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Sahel : carence de souveraineté ou de bonne gouvernance ?

Les pays du Sahel rongés par une instabilité structurelle et multidimensionnelle.

La question de la souveraineté de leurs pays est devenue un des arguments principaux des juntes malienne et burkinabé pour expliquer les tensions avec l’ancienne puissance coloniale.

On découvre ainsi que ces pays, en dépit de la proclamation de leurs indépendances depuis plus de soixante ans, se seraient vus insidieusement confisquer leur souveraineté par cette même France qui a tracé leurs frontières, mis en place les institutions et formé les élites politiques qui ont pris la suite de l’administration coloniale.

Les relations avec le reste du monde sont restées soumises à la surveillance et au contrôle de ce parrain protecteur qui garantit une forme de réassurance sur la scène internationale. Quel que soit néanmoins le degré d’exactitude de ce schéma, cela ne saurait suffire à occulter la responsabilité des dirigeants qui se sont trop facilement accommodés de la situation. Il est en effet par trop facile d’estimer que tout ce qui arrive est toujours la faute de l’étranger.

Au Sahel plus qu’ailleurs, la marge de liberté laissée par les dominants et autres impérialismes n’a jamais été véritablement mise à profit pour consolider l’unité des pays et convaincre de leur capacité à s’organiser pour défendre leurs intérêts sur la scène internationale. L’affirmation de sa souveraineté se construit de l’intérieur et se traduit à l’extérieur par une attitude responsable inspirée par un réalisme politique exempt de raccourcis populistes.

Aujourd’hui, les déboires de la France en Centrafrique, au Mali et au Burkina Faso semblent avoir ouvert un nouvel épisode de cette relation compliquée avec ses anciennes colonies. La politique africaine de la France souffre en effet des conséquences d’erreurs manifestes d’appréciation des évolutions sur le continent. Les nouvelles générations, quoique marquées également par les séquelles de l’histoire coloniale, aspirent à établir d’autres rapports avec les anciennes puissances coloniales et au-delà, avec le reste du monde. Ces évolutions ne sont cependant pas à l’abri de contradictions et de tâtonnements qui en disent long sur la part persistante d’irrationnel qui impacte négativement leur portée.

Au Mali, depuis l’avènement de la junte actuelle, la communication politique extérieure du pays se focalise essentiellement sur la France et ses pratiques jugées trop paternalistes, voire hostiles. Cette posture aux relents populistes ne suffira pas à couvrir les insuffisances des colonels au pouvoir face aux principaux défis qui les attendent.

Ceux qui alimentent ce débat obsessionnel et parfois simpliste sur le rôle présenté comme ambigu de la France dans la crise au Sahel ne se rendent souvent pas compte du ridicule de leur acharnement. La meilleure manière d’affirmer la souveraineté d’un pays et de forcer le respect est d’être irréprochable sur la qualité de la gouvernance et capable de construire des schémas institutionnels en mesure de réunir tous les citoyens autour de pactes nationaux inclusifs susceptibles d’être portés par l’ensemble des communautés constitutives de leurs peuples.

Comment donner du crédit à cette nouvelle exigence de souveraineté, aussi légitime soit-elle, quand ses promoteurs ne parviennent pas à interroger leur propre responsabilité dans la qualité de l’image politique du continent qu’ils donnent à voir. Quand des Présidents africains s’adonnent à une gabegie sans limite alors que leurs populations souffrent de soif et de faim, cela interroge sur le degré de conscience de ces responsables et leur aptitude à incarner légitimement les intérêts de leurs peuples.

Certains pays africains sont encore très loin d’avoir stabilisé leurs modèles institutionnels et ne semblent pas comprendre que la résolution de certains problèmes internes est une condition essentielle à l’unité et à un patriotisme partagé. Les slogans à l’emporte-pièce risquent de montrer rapidement leurs limites.

Certaines attitudes, notamment des néo-panafricanistes, alimentent même les stéréotypes et autres clichés souvent associés au continent. S’il est avéré que le comportement arrogant de certains pays occidentaux a largement contribué au sentiment de rejet qui se propage en Afrique et au-delà, les Africains gagneraient à éviter le chapitre émotionnel et à faire preuve de réalisme et de pragmatisme pour se faire respecter et participer pleinement au concert des nations.

Tant que les élites africaines n’enverront pas une image digne de respect, les autres acteurs internationaux traiteront le continent avec condescendance. Les Chinois, les Russes, les Turcs, les Iraniens ou les Indiens pourraient reproduire les mêmes postures que celles prêtées aux occidentaux s’ils se retrouvent face aux mêmes incohérences de leadership en Afrique.

Les Sahéliens doivent se poser enfin la question de la forme de démocratie qu’il faudrait imaginer pour répondre aux aspirations des peuples. Il y a une réalité humaine qui ne saurait être contournée par une normalisation et un alignement sans intelligence sur des modèles importés.

Les discours prêts à porter sur la démocratie ne servent qu’à donner l’impression d’obéir aux standards internationaux, faisant fi des spécificités africaines. La démocratie est réduite à des simulacres d’élections dont les résultats ne reflètent que rarement la volonté des électeurs. La corruption et la gabegie sont instituées en mode de fonctionnement au point qu’il devient périlleux pour tout dirigeant de vouloir s’y attaquer.

La place disproportionnée que prend la question du 3ème mandat illustre à volonté la faiblesse des exigences démocratiques qui sont limitées en l’espèce à des considérations de façade qui ne disent rien sur la qualité de la gouvernance et sur la conception que se font les élites du pouvoir et de son exercice.

L’enjeu principal semble être de céder la place à d’autres, quitte à ce que les suivants reproduisent les mêmes pratiques, sans obligation de rendre des comptes. Les élections, aussi vaines que pourvoyeuses de corruption, ne sauraient suffire à donner corps à la démocratie.

La diversité des communautés et l’indispensable respect de leurs droits doivent être la base de toute réflexion sur le modèle de gouvernance à même de garantir l’unité et l’épanouissement du peuple. Tant que l’Etat n’est pas en mesure de garantir des équilibres justes et équitables entre ses communautés, il ne pourra avoir de réelle consistance pour les citoyens. Le vote ethnique est une réalité qu’il est nécessaire d’articuler avec les intérêts du pays.

Les difficultés que rencontre actuellement le président Bazoum au Niger en disent long sur les multiples obstacles qui se dressent dès lors que l’on envisage de réformer et de sortir des pratiques installées de mal gouvernance, suicidaires pour le pays.

La représentation officielle du pays est, par exemple, en déphasage complet avec sa configuration socioculturelle et cette bombe à retardement hypothèque considérablement l’avenir du pays. Au Mali, le projet qui est proposé au pays par la junte militaire actuelle repose sur l’hégémonie ethnocentrée d’une communauté qui se confond à l’Etat et organise les institutions à son seul profit.

Toutes ces fragilités expliquent en partie les difficultés de ces pays à élaborer des stratégies sécuritaires efficaces en mesure de faire face à la menace existentielle qui les guette.

A toutes ces pratiques ancrées, se rajoute au Sahel la difficulté des intellectuels à jouer leur rôle et s’adresser au peuple et aux politiques afin d’attirer l’attention sur les travers du pouvoir et les impasses d’un populisme dont les effets contre-productifs entretiennent les situations qu’il pense combattre.

Aussi longtemps que des élites aveuglées par des complexes et leur incapacité à s’affranchir du formatage intellectuel inspiré par d’autres réalités sont aux commandes, les pays africains ne pourront produire leur propre mode de gouvernance fondé sur leur Histoire et leurs réalités socioculturelles.

Dans un monde en quête de nouveaux équilibres, l’Afrique semble encore « mal partie » et certains Africains se contentent de se lamenter au lieu de questionner leur propre responsabilité sur le sort du continent.

Abdoulahi Attayoub

Consultant 

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