Site icon Le Matin d'Algérie

Salim Yezza : la police politique toujours à l’œuvre

Opinion

Salim Yezza : la police politique toujours à l’œuvre

Salim Yezza est victime d’une cabale judiciaire dont les motivations et finalités politiques restent occultes et obscures.

Ce citoyen résidant à l’étranger est accusé de graves délits par un magistrat de Ghardaïa. Les accusations portées contre lui relèvent de la qualification de “subversion” que l’article 612 bis du Code de procédure pénal exclut de toute prescription. Si l’on s’en remet à la procédure engagée à l’encontre du militant Chawi, natif de T’Kout, la justice aurait affaire à un dangereux « fellaga » ! Seulement, face à cet “ennemi de l’intérieur” les autorités algériennes ont pris un très très long délai pour “actionner” la machine judiciaire. Les citoyens que nous sommes censés être pourraient se considérer en droit d’attendre une explication sur l’attentisme de la justice dans ce qu’elle nous présente, aujourd’hui, comme gravissime.

Effectivement, les faits pour lesquels la liberté de ce concitoyen est restreinte remontent à 2014-2015 ; alors que la procédure judiciaire qui le vise à les sanctionner date, quant à elle, du 10 juillet… 2018 !

Pourtant, en décembre 2014, Yezza était rentré sur le territoire national en accompagnateur de la chanteuse Dihya. Il avait même pris part aux activités de cette personnalité culturelle. Et comme l’interview qui lui est reprochée remonte à janvier 2014, l’on peut légitimement s’interroger sur le manque de réactivité d’une justice qui attendra 2018 pour se manifester. La question se pose donc de savoir ce qui a empêché l’action publique à l’époque ou, à contrario, ce qui l’a activé aujourd’hui. Cela, d’autant que les faits qui lui sont reprochés ne sont pas banals. La “subversion” n’est pas chose à traiter à la légère, du moins quand il s’agit vraiment de subversion !

Yezza n’a pas été inquiété en décembre 2014 ; ni, d’ailleurs, quelques mois plus tard au cours du premier semestre 2015. Comment expliquer cela ? Parce qu’entre la situation de 2014-2015 et celle de 2018 il y a forcément l’une des deux qui est inexplicable, anormale et incompréhensible. Les procès de Kameleddine Fekhar et ses camarades datent de 2017, ce qui signifie que le dossier était ouvert à la période où Yezza s’était rendu en Algérie ; alors que maintenant, il est censé être clos et ne plus donner lieu à des poursuites. Or dans les deux moments, jamais le nom de Yezza n’a été cité par une source judiciaire en liaison avec les affaires de Ghardaïa. Comment surgit-il alors en juillet 2018 ?

Supposons que les magistrats de Ghardaïa considèrent sincèrement que Yezza peut être confondu pour les fameuses questions n° 17, 22 et 24 pour lesquels des sentences ont été prononcées au tribunal de Médéa (les accusés ont tous été blanchis du reste des accusations portées dans les 23 autres questions). Pourquoi, dans ce cas son nom n’a jamais été cité dans ces affaires ? Pourquoi n’a-t-il pas été condamné par contumace ? Pourquoi aucune convocation ne lui a été adressée à son lieu de naissance ou par le biais du consulat dont il relève ? L’explication serait-elle une question de compétence ? Parce que les propos et les actions que Salim a tenus et menés ne l’ont pas été sur l’espace de compétence du tribunal de Ghardaïa. Ce dernier aurait-il compétence pour des faits survenus à Paris ou sur le Net ? Comment aurait-il cette compétence et sur quelle base légale ? Yezza n’ayant pas mis les pieds sur le territoire de compétence du tribunal qui le poursuit, la procédure engagée est, selon toute vraisemblance, entachée de nullité sur le plan judiciaire. Pour le moins elle est judiciairement bancale.

D’ailleurs ce mandat du 10 juillet 2018 pose de nombreux autres problèmes. Yezza est rentré sur le territoire national par l’aéroport de Biskra. Quels sont les moyens dont disposent les magistrats de Ghardaia pour avoir cette information au sujet d’un citoyen non poursuivi ? Raisonnablement il n’y en a pas ! Salim ne faisait l’objet d’aucun mandat, il n’est ni terroriste, ni trafiquant, ni criminel international, il est donc tout à fait légitime de demander à savoir qui a jugé utile de signaler sa présence ? Sur quelle base ce signalement a-t-il été fait, pour quelles raisons et finalités ? Nous sommes là devant un faisceau d’interrogations qui ressuscitent ce qu’on nous dit avoir été liquidé par les autorités algériennes : à savoir la Police politique.

C’est la seule explication plausible. Il n’y a qu’un service de police politique pour tenir le journal de l’expression des opinions et positions de citoyens auxquels seul le militantisme peut être reproché. La question n’est donc pas celle d’une procédure judiciaire pour “subversion” mais bel et bien celle d’un procès politique qui mérite le qualificatif de guet-apens. Une cabale judiciaire dans lequel la justice est l’auxiliaire de la police politique. Si l’on valide cette lecture, les choses deviennent plus lisibles. D’abord et avant tout transparaît son caractère menaçant et intimidant pour tous nos résidents à l’étranger.

Le message est clair, tout voyage au pays peut se conclure par un emprisonnement que la toute puissante police politique peut documenter et refiler à une justice auxiliaire qui ne rechigne à aucune basse besogne. C’est donc une sommation adressée à toutes ces voix qui, avec plus ou moins de bonheur, tentent d’exprimer une opinion, un avis. C’est l’ordre de la sommation, de choisir entre le silence et l’exil.

Ces voix posent problème à des régents qui ne peuvent plus, comme au temps de la sinistre “amicale”, envoyer des barbouzes pour casser de l’opposant. Et encore moins, envisager d’engager des assassins pour allonger la liste, déjà longue, des Khider, Krim et autres Mecili. Alors ils inversent la mécanique.

La justice est censée être transparente. À la constatation de faits répréhensibles, il lui revient d’engager des poursuites sans se soucier de la possibilité matérielle d’appréhender ou pas le justiciable. C’est ce que le législateur a très largement prévu. Mais cela ne peut pas être la ligne de conduite des régents et de leur police politique, plus portés sur la fourberie, l’embuscade et le traquenard.

Au prix de multiple violations de la loi, la volonté de faire de Salim Yezza un exemple au service de cette nouvelle terreur est manifeste. Que leur importe que cela soit en violation des garanties constitutionnelles énoncées en matière de liberté d’opinion, de conscience, de liberté de circulation … ? Que leur importe que cela se fasse par un plus grand discrédit d’une justice déjà largement, malmenée et égratignée. ?

Le Mekhzen ne se soucie pas de ces détails lorsqu’il s’agit de mater une parcelle émancipée du Bilad Essiba.

Auteur
Mohand Bakir

 




Quitter la version mobile