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Taleb Rabah : tout commence à « Radio n’Paris » 

Impérieuse culture du terroir 

Taleb Rabah : tout commence à « Radio n’Paris » 

Taleb Rabah a passé plus de 65 ans de sa vie à chanter pour le pays, la société, l’identité et l’exil. Avant d’être chanteur, il était membre actif de la Fédération de France du FLN à Paris. Il était à la fois militant politique et artistique. Il a servi la cause algérienne dès les balbutiements de la révolution. 

Le talent de Taleb Rabah a fait de lui l’un des piliers de la chanson kabyle à textes. Avant d’enregistrer son premier disque, il avait côtoyé nombre d’artistes algériens à Paris, parmi lesquels Akli Yahiatène, Salah Saâdaoui et le Tunisien Mohamed El Djamoussi.

Dda Rabah confiait avoir attrapé le virus de la chanson en écoutant Cheikh El Hasnaoui, Slimane Azem et Farid El Atrach. 

Comme la plupart des chanteurs de son époque, l’art ne suffisait pas vraiment pour qu’il puisse mener une vie décente. Pendant les années 1970, Taleb Rabah aurait ouvert une petite gargote (la rumeur dit que sa loubia était inclassable) dans les quartiers de la nouvelle ville à Tizi-Ouzou, pour arrondir des fins de mois difficiles.  Preuve, s’il en fallait, que seul leur amour pour l’art comptât aux yeux des artistes d’antan, quitte à se contenter de vivre de cet amour et d’eau fraîche.

Taleb Rabah a écrit et composé la plupart de ses chansons et laisse un répertoire de quelque 150 titres. « Ad yilli ṛebbi d-mi », dont le texte est traduit ci-après, est une description éloquente d’un père indigne qui possède tous les vices et qui se déplore le sort de son fils, celui de l’avoir comme père. 

Comme quoi, il ne s’agit pas toujours -comme les non-berbérophones ont tendance à le croire- de « ch’tih r’dih » dans la chanson Kabyle, mais souvent de pédagogie. Une pédagogie en totale opposition de phase avec l’éducation distillée par l’école fondamentale. À noter que « Ad yilli ṛebbi d-mi » est en passe d’atteindre le million de vues sur YouTube. Un record pour un succès du passé !

Rajoutons aussi que pour notre génération, avant qu’Aït Menguellet ne vienne tout rafler sur son passage, ce fut Taleb Rabah que nous admirions un peu, voire beaucoup, plus que les autres chanteurs.

Biographie et hommages posthumes

Taleb Rabaḥ naquit en 1930 à Tizit, village juché au sommet d’une colline dominant la vallée d’Ifferḥounène, du côté d’Aïn El Ḥammam. Il y vit jusqu’en 1950, avant d’entreprendre son premier périple pour la France. 

En observant un guitariste d’origine mozabite nommé « Hamid Ou M’zabi », accompagnant certaines célébrités, comme Slimane Azem et Cheikh El Hasnaoui, il s’intéresse à la musique et au chant. 

Il se lance, en 1955, en participant à l’émission d’amateurs, à Radio n’Paris, dirigée par Amraoui Meyssoum, entre autres, avant d’entamer sa carrière professionnelle. Son premier succès Ifuk zit di l-mesbah (d’nubem a Fatima) enregistré en 1959, connu un succès fulgurant dès ses premier passages à la radio. Elle restera l’une des chansons les plus populaires avant d’enchaîner des tubes qui se succèdent sans relâche pendant les années 1960. Parmi ces dizaines de succès, on peut citer : « Ay amalou », « ma tecfam », « yenza nif yenza », « louiza », « ad yilli rebbi d’mmi », « Ţnadid ɣaf eẓah-riw », « A’ţrunt wallen iw » (un hymne à la révolution, par excellence). 

Dda Rabah poursuit sa carrière jusqu’à la fin des années 1990. Une fois retraité, il se déplace régulièrement entre la France et l’Algérie, jusqu’à sa disparition en 2015. Une disparition marquée par un dernier hommage rendu par une foule si nombreuse que Le domicile familial et le cimetière du village de Tizit avaient bien du mal à contenir l’afflux d’admirateurs venus des quatre coins du pays.

Lors de cet hommage, à celui qu’on appelait respectueusement “Dda Rabah”, des représentants de villages de toute la commune d’Illiltène s’étaient mobilisés, aux côtés des jeunes de Tizit, pour canaliser la marée humaine et assurer le bon déroulement des funérailles. Des obsèques marquées par la présence de nombreuses personnalités du monde du spectacle et amis du défunt. Parmi les artistes, il y avait Lounis Aït-Menguellet, Amour Abdenour, Yasmina, Kaci Abderahmane, Zayen, Rabah Ouferhat, Kaci Boussad, Ouiza, entre autres.

Lounis Aït-Menguellet se fend d’un témoignage particulier sur Dda Rabah, un homme qu’il a toujours admiré : « Aujourd’hui, nous avons perdu l’un des piliers de notre chanson, de la culture algérienne, en général, et de la chanson kabyle, en particulier. C’est vrai qu’il va laisser un vide, mais en même temps, il a laissé une œuvre immense, et grâce à cette œuvre il continuera à vivre en nous, ce qui est en soi une consolation. Quelqu’un qui a laissé une œuvre aussi importante n’est jamais mort. On peut mourir physiquement mais spirituellement, il sera toujours avec nous ». Et Lounis Aït Menguellet de poursuivre : «Aujourd’hui c’est une autre naissance de Dda Rabah, une naissance à la spiritualité. La chanson de Dda Rabah m’a beaucoup apporté. Tout jeune, je l’admirais déjà. Donc, je peux dire que c’est quelqu’un qui a donné envie de chanter à tous les chanteurs de ma génération. C’était un modèle. Nous faisions peut-être autre chose, mais nous admirions ses œuvres, sa voix et sa musique. Il reste l’un des plus grands modèles que ma génération a connus ».

Lounis confie aussi que lorsqu’il s’était présenté en 1967 à l’émission « Icenayen uzeka », animée par Cherif Kheddam sur la chaîne II de la radio, c’est « Tir el-qafs » de Taleb Rabah qu’il avait choisi de chanter. Quand on écoute ce titre, on comprend mieux d’où Lounis a hérité de la mélancolie qui caractérise certaines de ses chansons.

Voici donc la traduction de « Ad yilli ṛebbi d-mmi » suivie de la piste audio.

« Ad yilli ṛebbi d-mmi », que Dieu conforte mon enfant

Que Dieu conforte mon enfant

En moi il est confiant

Moi son indigne parent 

Fainéantise et désœuvrement 

Veillant jusqu’au bout de la nuit

Lui s’imagine que je travaille pour lui

 

Au bar du matin au soir

Toujours attablé

Poker et dominos

L’alcool coulant à flots

Je ne m’exprime qu’en français

Oubliant mon propre parler

C’est la vie qui m’a trompé

Avec ses tours bien viciés

J’ai laissé mon cher enfant pleurer

 

Que Dieu conforte mon enfant

En moi il est confiant

Moi son indigne parent 

Fainéantise et désœuvrement 

Veillant jusqu’au bout de la nuit

Il s’imagine que je travaille pour lui

 

Quand je rentre chez moi la nuit

Tout est dans le noir plongé

La vieille ne faisant que sangloter 

Elle me tend une missive des autorités

Sur laquelle sa signature est apposée

Loyer Gaz Electricité

Préavis de sept journées

Dépêche-toi de t’en acquitter 

Sinon on t’expulse de la cité

 

Que Dieu conforte mon enfant

En moi il est confiant

Moi son indigne parent 

Fainéantise et désœuvrement 

Veillant jusqu’au bout de la nuit

Il s’imagine que je travaille pour lui

 

Un jour je suis parti travailler 

Gardien j’ai été recruté 

De la porte je ne fais que surveiller

J’ai aperçu une pure beauté

Sur ses trente-et-un elle était

De façon très chic habillée

Dans le feu de la passion je suis tombé

Dans des abysses j’ai coulé

Elle m’a fait oublier tout mon passé

 

Que Dieu conforte mon enfant

En moi il est confiant

Moi son indigne parent 

Fainéantise et désœuvrement 

Veillant jusqu’au bout de la nuit

Il s’imagine que je travaille pour lui
 

Auteur
Kacem Madani

 




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