Site icon Le Matin d'Algérie

Samir Aït Belkacem : doubler en kabyle « L’Opium et le bâton », un vieux rêve

Dans le milieu du doublage de films, Samir Aït Belkacem fait figure de défricheur patenté. Toujours à la pointe. Il a à son actif plusieurs dessins animés doublés en kabyle qui ont fait le bonheur des petits et grands. Il y a quelque chose d’original dans le travail de Samir Aït Belkacem, il ne traduit pas, il adapte les œuvres cinématographiques avec beaucoup de maîtrise. Sa dernière réalisation : le doublage de L’opium et le bâton, tiré du roman éponyme de Mouloud Mammeri. Une vraie réussite.

Le Matin d’Algérie : Comment vous est venue l’idée de doubler en kabyle ce film ?

Samir Aït Belkacem : L’initiative remonte à 2017, quand j’ai été contacté par M. Si Lhachimi Assad, secrétaire général du Haut-commissariat à l’amazighité, me signifiant qu’il comptait intégrer dans les festivités commémoratives du centenaire de la naissance de Mouloud Mammeri le projet de doublage du film L’opium et le bâton. Une initiative qui m’a émerveillé au plus haut point, moi qui ai formulé dans le presse, en 2013, lors du festival du film amazigh, mon souhait, en tant que spécialiste dans le domaine du doublage, de voir ce chef-d’œuvre du cinéma algérien en langue amazigh et exaucer ainsi un vieux souhait de Mouloud Mammeri.

Le Matin d’Algérie : Comment avez-vous procédé pour le choix des voix ?

Samir Aït Belkacem : Le choix des voix a été un des plus grands des nombreux défis qu’il fallait surmonter sans oublier bien sûr l’écriture des dialogues en tamazight. Doubler les voix des acteurs comme Sid Ali Kouiret, Rouiched, Moustapha Kateb ou Si Mahieddine Bachtarzi sans oublier le grand Hassan el Hassani n’était pas une mince affaire. Ce sont des figures emblématiques du cinéma algérien dont tout le monde connaissait les voix, les intonations et les répliques tantôt savoureuses et tantôt cinglantes. Il fallait donc trouver des voix qui se rapprochaient le plus de la leur et ce, dans le souci de donner l’illusion artistique recherchée. Il nous a fallu procéder à une centaine de cast-voix afin de trouver les comédiens doubleurs qui sauront apporter, par leur voix et leur jeu artistique, les répliques attendues par un public particulièrement exigeant. Ce sont donc plusieurs prouesses artistiques tout aussi capitales pour donner toute son âme au film qu’il fallait réaliser. Nous avons mis tout notre cœur et notre âme pour y arriver. Aujourd’hui, à voir la réaction, lors des avant-premières à Alger et à Tizi-Ouzou je peux affirmer que le pari est réussi. Et le mérite revient à toute l’équipe.

Le Matin d’Algérie : Quelle a été la réaction d’Ahmed Rachedi ?

Samir Aït Belkacem : Tout au long de la réalisation de cette version amazighe, M. Ahmed Rachedi ne cessait de nous témoigner toute sa disponibilité et son soutien à voir son film enrichit par une deuxième version. Sa seule exigence était un droit de regard avant la finalisation de projet, ce qui était pour moi une opportunité de montrer notre professionnalisme et notre sérieux dans le travail que nous menons. La satisfaction exprimée par M. Ahmed Rachedi lors du visionnage de cette version était des plus motivantes pour nous. Nous formulons l’espoir que le doublage de ce film n’est qu’un début d’une série de projets semblables.

Le Matin d’Algérie : Vous avez fait le choix de ne pas traduire les échanges des soldats français ?

Samir Aït Belkacem : Un doublage professionnel est soumis au strict respect de ses standards connus et reconnus par les professionnels du domaine d’adaptation. Les voix françaises dans la version originale elles-mêmes, sont restées telle qu’elles sont. Il s’agit d’un choix du réalisateur du film que je dois respecter en tant que artisan de la version doublée. Doubler les voix françaises serait, à mon sens prendre le risque d’enlever la magie scénaristique du drame de la guerre d’indépendance. Reste que pour une meilleure vulgarisation de film, un sous-titrage en plusieurs langues (kabyle, arabe, français et en anglais) accompagnera cette version doublée.

Le Matin d’Algérie : Comment et pourquoi avez-vous utilisé la voix de Lounis Aït Menguellet ?

Samir Aït Belkacem : Quand j’ai achevé le doublage du film avec toute la beauté du texte écrit, des voix doublées ou du jeu artistique obtenus, j’ai eu le sentiment que quelque chose manquait pour que l’œuvre soit, à mes yeux, parfaite. Il manquait cette touche finale qui pouvait lui donner toute sa dimension symbolique. Le projet en lui-même est un hommage à Mouloud Mammeri, il fallait donc une empreinte originale, une touche finale qui allait accompagner cet ultime rendez-vous avec la mémoire de Dda Lmulud. Comment faire ? Quelle personne pouvait convenir ? La personne de Lounis Aït Menguellet est venue comme une évidence. Réunir ces deux monstres sacrés de notre culture autour de l’histoire d’un film était simplement magique et historique. Lounis Aït Menguellet, que je remercie ici infiniment, avec toute sa modestie a humblement accepté d’apporter sa contribution dont je laisse le public découvrir.

Le Matin d’Algérie : Vous auriez sans doute aimé que Mouloud Mammeri soit dans la salle pour voir le film ?

Samir Aït Belkacem : Yeqqar « yella yiwen yella ulac-it, yella wayed ulacit yella ». Mouloud Mammeri était avec nous avec son œuvre, ses idées et son rêve de voir ce film enfin retrouver son originalité. Je pense que là où il est maintenant il nous sourit et doit s’amuser des retours de l’histoire. J’espère que nous sommes restés fidèles à l’âme de cette œuvre et à la hauteur de ses attentes.

Le Matin d’Algérie : Allez-vous passer à la réalisation de films ou continuer l’immense travail de doublage que vous avez commencé ?

Samir Aït Belkacem : Nous sommes une société de production qui aspire être une ruche où toutes les compétences de notre jeunesse puisse s’exprimer que ça soit dans le domaine de la production ou la post-production. Je reste persuadé que devant le manque quantitatif et qualitatif de la production cinématographique nationale, le métier de doublage est une excellente alternative afin promouvoir notre langue. Si j’avais attendu qu’une industrie d’animation voit le jour crée, je n’aurais pas pu faire profiter nos enfants des œuvres telles que Pučči, Li mučuču ou Aεli d Waεli et autres œuvres qui font aujourd’hui leur bonheur. Mon souhait est de voir toute les productions nationales produites dans les deux langues nationales. J’espère que chaque œuvre créée en arabe algérien soit doublée en tamazight et vice-versa. Cela dit, la réalisation de films exige des moyens colossaux dont nous ne disposons pas.  Nous sommes face à de nombreuses urgences et de nombreux défis. La mondialisation ne nous laisse pas beaucoup le choix. Il nous revient de faire des choix pour aller vite et ne pas être en retard. Pour filer la métaphore, j’ai envie de dire que la vague que tu ne peux renverser, il faut la chevaucher pour en faire un moyen de progression.

En la matière, l’immense travail d’adaptation de Mohya est assez emblématique. En effet, si Mohya avait attendu l’existence d’un théâtre en tamazight, on n’aurait pas eu toutes les œuvres qu’il nous a léguées. Je continuerai donc modestement à faire le doublage de films et à offrir le meilleur de l’universel aux nôtres.

Entretien réalisé par Hamid Arab

Vidéo L’opium et le bâton

Quitter la version mobile