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Salah Oudahar : les témoins du temps & autres traces

Salah Oudahar

En vers libres privilégiant les sonorités musicales et le rythme de sa respiration poétique, Salah Oudahar nous gratifie d’un magnifique recueil de poèmes « Les témoins du temps & Autres traces » édité en France par A plus d’un titre dans la collection “Les cahiers de poésie“. 

Ecrits dans une verve qui donne aux mots une résonance particulière qui fait vibrer la chair et les os, les poèmes de Salah Oudahar chevauchent le temps à travers l’inanimé et le vivant en nous révélant dans une symphonie d’émotions, l’indicible et l’invisible de notre éphémère existence.

Poète aux sensibilités multiples, il nous convie à un voyage introspectif où il conjugue dans la douleur et la beauté des mots, l’unité d’un monde éclaté avec son univers intérieur afin de communier avec nous dans une profonde méditation sur le tragique de notre destin et les questions essentielles.

Une série de photos artistiquement bien réussies accompagnent les poèmes dans une composition esthétique harmonieuse qui ajoute au plaisir de la lecture celui du langage poétique de l’image. Cet apport visuel assorti a pour effet de nous saisir par tous nos sens pour un voyage au bout de nos peines, de nos espoirs et de nos interrogations..

Usant d’une forêt de symboles qui donnent à sa poésie une grande puissance d’évocation il nous  transporte aux confins de nous-mêmes et de cette dimension cosmique où l’aède souverain insuffle la vie aux éléments pour témoigner du temps qui passe, de notre histoire et de nos tourments.

Dès l’enfance, Salah Oudahar est captivé par les pierres d’autrefois façonnées par des civilisations perdues, la mer capricieuse qui emporte les siens vers un exil sans retour, le vol plané incessant des mouettes au-dessus les débris du temps et puis la guerre cruelle qui l’éveille aux réalités du monde. 

Dans les contours de ce berceau naturel, il puise ses premières ressources de méditation et prend son envol vers cet espace éthéré et mystérieux de la poésie où se rencontrent les grands esprits et les grands cœurs.

Son souffle créateur se déploie dans une suite de métaphores lumineuses pour nous conter à travers ses expériences sensorielles l’épique récit de notre aventure humaine. Sa pensée et ses sentiments  s’articulent autour d’un récit émouvant et nous fait réfléchir sur les causes premières de nos égarements et le désordre de notre mémoire collective. Il pose son empreinte indélébile comme une ferrade encore brûlante sur les maux de notre monde décomposé et nous irradie de son ardent bouillonnement intérieur.  L’inspiration prend de la profondeur dans la nostalgie exilique provoquant une angoisse existentielle qui se faufile entre les mots et se répand avec une tonalité tragique autour de l’inexorable fuite du temps qui mutile le destin des hommes.

Le poète revisite l’histoire dans une déchronologie prospective en quête de sens et révèle la solitude des vaincus.  Les questions abondent, bousculent la conscience et laissent les réponses en suspens …au murmure des vents.

Le verbe rebelle, intensément lyrique, est hissé en étendard pour déclamer des hymnes à la vie face à l’imparable finitude.   

Au commencement, le silence prend la parole et fait entendre la plainte de la pierre qui n’en peut plus de témoigner dans sa solitude et son déclin : “ Et la pierre dit à la pierre – J’arrête là ma course – La terre est trop petite pour moi – Vaste est ma solitude – J’interromps là le récit de l’improbable rencontre“.  Cette pierre des origines, la “Pierre native“ raconte les odyssées du peuple et du pays natal :  “ Les survivants des guerres – Les naufragés de L’histoire – Les rescapés du temps / Terre en gésine – Grosse de toutes les convoitises – De toutes les invasions / Terre de Passages des brassages des métissages – terre des ancrages et du grand large- Souvent vaincue – jamais soumise- Le pays des hommes libres“. 

Le Cap Tédlès prend place dans le récit mémoriel tel un repère des rêves éphémères que le poète et d’autres ont nourrit sur ses rivages : « Vaisseau en partance en vain-Figé à jamais dans l’étreinte de la pierre-Les voyages -Les désirs de voyage-Ne sont-ils qu’illusion -Battues par les vents-Blessure qui saigne-inguérissable ».

Les mouettes :  « Tournoyant pathétiquement sur elles-mêmes, dans le vide, comme prises dans les mailles d’un destin aveugle et sourd »  battent depuis des millénaires  la mesure du temps au-dessus des ruines qui volent à l’éternité quelques instants de l’histoire des hommes sans pouvoir les fixer dans leur mémoire défaillante. 

Le poète déplore la disparition lente de ces dernières sentinelles du passé livrées à l’abandon et à l’indifférence. “Les témoins du temps & Autres traces“ se veut un appel à un sursaut de la conscience collective.

 Tel un chef d’orchestre harmonisant une cacophonie, Salah Oudahar construit son œuvre comme un puzzle sur les fragments de ses blessures personnelles, les souvenirs de son enfance, les belles rencontres charnelles et intellectuelles et les drames de son peuple. 

Mokrane Gacem

Bio expresse

Salah 0udahar est poète, metteur en scène, comédien. Diplômé de sciences politiques, il enseigne à l’université de Tizi-Ouzou jusqu’en 1992, date à laquelle il quitte l’Algérie pour s’établir à Strasbourg où il développe un travail au croisement de la recherche, de la création artistique, de l’action culturelle sur les questions de l’histoire et de la mémoire. Membre fondateur et directeur artistique du festival de Strasbourg-Méditerranée, il est également président de la Cie Mémoires vives.

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