En défendant les propos controversés de Belghit sur l’amazighité, l’islamiste Mokri relance une vieille stratégie d’effacement identitaire. Derrière un discours religieux se cache une hostilité persistante à l’égard de tamazight, composante pourtant constitutionnelle de l’Algérie. Une manœuvre politique camouflée en appel à l’unité.
L’intervention récente de l’ancien chef du MSP, Abderrazak Makri, sur sa page Facebook, en soutien au pseudo-historien Belghit, marque une nouvelle tentative d’instrumentalisation religieuse et politique pour nier les fondements amazighs de l’Algérie. Sous couvert de fraternité religieuse et de discours apaisants, Mokri masque à peine son hostilité envers l’amazighité, dans un discours typique des cercles islamistes algériens qui, depuis des décennies, refusent d’admettre la diversité culturelle et linguistique du pays.
Derrière une rhétorique qui se veut unificatrice — « Les croyants sont frères », « ce n’est qu’un débat scientifique » — se cache en réalité un dangereux amalgame. Mokri présente la réaction populaire et institutionnelle à l’égard des propos de Belghit comme une injustice, une « diabolisation », alors même que ce dernier a nié l’amazighité de l’Algérie dans une émission d’une chaîne de télévision émiratie notoirement hostile aux mouvements d’émancipation identitaire dans le monde musulman. Il s’agit là d’un procédé classique : dépolitiser le débat identitaire tout en délégitimant ceux qui défendent la pluralité de l’héritage algérien.
Abderrazak Makri, fidèle à son orientation islamiste, cherche à réduire la question identitaire à une lecture strictement religieuse.
Mais cette posture cache mal une volonté d’effacement. Ce n’est pas la première fois que Mokri réduit tamazight à une langue « subsidiaire » sans valeur symbolique équivalente à l’arabe, qu’il sacralise en tant que langue du Coran. Il s’inscrit ainsi dans la lignée d’un courant qui, depuis les années post-indépendance, travaille à arabo-islamiser la mémoire nationale tout en niant l’héritage millénaire amazigh, pourtant reconnu aujourd’hui par la Constitution algérienne.
Ce courant, représenté aussi bien dans les partis comme le MSP que dans des associations comme les Oulémas musulmans ou certains cercles académiques, s’emploie à imposer une lecture unique de l’Histoire, qui relègue tamazight à un folklore toléré, à condition qu’il ne remette pas en cause l’axe arabo-islamique exclusif.
Le plus inquiétant est que cette négation identitaire est souvent justifiée par une rhétorique de la « fitna » : toute revendication amazighe serait une source de division, un péril pour l’unité nationale.
Une démarche qui revient à reprocher aux défenseurs de l’identité amazighe de diviser, alors que c’est précisément la négation de leur existence culturelle et historique qui alimente les tensions.
Mokri accuse les autres de réveiller les démons de la division, alors qu’il soutient un discours qui nie l’évidence historique : l’amazighité est une composante originelle de l’Algérie, antérieure à l’arabisation et constitutive de son identité plurielle. À force de vouloir soumettre l’Histoire aux dogmes religieux ou idéologiques, les islamistes comme Mokri se retrouvent à reproduire les vieux schémas coloniaux qui, eux aussi, ont tenté d’opposer les Algériens les uns aux autres, au lieu de reconnaître la richesse de leur diversité.
Il est plus que jamais nécessaire de rappeler l’importance de tamazight en tant que langue, culture et histoire, face aux tentatives de marginalisation dissimulées derrière un discours religieux.
Samia Naït Iqbal