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Saïd Djabelkhir devant le juge : politique des hommes ou politique de Dieu ?

TRIBUNE

Saïd Djabelkhir devant le juge : politique des hommes ou politique de Dieu ?

L’homme naît sans croyances. En ouvrant les yeux, il ne connait ni religions, ni prophètes, ni dieux, ni curés, ni imams, ni moines bouddhistes… Aucune puissance surnaturelle ou divine n’a ancré quoi que ce soit dans son cerveau.

C’est son environnement familial, culturel, politique qui feront de lui un musulman, un chrétien, un bouddhiste ou un athée, etc. Dans un pays libre, il peut faire son choix une l’âge mûr (adolescent ou adulte). Dans un pays autoritaire ou dictatorial, il est obligé de suivre la foule ou taire ses vraies convictions religieuses ou non religieuses.

En Algérie, il existe un ministère de la religion. Oui, celle-ci est politisée, bureaucratisée, instrumentalisée. Elle sert non pas les intérêts de Dieu mais ceux des hommes, ceux-là même qui l’ont institutionalisée. Son budget est considérable.

Pas loin de 20 000 mosquées lancent, chaque jour, avec ostentation l’appel rappelant le « devoir de prière » à tout citoyen, pratiquant ou non pratiquant. L’observation objective de la réaction à cet appel montre que celles et ceux qui se précipitent vers la mosquée sont une extrême minorité puisque les rues ne désemplissent pas. Au point où, dans certaines wilayas, on oblige les commerçants à fermer boutique à l’heure de la prière du « Dhor/Thour ». À quelques exceptions près, cette obligation de fermeture s’est généralisée à tout le pays le jour du vendredi.

Pourtant, ne pas pratiquer ce précepte de l’islam est plutôt toléré. La police ne fouette pas, comme en Arabie, celles et ceux qui continuent de déambuler dans les rues pendant que retentit avec force la voix du muezzin à hautes décibels et pendant que les fidèles se prosternent, à genoux, dans le sens de la Qibla : Jérusalem au début de l’Islam, La Mecque aujourd’hui. En revanche, ne pas observer le jeûne du ramadhan, manifester son appartenance à une autre religion ou afficher son athéisme peut vous conduire vers le juge et le procureur !

Même adulte, vous n’êtes pas libre de vos jugements. Vos croyances doivent rentrer dans le moule des officiels lors même que ces derniers pratiquent la corruption, dilapident les biens publics, trafiquent la cocaïne et les devises, sont corrompus par des puissances étrangères et, bien souvent aussi, ont des comportements pervers. Et ces gens-là ont des relais dans la société : des journalistes, des magistrats et toute sorte de dévot.

Il se trouve que c’est dans ce lot d’apparatchiks et de leurs soutiens que se recrutent ceux qui ont condamné politiquement, « moralement » ou « judiciairement » ceux qui, à un moment ou un autre, ont exprimé un point de vue libéré de l’Islam ou s’écartant de l’orthodoxie de celui-ci. Les condamnations ont parfois été sévères. Slimane Bouhafs, Yacine Mebarki, Walid Kachida, Mohamed Fali, Fares Bachouta, Habiba Kouider et beaucoup d’autres ont subi les foudres des hommes qui se donnent le rôle d’Allah pour juger à sa place. Même le célèbre professeur Mohamed Arkoun, islamologue algérien mondialement reconnu, a subi publiquement, dans son propre pays, le mépris et le rejet des Al-Qardaoui, Al-Ghazali (tous deux Égyptiens) et Al-Bouti (Syrien) en pleine conférence islamique tenue en 1985 à Bgayet (Béjaïa) !

Cette interférence entre le judiciaire, le politique et le religieux aux conséquences néfastes incalculables, a pris aussi dans ses rets le jeune et brillant islamologue Saïd Djabelkhir. Il sera présenté devant la justice ce 25 février 2021 pour « atteinte aux préceptes de l’Islam » suite à une plainte déposée contre lui par, tenez-vous bien, « le professeur » Abderezak Bouijdra de l’université de Sidi Bel-Abbès et un petit groupe derrière celui-ci !

Dans toutes ces affaires et de tant d’autres du même acabit, on constate que plus on tente de préserver l’Islam, plus on tombe dans l’immoralité. Que des hommes cherchent, en effet, à codifier, à judiciariser, à politiser les rapports entre l’homme et Dieu, n’est-il pas le plus gros blasphème ? Un homme condamné par un autre homme sur ses rapports à Dieu, n’est-il pas un sacrilège ? Un pouvoir temporel qui s’identifie au pouvoir divin n’est-il pas de l’idolâtrie ?

Ces reflexes au nom de l’État ou encouragés en sourdine par l’État est, à l’évidence, un retour au moyen âge, c’est-à-dire un retour à la perversion de la religion, au détraquement de l’éthique et à la dégénérescence de la politique. Ces engrenages ne sont, en réalité, que de simples rapports interhumains et, en tant que tels, ils ne sont que de vulgaires rapports de force. Alors, condamner au nom de Dieu c’est se condamner soi-même, et c’est condamner la société à un processus de régression.

Toutes ces actions juridico-religieuses auxquelles nous assistons suscitent une inquiétude évidente pour la paix en Algérie, pour l’avenir de ce pays. La décennie quatre-vingt-dix/deux-mille a montré que le mélange religion-politique-justice est un mélange explosif. Cette manière islamiste d’être musulman a couté plus de 200 000 morts, plus de 20 000 disparus et des déchirements toujours à vif ! Alors, laissons Saïd Djabelkhir faire son travail de réflexion. Sa pensée féconde est une chance pour l’Algérie. Entraver ses travaux c’est provoquer notre colère !

Auteur
Hacène Hirèche (militant associatif)

 




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