Dans le fracas du monde moderne, certaines voix résonnent à contretemps, avec la force douce des racines profondes. Celle de Saïda Abouba, romancière, traductrice et enseignante, fait entendre l’écho d’un territoire et d’une mémoire : l’Aurès. Une région souvent reléguée aux marges, mais qui, sous sa plume, devient berceau de résistance, d’espoir et de parole féminine.
Née à M’chounèche, au cœur des montagnes chaouies, Saïda Abouba enseigne l’anglais dans le cycle moyen. Mais son véritable enseignement, elle le transmet à travers ses romans, ses poèmes et ses traductions. Avec plusieurs œuvres à son actif — Aurès, Betta, le combat d’une Aurésienne, Le destin fatal de Taziri, Boudiaf. Espoir brisé, ou encore Sur les traces des femmes Aurésiennes — l’écrivaine construit livre après livre une œuvre enracinée, lucide et profondément humaine.
Son travail de traduction en tamazight, notamment à travers Sallas Yemdel Taziri, version amazighe du Destin fatal de Taziri, témoigne de sa volonté de faire de la langue chaouie non pas un simple vecteur culturel, mais un outil littéraire à part entière. En 2021, cette démarche est saluée par le Prix du Président, qui récompense sa traduction du roman Sur les traces des femmes Aurésiennes.
Son œuvre est traversée par une constante : la femme comme pilier de la société. Dans son texte emblématique La femme est le pilier de son foyer et de son pays, elle rend hommage à la figure maternelle, ancrée, silencieuse, essentielle. Une femme qui veille, élève, lutte et construit sans rien attendre en retour. Une femme-montagne, fidèle à l’Aurès qui l’a vue naître.
Dans Aurès, l’un de ses romans les plus marquants, elle dresse le portrait d’un pays meurtri, mais debout. À travers la figure d’un héros nommé comme sa terre, elle évoque la décennie noire avec pudeur et lucidité, tout en traçant un horizon de guérison et de renaissance.
Betta met en lumière une mère aurésienne, figure de courage et de dévouement, entre traditions et combats intimes. Le destin fatal de Taziri explore quant à lui les tensions de la guerre d’indépendance à travers le destin d’une jeune femme villageoise, Chahla, symbole d’un féminisme enraciné dans le vécu.
Dans ses écrits, les femmes ne sont jamais des victimes passives. Elles sont des bâtisseuses d’avenir, debout face aux épreuves, tenaces dans l’ombre. Comme elle l’écrit dans Sur les traces des femmes Aurésiennes, ces femmes s’expriment par l’écrit, les arts, les métiers à tisser — autant de formes de résistance et de mémoire.
Plus récemment, avec Boudiaf. Espoir brisé, l’auteure quitte la sphère du roman pour retracer la trajectoire d’un homme d’État emblématique, dans un récit qui allie engagement politique et quête de vérité.
Loin des projecteurs, Saïda Abouba continue à écrire, traduire et enseigner, avec cette conviction tranquille que la culture est un acte de résistance. Elle incarne une littérature de proximité, enracinée dans le réel, habitée par la mémoire, tournée vers l’avenir.
Dans les livres de Saïda Abouba, l’Aurès n’est pas un décor. C’est un personnage. Et ses femmes, les véritables héroïnes.
Djamal Guettala