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Sonate à Sonia

HOMMAGE A LA COMEDIENNE

Sonate à Sonia

Dans un pays au fort pouvoir patriarcal, la comédienne Sakina Mekkiou, prénommée affectueusement Sonia, a, dès l’âge de 17 ans, défié la domination tutélaire, s’est dès lors départie du carcan familial pour profiler son identité singulière sur les planches du 4ème art, s’émanciper intellectuellement au fil des représentations, gravir les marches d’une notoriété concrétisée en compagnie des membres du « Théâtre de la Citadelle » (« Masrah el Qalaa »), troupe avec laquelle elle prenait en 1990 de la hauteur de vue, grâce notamment au monologue Fatma.

L’actrice jouait alors le rôle de cette femme de ménage qui, seule au niveau d’une terrasse mise mensuellement à disposition, évoque, à l’écart des tumultes urbains et au milieu de linges ou draps étendus, les humiliations quotidiennes endurées, particulièrement depuis le décès parental suivi de l’obligation de materner de jeunes frères ou sœurs, de délaisser par là même des études appréhendées en tant que ressorts de l’ascenseur social.

Demeurée au sein des coulisses de l’ingratitude, la bobonne supportait difficilement le regard inquisiteur d’hommes donneurs d’ordres, subissait des injonctions arbitraires toutefois minimisées sous couvert d’une narration teintée d’ironies, sarcasmes servant d’échappatoires à la condition assumée.

Délesté du poids des charges ordinaires, le personnage principal parle, chante, divague aux quatre coins d’un plateau à ciel ouvert, devenu la scène refuge et l’observatoire d’où il laissera libre cours aux fantasmes, profitant ainsi d’un moment de poses, pas celles des clichés éculés mais des illuminations via lesquelles l’être-là s’élève des bas étages, échappe aux assignations à résidence, se métamorphose en lanceur d’alertes puisque comme le soulignera l’écrivain Jean Giraudoux « Le Privilège des grands, c’est de voir les catastrophes d’une terrasse » (ce qu’entreprendra ensuite Merzak Allouache en filmant Les Terrasses, long métrage sorti en mai 2015). Métaphore du discernement, ce lieu libertaire que Sonia occupera pendant maintes manifestations était donc, dès le début de la décennie 90, déjà celui de la perception plongeante des déboires d’un peuple qui, non émancipé de ses propres violences, traversera bientôt une décennie de terreurs, de tragédies contraignant nombre d’auteurs, souvent traités de laïco-assimilationnistes, à se cloîtrer, à cacher leurs intimes blessures pour ne pas servir de cible aux fous de Dieu, connaître le sort dramatique infligé à Abdelkader Alloula et Azzedine Medjoubi, respectivement rencontrés lors de la réalisation du décor des pièces Les Bas-fonds et Galou Laârab Galou (Les Arabes ont dit-1983) que dirigera Ziani-Cherif Ayad.

C’est par le biais de ce dernier que nous croiserons également la route de M’hamed Benguettaf, l’adaptateur de la nouvelle de Tahar Ouettar Les martyrs reviennent cette semaine (Chouhadâ ya’oudoun hâdh al-ousbou) choisie parce qu’en faisait resurgir d’outre-tombe les défunts de la Guerre de Libération nationale, elle permettait aux protagonistes de tarauder les mauvaises consciences, de révéler les mensonges des fossoyeurs de l’histoire et par ailleurs de remettre aux goûts du jour les expressions populaires des gouals ou meddahs, soit les halqas (récits) réactualisés au travers de refrains ou psalmodies.

Composant sur les cordes sensibles de la mémoire, Sonia apportera quelques tonalités persuasives au découpage temporel d’une création montée à plusieurs reprises du côté de la capitale (de 1987 à 2011) où elle est décédée dimanche 13 mai 2018 ; inhumée le lendemain au cimetière Sidi Rezoug de Dély İbrahim (proche banlieue algéroise), l’artiste a tout autant laissé sa trace indélébile au cœur des pages blanches et filigranées du Journal d’une femme insomniaque.

S.L. F.

Auteur
Saâdi-Leray Farid, sociologue de l’art

 




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