Alors que les bombes continuent de pleuvoir sur Gaza et que les cadavres d’enfants sont tirés des décombres sous l’œil impuissant de la communauté internationale, les dirigeants arabes se réunissent à Bagdad. Sur le papier, un sommet pour soutenir la reconstruction de Gaza.
Les dictateurs, rois et émirs qui se retrouvent ce samedi pour parler de la bande de Gaza entendent-ils les râles des centaines de victimes des bombardements israéliens ? Peu sûr.
Dans les faits, ce sera une réunion de plus. Elle sera révélatrice d’une vérité que beaucoup refusent d’admettre : le monde arabe a abandonné la cause palestinienne.
Une solidarité de façade
Que reste-t-il de cette solidarité arabe qu’on disait indéfectible ? Certainement pas la présence des grandes figures du Golfe, qui ont brillé par leur absence à Bagdad. Ni celle de l’Algérie, pourtant fervente défenseure de la Palestine depuis des décennies. Les absents parlent plus fort que les présents : les capitales arabes ne veulent plus se salir les mains dans un conflit qu’elles jugent perdu, embarrassant ou trop coûteux sur le plan diplomatique.
La guerre à Gaza, qui a éclaté après l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023, s’est muée en massacre à huis clos. Les civils, piégés entre les murs d’un territoire assiégé, meurent par centaines. On en est à près de 54000 morts et des centaines de milliers de blessés. Les infrastructures sont rasées, l’espoir est enterré. Et pourtant, aucune voix arabe n’arrive à renverser la table ou à imposer un cessez-le-feu, à faire pression sur Israël ou à mobiliser l’opinion mondiale. Les communiqués de soutien n’ont jamais sauvé une vie.
L’impunité israélienne, reflet de l’impuissance arabe
Pendant que Benjamin Netanyahu promet d’ »entrer en force » à Gaza pour « achever le Hamas », les dirigeants arabes signent des déclarations vagues et inoffensives. Où sont les sanctions ? Où est le boycott ? Où est la diplomatie active ? Nulle part. Car la vérité dérange : les pays arabes ont perdu tout levier sur Israël, et ils n’en cherchent même plus au risque de passer pour cible de l’Etat hébreu et son protecteur américain.
Rappelons que la normalisation des relations entre Israël et plusieurs monarchies du Golfe depuis les accords d’Abraham — Émirats arabes unis, Bahreïn, Maroc, Soudan — a acté un virage stratégique. L’ennemi d’hier est devenu le partenaire économique et sécuritaire d’aujourd’hui. La Palestine n’est plus qu’un slogan creux, bon pour les discours de circonstance, mais incompatible avec les intérêts pétroliers, les investissements croisés et les promesses de haute technologie et les importants intérêts financiers qui lient les monarchies et dictatures arabes à l’oncle Sam.
Trump en maître de cérémonie
Comme pour couronner cette abdication, Donald Trump — sans mandat, mais jamais sans ambition — effectue une tournée triomphale dans le Golfe. À coups de poignées de main, de deals spectaculaires et de promesses de « liberté » pour Gaza, l’ancien président américain s’impose comme l’acteur principal d’un jeu où les Arabes sont réduits au rôle de figurants. Les monarchies du Golfe qui se piquent de jouer un rôle sont réduites à être des courroies de transmission entre Israël, les USA et les cadres du Hamas.
Trump parle de reconstruire Gaza, mais selon ses propres termes : hors du cadre palestinien, en écartant le Hamas, en marginalisant l’Autorité palestinienne, et surtout sous supervision américaine. Une forme de tutelle néocoloniale que les puissances arabes, étrangement silencieuses, semblent prêtes à tolérer. Là encore, la voix arabe est inaudible.
Le sommet de Bagdad : un théâtre vide
Le sommet de Bagdad pourrait marquer un tournant, une relance de la solidarité arabe, une riposte politique à la tragédie humanitaire en cours. Il ne sera qu’un théâtre de plus, dans lequel les dirigeants se congratulent entre drapeaux et tapis rouges pendant que Gaza brûle et ses habitants écrasés par les bombes israéliennes.
La représentation peu importante de l’Algérie à ce sommet passera inaperçue. Mais, une présence aurait-elle servi à quelque chose quand on sait l’isolement dans laquelle l’a plongée Abdelmadjid Tebboune ces dernières années ?
Un abandon historique
Ce que Gaza révèle aujourd’hui, ce n’est pas seulement l’échec d’un processus de paix ou la brutalité d’un conflit asymétrique. C’est la faillite morale du monde arabe, son incapacité à se tenir debout face à l’injustice, et sa résignation face à l’occupation. La cause palestinienne, autrefois colonne vertébrale du nationalisme arabe, est désormais reléguée au rang de vestige romantique, sans poids, sans voix, sans avenir.
Il ne reste plus que les peuples — les citoyens, les résistants, les ONG — pour porter la mémoire d’un combat de plus en plus solitaire.
Le monde arabe, lui, regarde ailleurs. Comme vers les affaires qu’ils pourraient faire avec Donald Trump, ou comment lui plaire pour ne pas susciter sa colère. Pathétique époque !
Rabah Aït Abache