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Sisyphe, c’est nous ! 

Sysiphe

L’histoire est-elle un perpétuel recommencement ? L’être humain est-il condamné à pousser éternellement le rocher qui redescend, obligeant Sisyphe à le hisser de nouveau au sommet de la colline par un cycle sans fin comme châtiment de son crime envers Hades ?

Nous avons tous, dès que nous accumulons l’âge et l’expérience, l’impression de revivre une répétition des évènements, du « déjà vécu ». Autrement dit cette expérience accumulée par tant d’efforts dans le temps est-elle condamnée à ne jamais produire une avancée continue du progrès dans le chemin d’une vie ?

Les deux thèses ont toujours existé et resteront en constante contradiction, avancée linéaire ou recommencement ? Deux sources sont traditionnellement avancées pour illustrer cette opposition même si elles sont loin d’être exclusives. Le proverbe « Aux mêmes causes, les mêmes effets » face à la pensée de Louis-Ferdinand Celine qui affirme que « L’histoire ne ressert jamais les mêmes plats ». Une position reformulée par Paul Valéry qui nous dit que l’histoire est «la science des choses qui ne se répètent pas».

Comme cette rubrique n’est certainement pas un cours mais l’exposé d’une pensée assumée et partagée avec le lecteur, je prendrai le risque d’annoncer dès le départ ma conclusion en affirmant que l’histoire est effectivement un éternel recommencement comme le soutient le proverbe.

À Oran, berceau de mon instruction, nous pensions que l’humanité était en constant mouvement d’avancées et de progrès et que le retour en arrière était impensable. L’un des repères que nous avions nous permettait d’y croire. Ce repère est celui de toutes les enfances qui comparent leur vécu avec celui de la génération précédente.

Pour nous, ils avaient vécu au moyen-âge lorsqu’ils nous racontaient leur vie. Vous rendez-vous compte, ils n’avaient pas l’eau courante, parfois pas la lumière électrique, pas de téléphone, leurs parents voyageaient en carrioles et ils risquaient la mort à la moindre égratignure infectée. Nous étions effarés qu’ils n’aient même pas connu le tourne-disque, ces australopithèques que nous aimions pourtant tellement.

Oui mais lorsque notre expérience commença à émerger avec l’âge, nous nous sommes aperçus que les mêmes questionnements et évènements revenaient. Les guerres, les épidémies, les fins de mois difficiles, le dur labeur, l’avenir incertain et les défis étaient toujours présents.

C’est à ce moment que nous avions compris que les avancées technologiques se dissociaient des réflexions et ressentis humains. Je suis sûr qu’un très jeune Oranais se demande aujourd’hui comment nous avions pu vivre dans une ville sans Internet, sans smartphone, sans immeubles aussi modernes que ceux du front de mer actuel et sans tramway.

Pendant quarante ans j’ai entendu mes étudiants parler entre eux, on avait l’impression que leur sentiments et questionnements étaient absolument les mêmes que nous avions à Oran, dans une époque maintenant lointaine. Leur crainte de l’avenir, les déchirements des amours contrariés, les dépenses contraintes, la chamaillerie, les rires et les rêves sont identiques à ceux qu’étaient les nôtres.

Ils ont pourtant le smartphone, voyagent en TGV, connaissent l’épopée de la planète mars, sont guéris par des techniques médicales révolutionnaires. C’est exactement l’avancée que nous avions connue par rapport à nos grands-parents, soit la télévision, Amstrong sur la lune et la coupe du monde en retransmission par satellite. Elle est à l’image de ce jeune Oranais qui vit sa jeunesse avec les mêmes doutes et bonheurs que les nôtres.

Pourquoi ? Nous l’avons dit, tout simplement parce que l’être humain reste immuable dans ses fondamentaux. « Aux mêmes causes, les mêmes effets », quoi de plus juste ?

Mais alors, monsieur Sid Lakhdar, vous niez le concept même d’histoire qui est linéaire, vous contestez l’avancée des civilisations. Vous avez une représentation figée du monde et vous posez comme postulat de la vie un déterminisme constant. En fin de compte, l’inverse absolu de ce que vous avez voulu transmettre pendant votre carrière aux étudiants.

Vous proclamez que le libre arbitre n’existerait pas et que l’être humain est condamné à être prisonnier par le même sort que celui qui a été réservé à Sisyphe, sans aucune faculté de s’en sortir. Vous raisonnez comme si les individus étaient définitivement condamnés à la damnation éternelle, enchaînés par leurs sentiments. Vous pensez que tout est écrit une fois pour toute.

Non, absolument pas, je récuse cette accusation car je pense profondément que l’humanité avance malgré tout, qui pourrait le nier ? Tous les lecteurs ont fréquenté les cours de mathématiques de notre jeunesse, certains beaucoup plus longtemps, et connaissent la représentation d’un droite de tendance, lorsqu’elle est linaire et croissante, nous dirons que c’est celle de l’histoire humaine.

Mais cette ligne croissante est en fait le résultat d’un « lissage de segments ascendants et descendants », le trend, comme disaient nos professeurs, qui est également l’histoire de l’humanité avec ses fluctuations. Lorsqu’on s’éloigne, on voit une ligne croissante, lorsqu’on se rapproche on constate l’existence d’une ligne en dents de scie. Or une vie est plutôt à l’échelle d’une ou deux dents de la scie et pas dans le tracé linéaire.

Ainsi, si l’humanité avance globalement dans un temps long, elle est victime de retours en arrières constants car « aux mêmes causes, les mêmes conséquences ». La cause étant l’homme, il est doté des mêmes qualités et travers quelle que soit la période. Les connaissances et les progrès humanistes avancent inéluctablement mais les mêmes sentiments opposés, l’amour et la haine, la violence et la compassion, la crainte et l’assurance, l’altruisme et la cupidité, sont immuables.

Oui, monsieur Celine, l’histoire repasse les mêmes plats contrairement à ce que vous affirmez. Vous en êtes le parfait exemple dans l’histoire, votre comportement fut le même que celui des pires périodes de drames et de haine, même d’abomination. Vous avez épousé une doctrine des plus racistes et génocidaire, celle qui fut la vôtre par vos écrits et déclarations, contraires à l’avancée des civilisations humaines. Vous avez eu des positions qui ont justifié les mêmes barbaries dans l’histoire, quelle que soit la période.

Il est étonnant que ce soit vous qui disiez que « l’histoire ne repasse pas les mêmes plats ».

Sid Lakhdar Boumediene

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