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Si Lhafidh, j’irai à Takhlijt

Si Lhafidh

J’irai là-haut à Takhlijt Ath Atsou, cette terre de rocs, de précipices, de braises et d’eau, me recueillir sur ta dernière demeure.

Je viendrai te rejoindre cher Si Lhafidh là où désormais tu observes notre petit monde. Je te vois, au loin, comme à tes habitudes, m’accueillir avec ce sourire et cette attention que seul toi savais cultiver. Comme nous le faisions depuis des années, tu me raconteras jadis, le temps de tes 20 ans que tu n’avais pas vu passer, trop pris que tu étais par cet idéal qu’était l’Algérie. Cette Algérie que tu n’auras pas vue libre et fière comme tu l’avais toujours rêvée.

Tu me raconteras les femmes et les hommes de ce pays partis trop tôt pour certains, oubliés pour d’autres. Hein Si Lhafidh, tu me parleras avec cette colère contenue des meurtrissures de cette terre. Toi qui avais foulé dans ta jeunesse chaque arpent de ces montagnes, qui ressent le moindre soubresaut de souffrance, qui connaissait villages et vallons, tu me reparleras avec toujours cette flamme inextinguible qui te consumait, de la faim, de la misère et de la soif de liberté qui brident les consciences des Algériens. Tu me donneras des nouvelles de ceux sont morts jeunes, trop jeunes pour l’Algérie.

Toi qui avais refusé de prendre tes enfants dans tes bras parce que, me disais-tu, la vue des milliers d’enfants orphelins à l’indépendance t’a marqué à jamais. «Qui les prendra dans ses bras tous ces enfants orphelins et dont les parents sont morts pour que nous vivions libres aujourd’hui ?», m’avais-tu répondu.

Qui d’autres que toi pour nous dire les sanglots étouffés des centaines de milliers de victimes de cette guerre d’indépendance et de cette autre que tu avais dû mener contre la dictature des usurpateurs de l’indépendance ? Tu ne pouvais supporter de voir le pays s’ordonner dans un autoritaire désordre. Non, il n’y avait que toi pour le faire.

Tu me parleras de ces blessures anciennes, de nos exils sans âge, des faux prophètes qui professaient une autre Algérie que l’Algérienne. Tu me diras avec pudeur le feu qui te consume depuis ta tendre enfance.

Toi, qui as tutoyé la mort plus d’une fois, qui a souverainement nargué le danger et refusé de céder devant le pouvoir de l’argent, tu me diras combien cette vie que nous perdons dans nos vanités ne vaut que si nous sommes maîtres de notre destin.

Avec cet éclair dans les yeux, tu me diras aussi l’un de tes seuls bonheurs : celui d’être resté un homme debout, malgré les assauts du temps et des hommes. Lénine avait dit que seule la vérité est révolutionnaire, en ce sens, je reste convaincu que tu étais la vérité.

Si Lhafidh, tu m’as fait partager au plus près le désespoir de vies brisées mais aussi l’espoir de lendemains meilleurs. J’en suis fier. Tes mémoires, tu les voulais comme un dernier baroud contre le mensonge, les outrances du temps et l’oubli calculateur. Aujourd’hui, c’est chose faite, tu as rendu la vie à tout un pan de notre histoire, tu as redessiné des visages oubliés et rendu impérissables ton parcours et celui de tes compagnons. Merci.

Il n’est point de bonheur sans liberté et point de liberté sans courage, c’était le très athénien Périclès qui l’avait écrit. Je puis te confier, aujourd’hui, ma conviction que tu étais le courage et la liberté. La droiture et la noblesse même.

Bientôt c’est le printemps Si Lhafidh, la nature et le pays tout entier se réveilleront de cet hiver qui nous glace. Adieu Si Lhafidh, adieu mon aîné.

Hamid Arab

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