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« Sur les traces des Kabyles exilés en Tunisie » de Farida Sahoui

Farida Sahoui

Farida Sahoui

Aller sur les traces des ancêtres, chercher leurs racines, retrouver les embruns des origines, telle est la gageure de Farida Sahoui dans son récit « Sur les traces des Kabyles exilés en Tunisie », publié aux éditions Progress en juin 2021. Revenir sur ce récit savoureux nous réconcilie, à vrai dire, avec une partie de l’histoire algérienne.

Fait de rencontres avec les descendants d’exilés algériens originaires de la Kabylie, partis prendre refuge chez les frères-voisins de l’Est après leur condamnation à mort, pour certains d’entre eux, par l’administration coloniale suite à la révolte populaire d’El Mokrani en 1871, l’essai nous met dans le bain de la nostalgie.

L’échec du soulèvement algérien a créé, il est vrai, une diaspora dans différentes villes tunisiennes telles que Bizerte, Kairouan, Master avec tous les liens affectifs y afférents.

Fortement investie dans ce travail de fourmi, la jeune auteure a réussi à lever le voile sur un pan dramatique du récit national, chiffres et informations historiques à l’appui. Confirmant le fait que l’exode des familles kabyles et leur installation en Tunisie datait de bien avant 1871, l’auteure rappelle à titre d’exemple que cinq ans plus tard, soit en 1876, environ 16 600 Algériens avaient élu domicile dans le pays du Jasmin.

Ce mouvement migratoire vers d’autres pays n’était pas, d’après l’auteure, unique, d’autant plus qu’il y avait également des exodes massifs vers le Maroc, le Liban, la Syrie, l’Egypte, effet de bord des révoltes populaires.

C’était dans le sillage de ces chamboulements que des illustres tels que El Ghobrini, Laid El Ouartilani et Sidi Bachir El Bedjaoui Zouaoui, issus des familles de lettrés, les fameux oulémas, ont poursuivi leurs études à l’université de Zitouna. Le mouvement national en Algérie en avait, d’ailleurs, tiré le plus gros profit, vu le rôle majeur de ce temple de savoir dans la prise de conscience de certains militants nationalistes.

Ainsi Farida Sahoui a-t-elle évoqué Mustapha Ben Boulaid et Messali Hadj dont les relations avec El Ouartilani étaient, semble-t-il, très fortes. C’est dire combien la diaspora algérienne en Tunisie a fortement contribué à l’élan libérateur de la révolution algérienne.

Plein d’émouvants témoignages revenant sur le destin d’Algériens arrachés à leur terre-mère, mais n’ayant perdu aucune once de leur algérianité, le livre se présente d’abord comme une sorte d’étude anthropo-historique.

A ce titre, l’auteure a donné notamment la parole à la famille de Zouaoui Abdelaziz, appelé par les intimes « Ammi Azzouz », originaire de la région de Ouagenoun et de Tigzirt (Tizi Ouzou) et de page en page, les coeurs de ses membres s’ouvrent pour décrire leur vécu, ceux de leurs ancêtres et des exilés kabyles en général, avec tout l’album familial.

« J’ai eu l’honneur, écrit Sahoui dans son introduction, d’être invitée par quelques familles comme les Zouaoui et Amraoui, des personnes simples qui m’ont ouvert les portes de leurs maisons et celles de leurs coeurs pour me raconter leurs vécus et m’imprégner ainsi de leurs souffrances et de leurs moments de joie. »

Les parcours de tas d’autres familles telles les Chabane, les Meziane, les Ahres, les Ait Larbi, les Bouknana, les Chaker, les Amyoud, les Hamitouche, les Dahmane, et tant d’autres, parties de Mekla, Azazga, Ain El-Hammam, Larbâa Nath Irathen, etc., jalonnent ce récit. Des confidences, des larmes, des souvenirs, en rapport avec la mère-patrie suscitent autant d’empathie et de solidarité.

De la JSK, l’équipe-phare à l’histoire légendaire aux montagnes de Djurdjura, en passant par les rites locaux de la Kabylie, sauvegardés de père en fils, malgré la distance de l’éloignement, c’est l’odeur de la Kabylie avec toute sa splendeur qui irrigue le texte de Farida Sahoui.

Le parler même en est imprégné. Tamazight est partout sur les bouches : aghrum (pain), azmur (olive), tagmat (fraternité), afus (main, union), etc. Puis, plongeant sa plume dans le quotidien de ses compatriotes, cette dernière nous révèle avec force détails par le biais des histoires et des anecdotes croisées des destins uniques en leur genre, parfois avec des photographies.

On peut même se réjouir d’un tour sur Si Mohand Oumhand, le poète errant à la mémoire myhtique qui a effectué un grand périple en Tunisie, avec une petite compilation de ses vers. Et aussi sur la famille des Amrouche et leur qurante ans d’exil. Cette famille emblématique avait, pour rappel, choisi la Tunisie pour terre d’asile et de travail à un moment où les conditions de vie sous le colonialisme à Ighil Ali en Kabylie étaient dures. La poétesse, cantatrice et écrivaine Marguerite-Taos Amrouche y était même née.

Des extraits de « L’histoire de ma vie » de Fathma Ait Mansour Amrouche, la mère de Jean et de Marguerite-Taos, récités par l’un de ses interlocuteurs ajoutent de la beauté au texte. Bref, l’auteure nous offre un véritable travail de prospection ethnologique, fait avec passion et générosité. On découvre bien aussi des aspects du tour de vis exercé sur la culture berbère sous le régime Bourguiba, bien que ce dernier ait octroyé aux Kabyles bien d’avantages.

Au fil de la lecture de ce merveilleux ouvrage, on ressent des douleurs muettes, des regrets pesants, des ressentis profonds que les années n’avaient pas pu effacer. L’écart dans la vision entre les personnes qui ont témoigné dans le livre en dit long aussi sur le conflit de générations. Celles d’aujourd’hui, parmi les descendantes des anciennes exilés semblent moins attachées à la mémoire de leurs prédécesseurs, même si la Kabylie habite toujours les esprits, avec son charme, ses odeurs, ses nouvelles, son actualité.

Kamal Guerroua

Farida Sahoui, Sur les traces des Kabyles exilés en Tunisie, Récit, QI Progress,2021, Tizi Ouzou, 216 pages, Prix public : 650 dinars

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