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Surveiller et punir 

TRIBUNE

Surveiller et punir 

Les deux derniers vendredis ont-ils sonné le glas du mouvement Hirak ?

Dans un livre bien ficelé, Surveiller et punir, Michel Foucault dresse la genèse de la prison dans le monde occidental. Avant la prison, le condamné est montré en public et devait être châtié au vu du monde pour donner l’exemple et prévenir la récidive. Puis la prison s’installa. Le supplice du condamné n’est plus montré : 

« La disparition des supplices, c’est donc le spectacle qui s’efface ; mais aussi la prise sur le corps qui se dénoue ».   On ne s’adonne plus au spectacle.  

Nous sommes bien loin de cette logique dans l’Algérie du XXIe siècle. Nous avions eu un mouvement qui nous a fait renaitre l’espoir. Oui ; l’espoir de voir quelque chose advenir et faire irruption dans le champ de présence, l’espace des possibles.

Les plus audacieux espéraient une constituante ou on débattrait, on mettrait à plat nos préoccupations ; on assainirait et laverait notre linge sale puisque nous sommes dans la grande familia algeria. Cette ultime phase qui nous a manqué au lendemain de l’indépendance.

Il y a eu une ébauche avortée dans l’œuf à Tripoli tant les appétits étaient grands. L’armée des frontières, demeurée hors des combats et attendant la fin de la guerre a eu le dessus sur le GPRA et l’ALN, armée de l’intérieur, amoindrie et meurtrie. Et nous payons, aujourd’hui encore cette dette. Nous nous débattons encore et encore comme si l’histoire se répétait. 

Nous sommes si naïfs dans notre élan enfantin de croire changer le pouvoir, simplement en lui criant tous les vendredis notre dégout et notre frustration. Nous étions confiants presque abasourdis quand Bouteflika était débarqué. Était-ce notre fait d’arme ou une manœuvre du pouvoir ? 

Nous avions cru que nous étions capables à coups de répétitions de manifestations, à coups de démonstrations grandioses fédérant des pans entiers du peuple algériens que c’était à notre portée le changement tant espéré. Pris de panique au début, le pouvoir à su jouer la carte du temps. Il a scruté le mouvement ; en a analysé forces et faiblesses ; l’a probablement infiltré. Puis il a su s’adapter. Usant de ruses et de stratégie, il en est arrivé à la conclusion que la récréation est terminée.  

A présent, il n’est plus d’actualité de manifester, ni de tolérer une critique envers la classe dirigeante. On bastonne, on brime, on arrête par centaines. L’interdit revient. 

L’ouverture du champ de présence qui avait permis l’espoir d’une possible advenue du changement, se mue en une fermeture stérile. Le pouvoir clôt et le débat et l’espace d’expression populaire. On veut revenir à un semblant de stabilité ou les institutions auraient la légitimité qui leur manquait (dans un processus électoral adoubé par une classe politique qui y participerait). Et on fermerait la parenthèse de ce laps temporel ou on contestait le système dans son ensemble. 

Nous contesterons à M. Daoud la position qu’il affiche pour les futures élections. Libre à lui d’adhérer à cette consultation populaire. Mais en homme public, il est suspect de faire l’économie d’une analyse sérieuse des tenants et aboutissants de la situation.

Si le peuple qui sortait depuis tant de Vendredis n’a aucune légitimité aux yeux de la classe dirigeante qui décide de marquer brutalement un arrêt à sa sortie hebdomadaire, on ne voit pas comment adhérer à une consultation électorale qui nie de bout en bout le vœu et l’aspiration de ce même peuple. M. Daoud peut légitimer à coups d’arguments son adhésion à cette consultation électorale, nous stipulant la nécessité de contribuer au débat et ne pas laisser la chaise vacante, ce qui donnerait aux islamistes un champ plus libre. Or cela contribue, incontestablement au maintien du système dans son esprit. L’enjeu du boycott de ces élections dépasse de loin l’intérêt immédiat de jouer le jeu.

L’esprit du Hirak est un esprit de changement, pas du changement dans la continuité. 

Adhérer à une consultation électorale, en l’état actuel des choses, organisée par le système en place dans l’espoir de voir continuer le simulacre de vie politique, c’est cautionner sans conteste ce même système. Et dans l’esprit. Et dans la lettre. 

Le système politique nous montre bien sa vraie nature. Il instille un esprit de dictature. A petites doses, il se réaccapare l’espace publique, en définit les grandeurs qui doivent y figurer et celles qui doivent être exclues. En interdisant illico presto toute présence de manifestation ou de manifestants dans l’agora, il réaffirme son pouvoir et sa volonté. Cela est suffisant pour comprendre sa visée et sa finalité : son maintien au pouvoir. 

Ainsi, nous, peuple, marchant et revendiquant vendredi après vendredi, sommes désormais surveillés et punis le cas échéant si à tout hasard nous dérogeons aux directives et injonctions du pouvoir. Celui-là qui nous veut que du bien ; qui veille sur nous et qui dans son désir de nous faire rentrer dans nos foyers, pense à notre félicité et notre bonheur.

Nos corps ne sont pas à nous. Ils sont la propriété du pouvoir. Il en dispose quant il veut. S’il est d’accord, nous pouvons risquer de sortir. S’il décide qu’il n’est point toléré d’occuper l’espace public, il nous enjoint de rester chez nous, bien au chaud. Lui, le grand ordonnateur. 

Mais si nous décidons que cela n’est pas possible. Que cela n’est plus possible. Que nous avons le choix. Que nous pouvons déjouer les pronostics. Alors nous pouvons nous réapproprier nos corps. Nous pouvons les soumettre à rude épreuve. Nous pouvons nous réapproprier l’espace public. Nous réapproprier notre Algérie. 

Auteur
Said Oukaci

 




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