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Sortir de nos échecs face au pouvoir, est-ce possible ?

TRIBUNE

Sortir de nos échecs face au pouvoir, est-ce possible ?

Depuis six décennies, les démocrates algériens subissent revers sur revers face au pouvoir militaro-policier. Ils ont payé cher, très cher leur détermination à vouloir renverser la vapeur, à changer le cours de l’Histoire.

De petits acquis sans changement de système ont, certes, été parfois gagnés mais ils ne doivent pas faire illusion. Nous avons collectivement perdu les combats engagés pour l’instauration de la démocratie. 

Le pire est de nous enliser dans l’automystification

Aujourd’hui, Abdelmadjid Tebboune se meurt dans un hôpital étranger sans grand espoir qu’il revienne avec les capacités cognitives nécessaires pour continuer à servir de façade civile au pouvoir militaire.

À l’évidence, nous sommes dans le scénario de fin de règne de Bouteflika. C’est pourquoi, nous apprenons par petites fuites, organisées ou pas, que les généraux se réunissent, cogitent et anticipent sur les événements. Ils cherchent une solution qui garantisse la reproduction de leur système comme le chante si bien le grand artiste Lounis Aït Menguellet, féru de philosophie politique : « nnejmɛan kfan, ɣef iqerra nneɣ i tt fran, nutni ẓran nukni ur neẓri (les voilà réunis, sur notre destin ils tranchent, eux savent mais nous, nous n’en savons rien) ».

Le contexte pandémique qui neutralise le Hirak/Amussu ouvre, malheureusement, les portes de la continuité, le changement ne pouvant venir des états-majors. Les réseaux sociaux, les sorties sporadiques de bandes de jeunes déterminés et courageux dans quelques quartiers, les déclarations de quelques leaders de la Révolution de février 2019, la mobilisation intense de la Kabylie et de la diaspora algérienne, sont bien sûr utiles mais ne changeront pas la donne.

Avec leurs lots d’arrestations, d’emprisonnements, de répression multiforme, ces luttes s’apparentent, à la longue, à des actes sacrificiels si l’on tient compte du rapport acquis/coûts. Ce constat est amer mais il a, me semble-t-il, le mérite d’être factuel. Rien n’est pire que de nous satisfaire d’une situation sans issue, rien n’est plus mauvais que de nous enliser dans l’automystification.

Alors que faire ?

L’heure est venue, et c’est la dernière chance, de nous interroger sur nos stratégies de lutte, sur nos modes de penser, sur les conditions efficientes pour stopper nos échecs. Continuer à nous adonner aux seuls modes de contestation utilisés jusque-là, c’est-à-dire les marches, les pétitions, le boycott des scrutins, sans les accompagner d’autres initiatives, conduirait immanquablement à déboucher sur la même issue : l’impuissance politique.

Désormais, nous ne devons plus agir qu’en simples militants, agissons aussi en stratèges. Nous devons profiter de la formidable mobilisation populaire du Hirak /Amussu pour investir le terrain autrement, proposer des objectifs audacieux en mesure de déstabiliser le régime. Combattre celui-ci avec les armes qui ont montré leur inefficacité, c’est prendre le risque de faire de la scène politique une scène de répétition. Albert Einstein aurait dit « la folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent ». 

Le Hirak/Amussu a cassé beaucoup de tabous

Pour faire bref, ce que nous demandons au pouvoir, nous devrions être capables de le réaliser d’abord entre nous : dialoguer, négocier et trancher avec audace pour arracher des espaces de liberté concrète. Le Hirak/Amussu a rapproché beaucoup de courants politiques organisés ou non, a ouvert les portes du rêve collectif, a cassé beaucoup de tabous. La place de la religion, celle de l’armée, l’égalité hommes-femmes, la place des langues, les appartenances géopolitiques, la régionalisation, etc.

Limiter le périmètre des prérogatives de l’État 

Malgré l’irruption de la Covid-19, les Algériens continuent d’être actifs et déterminés y compris dans les contrées traditionnellement coupées de l’effervescence politique du nord ou de la diaspora. Tous ont compris que c’est aux institutions de s’adapter aux besoins du peuple et non à celui-ci de se plier aux rets institutionnels hérités du passé.

Le statut de la Kabylie et son corollaire l’organisation du territoire, le plus vaste d’Afrique, ont été débattus parfois avec véhémence et incompréhension, souvent avec intelligence et esprit d’ouverture. Beaucoup d’Algériens non Kabyles ont enfin compris qu’une Kabylie libérée du joug institutionnel « ɛiṣabiste » servirait forcément toute l’Algérie. Il faut élargir cette voie, l’expliciter.

 En effet, un tel sujet décisif pour l’avenir de la région et du pays tout entier voire au-delà, ne doit pas être confié aux corrompus du pouvoir, il doit d’abord être examiné et résolu entre nous. L’issue de ces résolutions doit et peut être imposée au pouvoir actuel qui navigue à vue. Un rapport de force favorable aux courants allant dans ce sens est désormais possible. 

À l’évidence, aucune rupture sérieuse réclamée par la rue révolutionnaire algérienne ne sera possible sans revoir radicalement le rôle de l’État et sans limiter le périmètre de ses prérogatives. Nous savons tous aujourd’hui qu’un État efficace est un État qui délègue, qu’un État moderne est un État modeste. Or jusque-là, l’État algérien est resté paranoïaque, monobloc, omnipotent, manœuvrier comme s’il était l’héritier du Royaume de France.

Sortir du statu quo

Depuis longtemps, les élites kabyles sans étiquettes ou partisanes ont imaginé de nombreux scénarios pour organiser le champ des décisions collectives de façon à permettre à la Kabylie de préserver sa personnalité, à répondre à ses demandes spécifiques : régionalisme positif pour le FFS ; régionalisme modulable pour le RCD ; autonomie pour le RPK ; Indépendance pour le MAK et l’URK. À cela s’ajoutent de nombreuses voix qui réclament un modèle fédéral pour tout e pays. 

Exceptées les élites organiques, clientèles du pouvoir, personne ne veut maintenir le statu quo. Jusque-là, les partis politiques de la région et les nombreux acteurs universitaires, syndicalistes, associatifs, ne parlent pas d’une même voix. On assiste à des positions de principe qui s’apparentent trop souvent à des postures.

Chaque groupe estime pouvoir parler seul au nom de la Kabylie, s’acharne à disqualifier la parole de l’autre, à minimiser l’importance de l’autre. Au bout du compte, nous nous exprimons politiquement mais nous n’agissons pas politiquement. Cette cacophonie ne génère rien d’autre que notre impuissance à changer le système.

De la politique politicienne à la stratégie politique

Allons-nous continuer à assister passivement à ce scénario suicidaire qui a prévalu jusque-là ? Allons-nous encore perdre du temps à espérer un sursaut des gens du pouvoir dont la pensée moyenâgeuse est totalement fossilisée ?

Allons-nous retisser la trame de notre impuissance politique parce que nous n’arrivons pas à nous parler, à remettre la décision entre nos mains, à ramollir nos égos surdimensionnés, à passer de l’expectative à l’audace ? FFS, RCD, UDS, RPK, URK, MAK, Riposte Internationale, militants sans étiquette, artistes, syndicalistes, universitaires, ordre des avocats, des médecins, diaspora, etc. sommes condamnés à mettre sous terre nos certitudes. Fonctionner encore sur le mode de « je sais tout », « s’auto-applaudir indéfiniment », « se persuader qu’on est le meilleur », « prétendre que notre opinion est vérité », tous ces comportements sont la traduction de nos carences, de nos faiblesses et non de nos capacités.

Ces comportements aboutissent peut-être à des victoires narcissiques mais ils débouchent assurément sur des défaites concrètes. Ils sont générateurs d’échecs et non de succès. Devenons enfin des militants adultes, armés de nos expériences, arrêtons avec la politique politicienne, actionnons la stratégie politique, adoptons la méthode des petits pas, soyons pédagogues dans notre démarche. 

Une conférence des Kabyles sur la Kabylie est légitime, elle est une exigence historique. Elle ne trahit pas l’Algérie, elle lui crée une première porte de sortie. Une sortie de l’enfer. Informons nos amis arabophones démocrates sur le bien-fondé de notre démarche. Faisons-en des alliés, surtout pas des adversaires.

Le projet leur sera utile autant qu’à nous, il s’agit d’arracher un espace de liberté au plus vite. Ça serait un excellent levier pour d’autres conquêtes. Un ou des partis cités plus haut pourront prendre l’initiative de la rencontre, l’ordre des avocats peut le faire aussi, comme peut le réaliser un collectif de militants associatifs (1). (« Yes we can », ih nezmer !)

Hacène Hirèche (consultant et militant associatif)

Renvoi

(1) Entretemps, j’apprends qu’un groupe est passé à l’acte puisque cette idée de conférence régionale circule depuis un bon moment déjà. Il a pris l’initiative d’appeler à cette rencontre. Si c’est le cas, j’y souscris totalement.

Auteur
Hacène Hirèche (consultant et militant associatif)

 




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