprimée, plutôt écrite à la main, n’est présentée qu’à la demande du client.
Même s’ils ne regrettent jamais l’assortiment d’entrées, à croire qu’il y met du « Ihachkoulen (gris-gris en kabyle) », c’est souvent pour son « fameux » couscous que les mêmes clients reviennent depuis des décennies.
La particularité de la semoule fine qu’il roule lui-même, le bouillon riche de légumes frais triés sur les meilleurs étals, et son méchoui d’agneau du Québec font la notoriété de cette institution du couscous à Montréal, depuis bientôt quarante années.
« Je prépare tout moi-même, y compris mes merguez (saucisses). J’ai appris de ma mère mes recettes. Il faut être un artisan pour durer toutes ces années, à l’ère du fast-food et du marketing », lance-t-il fièrement.
En effet, Mohand Yahiaoui a tout façonné à son image. Dans la discrétion et la simplicité. Il considère que c’est aux clients de le découvrir. Il n’a jamais fait de publicité. Ses proches et amis ont tenté de le convaincre. Rien à faire. Son fin mot de l’histoire : « à l’ancienne », répète-t-il jusqu’à décourager les plus entreprenants.
Pour preuve, même la période des deux années de pandémie n’a pas eu raison de son établissement, à l’heure où des restaurants de grande réputation à Montréal baissent rideau les uns après les autres. « Rites Berbères » n’a pourtant bénéficié d’aucune aide financière du gouvernement.
Un de ses secrets ? Le « couscous Tigzirt », au poulet et à l’agneau, au point que ses clients, essentiellement des Québécois et des Français, apportent leurs chaudrons pour emporter des parts entières à la maison.
Pour ceux qui préfèrent profiter de la grande salle aux allures d’un salon berbère ou de la terrasse aux charmes paisibles de la campagne en Méditerranée, Mohand tire une bûche pour s’attabler avec tel ou tel autre groupe.
Avec notamment quelques bonnes anecdotes dans son baluchon, il est souvent invité à goûter au vin de ses hôtes. Son avis est toujours sollicité, pour être connu dans le monde du vin.
Des conseillers de la SAQ (Société des alcools du Québec) en témoignent, comme ce jour-là où Gaston, un de ses fidèles clients lâche autour de la table : « Mohand a l’une des meilleures caves à vin à Montréal ».
Il faut la voir pour y croire.
Mehdi Mehenni
Adresse de l’établissement : 4697 Rue de Bullion, Montréal, Québec
Téléphone : (514) 844-7863