Durant le 11e North Africa Energy & Hydrogen Exhibition and Conference (NAPEC) qui s’est tenu du 13 au 15 novembre 2023 au Centre de Convention d’Oran, Alnaft a brillé par un discours sur la démarche du secteur de l’énergie totalement paradoxal à la précédente session, c’est-à-dire la 10e NAPEC de 2021.
Pourtant, c’est cette agence qui est censée gérer le domaine minier algérien en suivant une politique énergétique nationale dont l’orientation générale est approuvée par le Haut conseil de l’énergie (HCE). On a l’impression en écoutant l’un et l’autre que cette conduite d’un secteur aussi stratégique se fait par itérations successives au gré des circonstances sans lien avec la vision globale contenue dans d’abord le programme des différents gouvernements puis celui du candidat à la présidence aujourd’hui président Abdelmadjid Tebboune.
De la dixième à la onzième conférence, tout porte à croire qu’on est passé au « tout exploration » à un partenariat comportant moins de risque dans les gisements matures en déclin.
Ainsi en 2021, Noureddine Daoudi, ancien responsable d’Alnaft, le domaine minier algérien est sous-exploré, il n’est exploité qu’à 40% de sa superficie réévalué à plus 175 000 0 km2 Pour lui, « ces chiffres témoignent de la diversité d’opportunités présentes et de l’ampleur des investissements à considérer dans les perspectives d’une valorisation optimale des ressources existantes ». Comprendre par là qu’il faut attirer plus d’investissements dans ces zones vierges (onshore et offshore).
Il a donné la priorité à la nouvelle loi sur les hydrocarbures 19-13 qu’il encense par son retour à une fiscalité attractive.(01)
Pour lui, cette loi par cette attractivité va parer à la dérive de l’ancienne 05-07, durant laquelle 31 projets ont été lancés dans un appel d’offres, seuls quatre avaient été retenus pour confirmer un échec cuisant. Ce qui a refroidi les partenaires, c’est selon ce responsable cette forte imposition. Des études ont été entreprises par l’agence pour comprendre l’éloignement des investisseurs ont démontré que les benchmarks sur les assiettes fiscales des projets dans le monde tournaient autour de 60%, le nôtre atteignait les 80% (02).
Les trois types de contrats, à savoir participation, partage de production et contrat à risque restent très bénéfiques pour attirer les investissements ; donc, indirectement, il faut lancer le 5éme appel offres confirmé de suite par le ministre de l’Energie lors de son entretien à la chaîne 3. En bref, « ce nouveau cadre légal permettra, en outre, la mise en œuvre de la feuille de route des pouvoirs publics en faveur de l’intensification de l’effort de recherche et d’exploration, y compris dans l’offshore et le nord du pays pour mettre en évidence de nouvelles réserves d’hydrocarbures. » Ce responsable s’est montré très prudent sur l’offshore qu’il a considéré très profond 2000 à 2500 m de profondeur et donc pourrait revenir très cher à 100 millions de dollars par forage.
1- Son successeur en 2023 a viré à 180°
Pour Mourad Beldjehem, qui a succédé au premier à l’agence Alnaft, l’augmentation de la production est devenue vitale. Il l’explique par deux facteurs contraignants, celui de la consommation interne et le volume des exportations. (03) En effet, l’Algérie depuis l’indépendance favorise la consommation interne à l’exportation qui pourtant finance le circuit socio-économique du pays. Le taux de croissance de cette consommation interne, le responsable le situe modestement à 3% alors que l’Agence de régulation des hydrocarbures (ARH) le situe, au premier semestre 2023,à plus que le double, soit 6,7%, avec 8,69 millions de tonnes consommés. L’ARH l’impute « à la dynamique économique que connaît le pays. »(04)
Cette augmentation effrénée de la consommation interne ponctue le volume des exportations qui sert non seulement comme il le dit à l’accompagnement de la transition énergétique mais aussi l’augmentation de la production des produits hors hydrocarbures pour parer à cette forte dépendance de l’économie nationale des hydrocarbures.
Une équation difficile à résoudre mais pour le nouveau responsable il faudrait repousser le 5e appel d’offres au-delà de 2023 et «prône la multiplication des partenariats pour l’intensification de l’exploration, afin de découvrir de nouveaux gisements et pour l’optimisation de certains champs de la Sonatrach, appelés champs matures (des champs en fin de vie), en déclin. »
Selon toute vraisemblance, il favorise le contact direct avec les grandes compagnies que d’attendre les résultats d’un appel d’offres. Il annonce que « Sonatrach est en négociations directes avec une multitude d’entreprises dont certaines sont de grandes compagnies. » (05) En tout cas, que reste-t-il de cet appel d’offres qui traine depuis presque une décennie ? Les non-rendus comme Berkine Nord et Sud, Touggourt et Ghardaïa, Hassi Toumiat sont déjà en cours d’exploitation pour le reste, ce n’est pas ceux-là qui vont donner un coup de pouce à la production.
2- Pourquoi les investisseurs n’iront pas au-delà des gisements existants
Selon une analyse publiée sur le site Euractiv.com (06) en février 2020 et qui se confirme à ce jour, une soudaine interruption de l’exploitation pétrolière pourrait éventuellement réduire de moitié les projets en cours de développement. Pourquoi ?
Les géants du pétrole notamment américains comme ConocoPhillips, BP, ExxonMobil et Chevron qui guettent depuis fort longtemps les moindres occasions dans le domaine des hydrocarbures en particulier et l’énergie en général et qui ont compté sur leur énormes investissements consentis dans des projets de sables bitumineux et surtout de gaz des roches- mères argileuses, restent les plus exposés à cette surprenante chute de la demande que pourraient entraîner des régulations climatiques tardives.
En termes simples soutient le groupe de réflexion Carbon Trucker, un think- tank dont les conclusions sont très écoutées dans le monde de l’énergie et de l’environnement, « les compagnies pétrolières qui s’appuient sur le statu quo pour planifier leurs futurs investissements risquent de voir la valeur de leurs nouveaux projets réduite de moitié en raison d’une politique plus stricte. Elles risquent de se retrouver avec des actifs bloqués, s’ils partent du principe que les gouvernements ne prendront pas des mesures énergiques pour limiter le changement climatique. Donc, les projets pétroliers développés avant 2025 pourraient ne jamais générer la valeur attendue si les réponses politiques ne sont pas anticipées. »
Avec l’entrée en vigueur depuis décembre 2019 d’un nouvel exécutif européen insistant de faire de ce continent l’un des premiers climatiquement neutre d’ici à 2050, les sociétés pétrolières européennes ne sont pas non plus épargnées par les conséquences de cette réglementation stricte inscrite dans une loi contraignante et complique leur tâche un peu plus avec l’entrée en vigueur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans une échéance beaucoup plus proche, celle de la fin de la décennie en cours.
Ce groupe de réflexion estime que les investisseurs devraient demander un taux de rendement plus élevé aux sociétés qui développent des projets onéreux tels que l’exploitation de sables bitumineux. Ces projets comptent également parmi les plus polluants et sont les plus sensibles à la volatilité des prix. En outre, le risque de se retrouver avec des actifs bloqués demeure, quelle que soit la fluctuation des prix du baril en haut ou en bas.
L’expérience du passé dans le domaine pétrolier et gazier montre que lorsque l’entreprise dispose de projets moins coûteux, automatiquement le risque qu’ils comportent est plus faible et leur rendement restera plus élevé. C’est certainement ce qui attire le plus les capitaux dans ces circonstances.
Il est vrai que les compagnies pétrolières ont coutume de faire dans les pays pauvres ce qu’ils ne font pas chez eux ; mais cette dernière décennie a montré que les réseaux sociaux les poursuivent même en dehors de leurs frontières d’où leur réticence de prendre ce risque très capitalistique. Contrairement à l’approche que développe le géant Total par exemple par des effets d’annonce comme par exemple montrer son intérêt pour les blocs schisteux algériens, elle travaille de paire avec les décideurs politiques européens pour contenir les menaces climatiques d’ici 2025 en réorientant ses investissements avec moins de risque pour éviter les situations comme celle d’In Salah en Algérie.
Elle n’est pas la seule en Europe, Eni et Equinor sont considérés comme les moins exposés aux risques climatiques, car ils ont commencé à diversifier leurs portefeuilles en investissant dans les énergies renouvelables ou les stations de recharge pour véhicules électriques.
Ce rapport cite l’exemple de la compagnie pétrolière d’État, Saudi Aramco, qui affiche de faibles coûts de production et qui reste l’une des moins exposées, avec une sensibilité au prix du pétrole inférieure d’environ 30 % à celle du reste de l’industrie du secteur. À l’inverse, la valeur des projets pétroliers existants et modélisés d’ExxonMobil est d’environ 40 % plus sensible au prix du pétrole que le reste de l’industrie de production pétrolière.
Cela devrait amener les géants du pétrole à repenser leurs stratégies d’investissement. La pression croissante de l’opinion publique concernant le changement climatique et la baisse des coûts des technologies pour les énergies renouvelables obligeront chaque compagnie pétrolière à agir en fin de comptes même en dehors de ses frontières. Il faut dire aussi que les réseaux sociaux sont très contagieux.
Rabah Reghis
Renvois
(01)-https://www.aps.dz/economie/130223-hydrocarbures-60-du-domaine-minier-algerien-n-est-pas-explore