Dans un courrier au chef de l’Etat, Abdelmadjid Tebboune, la Confédération générale des entreprises algériennes (CGEA), signé de sa présidence Saïda Neghza, brosse un tableau noir de la situation économique du pays. La CGEA, qui parle d’une marasme économique, est loin des déclarations triomphantes de Tebboune et des relais de sa propagande.
Dans ce courrier très critique envers la politique économique actuelle, la CGEA prodigue un certain nombre de préconisations pour redynamiser le marché et lever les contraintes. L’alerte est assez sérieuse surtout si l’on sait qu’elle ne vient pas d’une organisation réputée pour son sens critique, voire de l’opposition.
Le contenu est assez clair sur l’échec de la politique économique menée par Tebboune depuis 2019.
Nous vous proposons la lecture de ce courrier :
« J’ai l’honneur de transmettre à votre haute autorité, à titre de compte rendu, le présent rapport relatif à la situation socioéconomique du pays. Celle-ci se traduit par un marasme économique et un climat des affaires souffrant du manque de confiance et, une surenchère presque généralisée des prix.
Je reçois des doléances récurrentes de la part d’hommes d’affaires qui se plaignent de persécutions et de pressions diverses de la part des différents représentants de l’état. D’autres se plaignent au sujet d’amendes infligées par un comité formé de cinq ministres, sans même avoir le droit à accéder à leurs dossiers, des amendes qui dépassent pour certains le montant des actifs de leurs sociétés et qu’ils ne pourront pas payer.
À mon avis, il aurait été préférable d’étudier chaque dossier séparément et, si nécessaire, de faire actionner la justice. Le droit de défense étant un droit garanti par la constitution à tout citoyen. Lorsqu’un homme d’affaires est convoqué devant un comité dont fait partie le ministre de la Justice, il se retrouve désarmé et sans aucune protection, sinon à quel saint se vouer ?
La loi du square Port Saïd
Pourquoi ne pas aborder ce dossier d’une manière plus rationnelle, une manière qui tienne compte de l’intérêt général, en préservant le tissu industriel national et la main-d’œuvre, et en optant plutôt à la reconversion des amendes exigées, en obligation de lancement de projets d’investissements productifs dans leurs domaines d’activités respectifs, tel que l’agriculture, l’industrie et les services ? Nous devons prendre en compte les particularités du pays, y compris le problème de la non-convertibilité du dinar et le problème du square.
Tout homme d’affaires qui a fait des profits aspire à posséder des biens en Algérie et à l’étranger, comme c’est le cas pour tous les hommes d’affaires du monde entier, mais la loi algérienne ne permet pas ceci. Alors, comment traiter rationnellement cette question ?
Est-ce en mettant en faillite les opérateurs concernés, en vendant ou en fermant leurs usines et en mettant des milliers de travailleurs au chômage ? J’ai adressé à votre haute autorité un recueil comportant des propositions pour répondre à la problématique des opérateurs qui ont investi à l’étranger ou qui ont des biens à l’étranger, qui ont exprimé leur volonté de régulariser leur situation, selon des mesures raisonnables bénéfiques pour toutes les parties.
Licences d’importation : le problème des quotas
Actuellement, nous constatons des prix élevés et une rareté des produits en raison des restrictions d’ALGEX et d’autres autorisations exigées telles les autorisations techniques délivrées par le ministère de l’Agriculture et les attestations de régulation délivrées par le Ministère de l’industrie et de l’industrie pharmaceutique, dont nous ne savons pas comment ils procèdent et selon quels critères elles sont délivrées.
Je souhaite plus de transparence et à votre discrétion, la création d’une commission d’enquête chargée de déterminer comment sont délivrées les licences d’importation et les quotas, dont bénéficient certains et pas d’autres. Oui, bien que j’aie adressé plusieurs correspondances au ministère du Commerce et de la promotion des exportations, pour soulever les plaintes d’opérateurs économiques, je n’ai pas constaté un traitement réel et clair du problème des importations et des quotas.
A titre d’exemple, j’ai soulevé le cas des représentants des marques internationales qui ont exprimé leur volonté de produire localement en partenariat avec l’usine textiles de Relizane, en présence des DG de ces marques et avec l’implication du ministère de l’Industrie, mais aucun progrès n’a été enregistré en matière de production, et nous constatons toujours l’absence de licences d’importation, ce qui met en grande difficulté les concernés.
Le même problème est vécu par les importateurs de légumes secs et de l’aliment de bétail. Des bateaux sont empêchés d’entrer aux ports alors que pour certains les marchandises sont déjà payées.
Des bateaux de marchandises sont bloqués en rade au moment où le marché national souffre de la pénurie de matières premières qui est quasi inexistante. Pourquoi ne pas débloquer ces bateaux ? A qui servent ces mesures ? Qui en paiera les frais ? Certainement, le client final à savoir le pauvre citoyen qui est épuisé par l’augmentation des prix des lentilles, des haricots, des œufs, de la viande du poulet….
Volonté de créer la rareté
Le monde entier connaît une sècheresse généralisée qui présage d’une grande famine et par conséquent tous les pays courent vers le stockage et l’approvisionnement des matières premières et des produits de première nécessité et chez nous, il y a une volonté de créer la rareté que nous allons sûrement payer cher, à défaut de mesures énergiques pour redresser la situation.
Les restrictions d’importations ont également eu un effet négatif sur le fonctionnement des différentes usines et sociétés, en raison de la rareté des matières premières et pièces de rechanges, et donc un impact négatif sur les capacités de productions. Dans le domaine agricole, j’ai soumis plusieurs dossiers portant sur de grands projets d’investissement dans l’agriculture saharienne, et malgré toutes les correspondances et les rencontres avec Monsieur le ministre de l’Agriculture, aucune parcelle de terrain n’a été attribuée.
La majorité des chambres froides privées sont vides parce que leurs propriétaires ont peur d’aller en prison pour le motif de spéculation. Comment feront-ils pour rembourser les dettes contractées auprès des banques alors qu’ils sont inactifs et comment le marché sera-t-il régulé dans ce cas ? On vivra inévitablement une hausse vertigineuse des prix une fois la saison des récoltes terminée parce que tout le monde refuse de les stocker.
La même inquiétude est observée chez les opérateurs du secteur de l’industrie pharmaceutique, eux qui se sont mobilisés durant la période du Covid-19 et qui se retrouvent à présent, en proie à la bureaucratie et aux différentes inspections, à la limite du harcèlement.
Monsieur le président de la République, vous avez donné des instructions pour accorder des licences d’exploitation temporaires aux usines, en attendant la régularisation de leurs situations.
Malheureusement, il est constaté le contraire sur le terrain, la décision la plus facile et qui est à la mode, c’est la décision de fermeture de l’usine, sans tenir compte de l’état des denrées périssables, ni des justifications de l’opérateur, dont beaucoup souffrent de toutes sortes de maladies chroniques telle que le diabète, la pression artérielle et le cœur…
Beaucoup regrettent d’avoir passé leur vie à construire des usines, à investir dans des projets utiles qui emploient des centaines de travailleurs, pour fini à la merci du plus petit bureaucrate. Au moment, où ceux qui exercent dans le secteur informel poursuivent leurs activités en dehors de toutes ces pressions et génèrent 90 milliards de dollars, comme évoqué par votre haute autorité.
Tripartite
Je soumets à votre haute autorité la proposition de programmer une tripartite que je considère comme le cadre approprié pour étudier la situation économique du pays, lever les contraintes et faire des propositions, à travers un dialogue socio-économique franc et large, pour une croissance économique inclusive et vigoureuse. Je tiens à souligner que le secteur privé est le plus grand employeur de main-d’œuvre du pays, et c’est la base de tout développement économique, les pays du monde entier œuvrent à sa promotion, même ceux qui sont catégorisés d’obédience socialiste.
L’écoute des opérateurs économiques, des différents patrons et des représentants des travailleurs est importante. Je pense qu’il faut sortir des propositions des seuls conseillers bureaucratiques qui veulent diriger l’économie nationale depuis leurs bureaux et avec des décisions d’en haut, sans tenir compte des vrais problèmes imposés par la réalité du terrain.
La présidente de la C.G.E.A Saïda Neghza
Les intertitres sont de la rédaction