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Saïda Abouba : « Boudiaf, un espoir brisé » 

Boudiaf un espoir assassiné

Dans son premier roman, Boudiaf, un espoir brisé, Saïda Abouba revient avec une poignante émotion sur la figure emblématique de Mohamed Boudiaf, président de la République algérienne de janvier à juin 1992, tragiquement assassiné.

Loin d’un simple récit historique, l’écrivaine opte pour la forme romanesque afin de transmettre la douleur, la résilience et l’espoir d’un peuple marqué par cet événement et la période tragique qui s’ensuivit. Dans cet entretien exclusif, Saida Abouba nous a répondu avec spontanéité, nous offrant un éclairage intime sur son processus d’écriture, son lien profond avec la mémoire collective et sa vision de la jeunesse algérienne d’aujourd’hui.

Le Matin d’Algérie :Pourquoi avoir choisi la forme du roman pour raconter l’histoire de Mohamed Boudiaf, plutôt qu’un récit biographique ou historique ?

Saïda Abouba : La mort de ce grand moudjahid, figure emblématique et président de notre République, a ébranlé mon âme, me poussant irrésistiblement vers la forme romanesque. Loin des cadres rigides d’une biographie ou d’un récit historique, le roman m’a offert un espace libre pour tisser ma colère et mon désarroi, pour faire vibrer la douleur d’une nation à travers les mots.

Le Matin d’Algérie :Comment avez-vous construit le personnage de Boudiaf pour qu’il touche émotionnellement les lecteurs ?

Saida Abouba : Dans un élan spontané, jailli des profondeurs de mon cœur, j’ai donné vie à ce personnage. Je voulais qu’il résonne avec l’âme des lecteurs, qu’il incarne non seulement l’histoire d’un président, mais aussi la douleur brûlante de mon pays. Cette souffrance, intense et viscérale, m’a guidée pour exprimer le cri d’un peuple révolté par l’injustice.

Le Matin d’Algérie : Le poème qui accompagne votre livre exprime une grande douleur. Était-ce une façon d’introduire le ton émotionnel du roman ?

Saida Abouba : Non, ce poème n’est pas une simple introduction, mais le cri d’une jeune étudiante foudroyée par la perte d’un symbole de la révolution, président de la République assassiné. L’acte inouï de tuer un homme aussi valeureux que Boudiaf dépasse l’entendement, un choc qui bouleverse l’âme. À une époque où l’Algérie bouillonnait d’effervescence, cet assassinat a brisé les cœurs, et mon poème porte ce deuil immense et collectif.

Le Matin d’Algérie : L’Aurès occupe une place importante dans votre récit. Pourquoi ce choix ?

Saida Abouba : Un écrivain puise dans les battements de son cœur, dans les échos de son entourage, dans ce qui le touche au plus profond. Les Aurès, berceau ardent de la révolution, sont intimement liés à l’histoire de ce grand révolutionnaire, pilier de la guerre de libération et président éphémère. J’écris sur ce qui me fait mal, ce qui me bouleverse, mais aussi sur ce que j’aime : cette terre, cette mémoire vive, ces racines qui chantent et pleurent à la fois.

Le Matin d’Algérie : Avez-vous intégré des éléments fictifs pour explorer la vie intime de Boudiaf ?

Saida Abouba : Je n’ai pas tissé d’éléments fictifs, car je n’ai pas cherché à pénétrer la sphère intime du feu Boudiaf, président dont la brève tenure a marqué l’Algérie. Mon récit se concentre sur le séisme émotionnel qu’a provoqué son assassinat, un choc qui a ébranlé ma famille et moi-même. Cette perte, loin d’être ordinaire, reste gravée dans la mémoire collective, annonçant la décennie noire, une période qui a laissé des cicatrices indélébiles dans l’âme de notre peuple.

Le Matin d’Algérie : Comment avez-vous trouvé l’équilibre entre liberté créative et respect des faits historiques ?

Saida Abouba : Les thèmes de mon récit, entrelacés dans les heures sombres de l’Algérie, ont façonné mes personnages avec une vérité organique. Chaque coin de notre terre, chaque parcelle de notre histoire porte une tragédie qui demandait à être contée. Ces blessures invisibles, qui ne cicatrisent jamais, sont devenues la chair de mon récit, un équilibre naturel entre la liberté de l’écriture et le respect des ombres du passé.

Le Matin d’Algérie : L’espoir brisé et la lutte contre la corruption sont au cœur de votre livre. Comment se traduisent-ils dans vos personnages ?

Saida Abouba : Ces thèmes traversent la vie de mes personnages, entre résilience et combats quotidiens. L’espoir ne meurt jamais vraiment, même face aux obstacles comme la corruption.

Le Matin d’Algérie : Y a-t-il un personnage fictif qui vous a particulièrement marqué ?

Saida Abouba : Oncle Saïd, personnage façonné par la rigueur et la sagesse, est cet homme discret dont la parole rare porte un poids précieux. Attaché à sa terre et à ses traditions, il incarne à lui seul une mémoire vivante, un lien ténu mais puissant avec un passé tumultueux. Par son courage tranquille et sa fidélité sans faille, il évoque, sans jamais les nommer explicitement, les souffrances et les espoirs d’une Algérie marquée par la figure de Boudiaf, ce président martyr. Oncle Saïd est ce gardien silencieux des idéaux révolutionnaires, un souffle intime qui traverse les générations.

Le Matin d’Algérie : Comment espérez-vous que votre roman parle aux jeunes Algériens d’aujourd’hui ?

Saïda Abouba : Les jeunes d’aujourd’hui n’ont pas connu cette détresse, mais leurs familles en portent encore les échos. Ils savent, je crois, que la perte d’un président comme Boudiaf est une leçon gravée dans notre histoire. Mon vœu est que ce roman tisse un pont entre les générations, que la jeunesse algérienne, cette « amana », c’est-à-dire une responsabilité sacrée, cette relève, saisisse le flambeau pour faire prospérer notre pays. Il s’agit d’un dépôt précieux que nous devons préserver. La révolution algérienne continue de vibrer dans leurs âmes, porteuse d’un avenir radieux.

Le Matin d’Algérie : Avez-vous puisé dans votre propre vécu pour décrire le deuil et la résilience ?

Saïda Abouba : Non, ces émotions ne naissent pas de mon vécu personnel, mais d’une communion profonde avec l’assassinat de Boudiaf, président dont la mort a secoué la nation. Je le ressens, je le vis dans ma chair, et je l’exprime avec une sincérité brute. Cette douleur, telle une épée transperçant nos corps, nous plonge dans les ténèbres d’un deuil collectif. Incapables de taire nos blessures, nous écrivons pour crier notre souffrance, pour témoigner de l’ampleur de notre chagrin.

Le Matin d’Algérie : Quels choix narratifs avez-vous faits pour restituer cette intensité émotionnelle ?

Saïda Abouba : L’intensité des émotions de cette période tragique ne repose pas sur des artifices narratifs, mais sur l’expression pure des sensations qui m’ont bouleversée. Les cris des mères, des femmes, des enfants, résonnent encore dans ma mémoire, échos du deuil causé par la perte d’un président et d’une époque. Ces pertes humaines, ces blessures collectives, m’ont poussée à écrire. Le style, lui, naît spontanément, porté par la force brute de ces souvenirs.

Le Matin d’Algérie : Quel rôle espérez-vous que ce roman joue dans la mémoire collective ?

Saïda Abouba : En tant que simple écrivaine, je rêve que ce roman ravive la mémoire de figures immortelles comme Boudiaf, président dont l’héritage résonne encore. Qu’il ranime nos souvenirs et rende hommage à ces géants de notre nation. En racontant l’histoire d’une figure du mouvement national, ce livre enrichit notre mémoire collective, un legs précieux pour ne jamais oublier.

Le Matin d’Algérie :En une phrase, quel message émotionnel voulez-vous transmettre avec Boudiaf, un espoir brisé ?

Saida Abouba :L’espoir, malgré les blessures, d’une Algérie prospère, portée par un développement durable et une ambition qui détient les clés de la réussite.

Le Matin d’Algérie : Travaillez-vous sur un nouveau projet littéraire ?

Saida Abouba : Oui, je tisse un nouveau roman, Tithrith, la fille de Manaa, une œuvre qui explore notre histoire sous un autre prisme, avec la même ferveur.

Entretien réalisé par Djamal Guettala

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