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Sur les pas de Kateb Yacine

Souad Massi Mohamed Kacimi

 

Souad Massi et Mohamed Kacimi.

«L’Algérie arabo-islamique, c’est une Algérie contre elle-même, une Algérie étrangère à elle-même. C’est une Algérie imposée par les armes, parce que l’islam ne se fait pas avec des bonbons et des roses. Il s’est fait dans les larmes et le sang, il s’est fait par l’écrasement, par la violence, par le mépris, par la haine, par les pires abjections que puisse supporter un peuple. » Kateb Yacine

Comment s’attaquer à l’itinéraire d’un monument inclassable qui a fait rentrer l’Algérie dans l’ère de la littérature moderne bien avant des écrivains de renom qui ont eu le prix Nobel ou les différents prix littéraires nationaux ? Comment aborder un mythe plus qu’un homme qui a vécu et que nous avons connu et qui nous a subjugués ? Comment escalader une légende qui, pour la majorité des Algériens, avait plus l’allure d’un Annapurna que d’un être humain qui ressemblerait à tous les êtres humains. Mohamed Kacimi a eu cette idée folle d’aborder le parcours de cet écrivain irréductible, Kateb Yacine, à partir de son éveil à la conscience révolutionnaire, précisément le 8 mai 1945 à Sétif lorsqu’il était au lycée Eugène Albertini, jusqu’à sa déclaration en forme de testament quelques temps avant sa disparition alors qu’il venait à peine de fêter son soixantième anniversaire. 

De son arrestation lors des manifestations monstres de Sétif en passant par la folie qui s’est emparée de sa mère alors qu’elle le croyait mort jusqu’à son exil à Paris d’abord, à Hambourg ensuite, son combat au Vietnam aux côtés du général Giap et du président Ho Chi Minh pour lequel il a écrit L’homme aux sandales de caoutchouc. Kateb Yacine a, en effet, séjourné au Vietnam pendant trois ans, de 1967 à 1970, prouvant définitivement qu’il ne concevait de combat contre le colonialisme que par le truchement d’une lutte universaliste.

Dans Sur les pas de Kateb Yacine, Mohamed Kacimi s’est jeté à corps perdu à la poursuite d’un écrivain qui a d’abord écrit Nedjma, ce sommet de la littérature jamais atteint. Il a raconté les péripéties vécues par Kateb Yacine lorsqu’il a écrit et mis en scène sa pièce phare Mohamed, prends ta valise qui lui a valu toutes les vicissitudes du monde. Et Mohamed Kacimi a eu une belle inspiration : demander à la chanteuse à la voix d’or, Souad Massi, de l’accompagner sur scène et de procéder ainsi à une sorte de division du travail : à Mohamed Kacimi la lecture du parcours de Kateb Yacine, à Souad Massi de nous donner sa vision chantée de l’environnement katébien à travers ses propres chansons. Nous avons vécu une soirée enchantée à l’Espace Magh à Bruxelles grâce à ce duo d’exception formé par Mohamed Kacimi et Souad Massi.

Kateb Yacine, ce géant qui a dépassé son siècle, a mené une lutte sans merci contre toutes les injustices : le colonialisme français, d’abord, qui a fait du peuple algérien une entité exsangue, les colonels algériens qui se sont accaparés le pouvoir par la force et qui ne l’ont jamais lâché, les islamistes qui ont voulu faire de ce pays une banlieue saoudienne… «L’armée a fait entrer les loups islamiques dans la bergerie algérienne au premier jour de l’Indépendance. »

Mohamed Kacimi termine son plaidoyer et son amour pour Kateb Yacine par le dernier appel public du grand écrivain : « Si je devais laisser un testament, c’est ma haine des religions. Ce qui a esquinté le monde, ce qui m’a esquinté à moi et ce qui vous esquinte aujourd’hui, ce sont les religions. Ces trois religions monothéistes font le malheur de l’humanité. Le malheur de l’Algérie a commencé avec la religion. Nous avons subi les Romains et les chrétiens. Aujourd’hui, nous subissons la colonisation arabo-islamique ».

Kamel Bencheikh

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