Dimanche 11 mars 2018
Soufiane Djilali appelle à un candidat unique et une période de transition
Nous publions des extraits du discours de Soufiane Djilali prononcé, le 10 mars à l’occasion du septième anniversaire de la création de Jil Jadid
« (…) Notre volonté déclarée, dès le premier instant de la vie publique de Jil Jadid, était de renouer un fil de communication entre le politique dont l’image est très largement dégradée et une société désabusée, qui n’a plus la force de penser et d’agir en tant que telle. Ce petit lien, fragile et ténu, que nous tentons de maintenir avec la société, sera peut-être demain le canal par lequel s’établira un vrai dialogue entre une classe politique consciente des enjeux et un peuple qui devra reprendre confiance, d’abord en lui-même. Oui, la vérité est que le feu des épreuves endurées par les Algériens, au cours de leur histoire contemporaine, a laissé de profonds traumatismes et qui altèrent leur estime de soi. La perte de sens de notre propre histoire nous a conduits peu à peu à nous déconsidérer puis à abandonner tout effort sur soi, tout engagement généreux pour un avenir commun, lui-même devenu méconnaissable et insaisissable
En effet, les Algériens, une fois l’indépendance acquise, ont recherché frénétiquement une place au soleil dans un monde pourtant déjà occupé, et c’est, goulument, qu’ils ont voulu croquer la vie. Mais pour notre malheur, nous n’avions pas alors compris où se situaient les vrais moteurs de l’histoire. La confusion des principes était à son comble. On avait trop vite cru que la puissance matérielle acquise contre monnaie sonnante et trébuchante, aller nous offrir le bonheur de vivre, alors que c’est la force de l’esprit qui agence le réel. Aujourd’hui, le pays est en très mauvais état. Les périls nous guettent de partout. Les dangers sont à nos portes, à toutes nos frontières. Nos richesses naturelles sont convoitées. Notre organisation politique est obsolète, périmée et est devenue dangereuse pour nous-mêmes. Pour notre salut, nous sommes sommés de nous adapter à un monde qui, lui-même est en plein bouleversement. En effet, un monde nouveau est en train d’émerger, comme conséquence d’une crise multiforme et déterminante pour très longtemps. Notre capacité en tant que nation à le comprendre et à se donner les moyens pour y survivre est de ce fait, capitale. L’ampleur des changements qui surviendront dans le proche avenir aura des conséquences à peine croyables sur la vie des hommes et des nations. Les multiples conflits chroniques et dévastateurs qui vont en résulter et qui s’étaleront sur quelques décennies ne seront pas la moindre des menaces. Des changements capitaux vont, à n’en pas douter, survenir et induire un remodelage des rapports internationaux et instituer une autre configuration géopolitique.
Après avoir poussé inlassablement à la mondialisation, les nations les plus développées entrent dans une phase de questionnements, de remises en cause. Les frémissements d’une dé-mondialisation annoncent quelques tempêtes. Il faut bien comprendre que la crise dans laquelle se débat l’économie-monde va au-delà d’une défaillance financière, de dettes souveraines insolvables, de chômage endémique ou d’une désindustrialisation. Tout cela n’est en fait que l’expression ultime d’un reflux de puissance des pays occidentaux et d’une mutation de leur civilisation. Les guerres et les tensions en divers points de la planète s’avèrent n’être qu’une tentative pour remédier au déclin implacable d’un système matérialiste à bout de souffle. Nous entrons par ailleurs, dans une ère où progressivement les ressources vitales pour une croissance économique « infinie » s’amenuisent et que l’humanité prend, bien que trop lentement, conscience de l’inanité du modèle de développement en cours. Il faut bien saisir que toute la civilisation actuelle est fondée sur l’exploitation de la nature et qu’elle ne peut en aucun cas lui survivre, lorsque celle-ci sera épuisée.
La civilisation occidentale a construit un modèle de vie, qui non seulement est définitivement hors de portée de l’écrasante majorité de l’humanité, mais qui bientôt deviendra impossible, même pour les nations les plus riches.
L’ironie du sort aura voulu que le capitalisme matérialiste, en tant que mode de vie, philosophie et idéologie de puissance, s’étiole, non pas sous les coups portés par un quelconque adversaire mais par épuisement… de matière. Le drame est que lorsque la puissance politique ne permettra plus d’assurer ce mode de fonctionnement, la puissance militaire prendra le relais, sans sourciller, pour le perpétuer le plus longtemps possible, c’est-à-dire très peu de temps encore à l’échelle historique Comment dans ces conditions, l’Algérie affrontera-t-elle ces défis mondiaux ? Quelle est notre sécurité stratégique concernant nos réserves de pétrole et de gaz ainsi que leurs revenus? Quelles sont nos garanties d’intégrité territoriale ? Face à ces bouleversements mondiaux, comment le pays se comportera-t-il ? Aura-t-il les moyens de s’inscrire dans une nouvelle vision qui lui assurera sa sécurité et sa stabilité ? Pourra-t-il remédier à ses propres carences internes en vue de se déployer face à l’extérieur ? C’est là que la volonté de la nation doit intervenir. Cela suppose une volonté collective puissante, maîtresse d’elle-même, dépassant ses conditionnements, ses peurs et ses contradictions. Mais d’où le peuple pourra t-il tirer cette énergie endogène, cette force en soi, qui pourrait l’aider à transcender les intérêts individuels fugaces au profit de l’intérêt collectif durable ? Le mouvement de libération national, progressiste dans son essence avait essayé, dans les années 60 et 70, d’entrainer le pays vers une modernisation à pas cadencés. Malencontreusement, la modernité était comprise comme réalité matérielle et non pas comme une mentalité produite par une culture. Engager le pays dans des réformes sans s’apercevoir que les conséquences allaient frapper de plein fouet la structure sociétal était le point faible d’une dynamique qui allait au final déboucher sur la violence. C’est que personne n’avait saisi les profondes contradictions des valeurs d’un monde moderne avec celles d’une société traditionnelle. La résistance au changement de société s’est alors exprimée brutalement.
Les perturbations et les troubles collectifs des années 90 étaient dus aux tentatives de passage d’une société millénaire sclérosée vers une société ouverte et moderne. La violence terroriste n’était que le reflet d’un déracinement aussi douloureux que destructeur des anciennes structures sociales.
Malmené par les bouleversements induits, la partie la plus conservatrice de la société s’était cramponnée à ses repères et a voulu se réfugier dans le passé, dans le retour aux sources. Ce fut la religion et secondairement l’identité, qui ont offert le recours possible pour tenter de conserver les anciennes structures sociétales en voie d’effondrement. Sans succès. Alors que l’homme de la génération de Novembre est issu, pour une large part du terroir, du pays profond, enraciné qu’il était dans la société d’antan, l’Algérien d’aujourd’hui s’est formé dans les grands centres urbains où souvent l’anonymat ou à tout le moins les relations informelles, extra-familiales et extra-tribales ont constitué sa matrice affective. La société traditionnelle, fragilisée de l’intérieur, à commencé à s’effondrer malgré la dimension religieuse qui la ceinturait pour la renforcer.
Les Algériens de ce début du XXIe siècle ne sont plus les mêmes que ceux des années de l’indépendance. Ainsi les valeurs communautaires, traditionnelles et ancestrales qui avaient cours dans l’Algérie des années 60, ont commencé à se déliter, alors que l’effet de la modernité a fait émerger des comportements nouveaux, individualistes, matérialistes et même égoïstes. Le sens du monde a changé. La perception de l’honneur et de la dignité est différente. L’individu veut exister au détriment de la tribu. Son bonheur personnel a pris, à ses yeux, de l’importance. Il s’est imprégné d’une nouvelle échelle de valeurs consumériste et matérialiste naturellement en conflit avec l’ancienne échelle de valeurs traditionnaliste et conservatrice.
En fait, l’Algérie vit aujourd’hui la cohabitation de deux générations historiquement exceptionnelles. L’une s’est imposée au pays par une révolution mythique, l’autre parce qu’elle est la manifestation de changements d’ordre anthropologique. Entre ces deux moments, le peuple paya le lourd tribut des convulsions de l’agonie d’une société traditionnelle obsolète, à travers une violence inouïe. Cependant, les changements s’étaient déjà imposés chez une grande partie des Algériens et étaient devenus irrémédiables. L’impuissance de l’ancien ordre social était définitive, bien que l’ordre nouveau ne fût pas encore installé. L’Algérie est entrée dans la phase post traditionnelle caractérisée par l’effondrement des structures anciennes. Mais elle est maintenant à peine en période pré-moderne, ne maitrisant pas encore les valeurs d’autonomie personnelle, de responsabilité individuelle et de liberté collective.
Maintenant, près de 20 ans après cet accès de fièvre avec une transition générationnelle bien engagée, que va-t-il advenir de l’Algérie ? Comment va-t-elle négocier les changements capitaux qui vont intervenir dans le proche avenir ? Le sentiment nationaliste persistera t-il ? La souveraineté et l’unité du pays seront-elles maintenues ? N’y a-t-il pas un risque que tout s’effondre de nouveau ? Ou bien, une nouvelle élite apparaîtra t- elle ? Porterait- elle le sentiment patriotique et le sens de l’histoire pour consacrer l’indépendance acquise et assurer la continuité de la marche ? Quels que soient leurs défauts, les hommes politiques et les partis politiques, restent nécessaires pour la vitalité et l’évolution de la société. Rétablir l’image de la politique en général en tant qu’instrument au service de la nation, créer le sentiment du devoir envers l’intérêt public, organiser le débat d’idées, établir et respecter les règles du jeu de la concurrence loyale et transparente, enfin établir de véritables institutions avec les contre pouvoirs nécessaires, voilà quelques motifs qui devraient convaincre de nombreux citoyens du bien fondé de l’action politique.
Un patriotisme rationnel, ouvert et tolérant peut s’épanouir et offrir une nouvelle fierté aux Algériens.
Ils forment, incontestablement, un peuple valeureux qui peut gagner sa place dans le monde grâce à ses qualités humaines, et entrer dans une modernité assumée. Maintenant, c’est aux élites de se mettre au diapason du peuple. Il est impératif d’avoir une nouvelle classe politique, un nouveau régime politique. Il est vital d’engager une action adaptée au monde post-moderne qui se profile. Les hommes politiques ou ceux qui aspirent à l’être devront renouveler avec leur peuple un contrat moral fondé sur la légitimité et la confiance. En tout état de cause, l’Algérie est mûre pour concevoir un tel mouvement politique qui soit populaire et porteur de nouvelles valeurs et de nouveaux espoirs et qui puisse être rassembleur au point de cristalliser une possibilité réelle d’alternative. Un grand courant démocratique et moderne devenant le creuset pour la formation d’une nouvelle génération politique, d’une nouvelle élite, doit devenir une priorité. Pour finir, et comme chacun le sait, l’Algérie doit affronter un important rendez-vous politique dans les prochains mois. L’analyse des phénomènes de société ne doit pas nous faire oublier que l’exercice de la politique reste l’outil par excellence pour changer l’ordre des choses. Alors, permettez-moi alors, de relire, ici, devant vous, quelques propositions que Jil Jadid a avancé dans une position officielle du conseil politique, pour une sortie de crise : « Alors que la rue gronde, le sérail reste obnubilé par son maintien au pouvoir et manigance déjà en vue d’une prochaine élection présidentielle qu’il veut sous contrôle. Pourtant un cinquième mandat, s’il advenait, sera le produit d’une transgression constitutionnelle, d’une faute morale, d’une tragédie politique et d’un drame humain. Transgression constitutionnelle car la loi suprême limite à deux les mandats présidentiels.
Comment peut-on parler d’un cinquième mandat ? Faute morale, car il est de notoriété publique que le Président actuel n’a plus qu’une existence biologique sinon une présence virtuelle à travers des portraits, et qu’à ce stade de la maladie, il ne peut rien pour lui-même et encore moins pour le pays.
Une tragédie politique, car chaque jour qui passe, démontre l’incompétence, la malhonnêteté et la violence du pouvoir qui a marginalisé toutes les institutions, trafiqué les élections, dilapidé les richesses, et qui maintenant passe à la répression tous azimuts de la population qui refuse la soumission.
Un drame humain, pour le Président lui-même dusse-t-il être consentant, dont la dignité n’est plus respectée et qui est ostensiblement affiché, particulièrement face aux étrangers, dans des situations dégradantes alors qu’il endure des souffrances physiques inhumaines ». « Le Conseil politique de Jil Jadid fait appel à la conscience nationale pour se mettre en ordre, empêcher l’illégal cinquième mandat et proposer une véritable alternative d’ici 2019. Maintenant que le désordre dû au 4ème mandat est avéré à tous les niveaux, il ne reste au pays que peu de solutions envisageables pour une issue salutaire ». « Dans cette optique, Jil Jadid propose d’aller vers un mandat de transition et un candidat unique de toute l’opposition avec comme objectif principal, la remise en ordre des affaires de l’Etat.
Une phase de transition, la plus courte possible, avec un programme consensuel, devra être organisée autour d’une candidature unique. C’est à la société civile, syndicats autonomes, associations et personnalités, en coordination avec l’opposition politique que doit revenir la discussion et l’adoption d’un tel programme, puis la désignation selon des voies démocratiques, de leur candidat aux présidentielles ». « Le programme de transition devrait contenir des réformes cruciales : un processus constituant, aboutissant à une loi fondamentale du pays qui garantisse l’indépendance de la justice, l’autonomisation d’une cour constitutionnelle, la mise en place d’une commission indépendante pour la gestion des élections. Les lois sur les associations, les partis politiques, les élections etc… seront alors révisées avant de convoquer de nouvelles élections législatives puis locales. Enfin, le processus devra aboutir à une élection présidentielle ouverte sur la base des programmes et projets de société».
Cependant, cette transition ne pourra réussir que si l’adhésion populaire se réalise. La transition devra se faire avec et pour la majorité des citoyens. Les plus faibles d’entre eux devront être protégés. Le maintien du niveau de vie général sera crucial. La solidarité nationale ne devra pas rester un vain mot mais une réalité. Les difficultés à affronter seront, d’autant mieux dépassées, si les droits et libertés de toutes et de tous, seront respectés. La politique économique et sociale du pays doit aller de pair avec l’établissement de l’Etat de droit et de la démocratie. » Merci à vous tous… »