Khaled Nezzar, ancien ministre de la Défense sera jugé en Suisse pour des faits présumés « de tortures et autres actes cruels, inhumains ou humiliants, des détentions et condamnations arbitraires ainsi que des exécutions extrajudiciaires entre 1992 et 1994″.
C’est une première pour l’institution militaire algérienne. Un de ses puissants généraux est amené à répondre d’accusations gravissime par un tribunal pénal fédéral suisse. Agé de 85 ans, Khaled Nezzar est soupçonné « d’avoir pour le moins approuvé, coordonné et encouragé, sciemment et délibérément, des tortures et autres actes cruels, inhumains ou humiliants, des violations de l’intégrité physique et psychique, des détentions et condamnations arbitraires ainsi que des exécutions extrajudiciaires, précise le communiqué. Si aucune date du procès n’est rendue publique, le Ministère public de la Confédération a toutefois transmis lundi 28 août au Tribunal pénal fédéral (TPF) l’acte d’accusation visant le général-major à la retraite Khaled Nezzar.
Nous publions ci-dessous le communiqué de presse du ministère public :
« Par acte du 28.08.2023, le Ministère public de la Confédération renvoie l’ancien ministre algérien de la Défense nationale et membre du Haut Comité d’Etat Khaled Nezzar devant le Tribunal pénal fédéral pour infractions au droit international humanitaire au sens des Conventions de Genève entre 1992 et 1994 dans le cadre de la guerre civile en Algérie et pour crimes contre l’humanité.
En particulier, le prévenu est soupçonné d’avoir pour le moins approuvé, coordonné et encouragé, sciemment et délibérément, des tortures et autres actes cruels, inhumains ou humiliants, des violations de l’intégrité physique et psychique, des détentions et condamnations arbitraires ainsi que des exécutions extrajudiciaires.
L’acte d’accusation déposé par le Ministère public de la Confédération (MPC) auprès du Tribunal pénal fédéral (TPF) se fonde sur des faits établis après de longues investigations et l’audition de 24 personnes.
Contexte historique
A la suite de troubles sociaux, un système multipartite est introduit en Algérie en février 1989 par la force d’une nouvelle Constitution. C’est alors qu’est également fondé le parti politique « Front islamique du salut » (FIS). Le président alors en fonction se départit du ministère de la Défense nationale en 1990, un rôle jusque-là lié à la présidence. La charge revient au chef de l’État-major de l’armée Khaled Nezzar, lequel prend ainsi les commandes des forces de sécurité et, quelques mois plus tard, des services secrets. En décembre 1990, l’armée, conduite par Nezzar, publie un mémorandum qui prévoit un plan d’action de lutte armée contre l’opposition islamiste. Lorsque le FIS obtient la majorité lors du premier tour des élections parlementaires, de nouveaux troubles émergent de sorte que l’État algérien interrompt le processus électoral et le suspend pour une durée indéterminée. L’opposition s’organise sous la forme de groupes armés. Compte tenu des événements, le parlement est dissous et le président Chadli Bendjedid démissionne. Le pays est alors placé sous la conduite du Haut comité d’État (HCE), dont fait partie Khaled Nezzar et dont la mission est de garantir la continuité de l’État et les conditions permettant le fonctionnement des institutions et de l’ordre constitutionnel. Le HCE décrète l’état d’urgence le 9 février 1992, ce qui marque le déploiement de la politique d’extermination des mouvements islamistes conçue en 1990 principalement sous l’égide de Khaled Nezzar. Connue également sous le nom de « décennie noire », la guerre civile sévit de 1992 à 1999. Selon différentes sources, on dénombre jusqu’à 200 000 personnes exécutées et 1,5 million de personnes déplacées ; en outre, quelque 20 000 personnes sont portées disparues.
Ouverture d’une enquête pénale contre Nezzar
Sur dénonciation de l’organisation non-gouvernementale TRIAL International, le MPC a ouvert en 2011 une procédure pénale contre Khaled Nezzar résidant alors en Suisse pour présomption de crimes de guerre au sens des art. 108 et 109 du Code pénal militaire du 13 juin 1927 (aCPM) commis durant la guerre civile en Algérie. En 2017, le MPC a classé la procédure au motif que la guerre civile algérienne ne constituait pas un conflit armé interne au sens de la loi et que la Suisse, en conséquence, n’était pas compétente pour juger d’éventuels crimes de guerre dans ce cadre. Sur recours, le Tribunal pénal fédéral a toutefois constaté que les affrontements avaient présenté une telle intensité de violence qu’ils s’apparentaient à la notion de conflit armé telle que définie par l’art. 3 commun aux Conventions de Genève et la jurisprudence internationale topique. En outre, la Cour des plaintes a jugé l’opposition armée suffisamment organisée pour être retenue comme un groupement armé au sens desdites Conventions. Le Ministère public de la Confédération a ainsi repris la procédure pénale. Après audition de 24 personnes au total, il a déposé un acte d’accusation.
Les faits mis en accusation
Selon l’acte d’accusation, le MPC fait valoir que Khaled Nezzar en tant que personne influente en Algérie en sa qualité de ministre de la Défense et membre du HCE a placé des personnes de confiance à des positions clés et créé sciemment et délibérément des structures visant à exterminer l’opposition islamiste, conformément à son plan d’action. S’en sont suivis des crimes de guerre et une persécution généralisée et systématique des civils accusés de sympathiser avec les opposants.
Le MPC a notamment documenté onze états de fait, comprenant souvent plusieurs reproches, survenus entre 1992 et 1994. Les victimes présumées ont subi des tortures, avec de l’eau ou des électrochocs, et autres traitements cruels, inhumains ou humiliants ainsi que des violations de l’intégrité physique et psychique. On suspecte également des détentions et des condamnations arbitraires ainsi que des exécutions extrajudiciaires. L’accusation indique que Nezzar a sciemment et délibérément approuvé ces exactions, il les a coordonnées ou ordonnées. Il est aussi reproché au prévenu d’avoir violé le droit international humanitaire au sens de l’art. 3 des Conventions de Genève du 12 août 1949, en relation avec les art. 4 et 6 du deuxième Protocole additionnel aux Conventions de Genève – un fait punissable conformément à l’art. 109 al. 1 du Code pénal militaire dans sa version en vigueur au moment des faits (aCPM) – et d’avoir commis des crimes contre l’humanité au sens de l’art. 264a CP.
Le MPC soutiendra ses conclusions lors des débats principaux devant le TPF à Bellinzone. L’accusé bénéficie de la présomption d’innocence jusqu’à l’entrée en force du jugement. Une fois l’acte d’accusation déposé, le TPF est compétent pour des informations complémentaires. »