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Tamazight langue officielle, dites-vous ?

Tamazight

On s’en doutait bien, cette histoire de tamazight langue officielle est un leurre concocté par le pouvoir pour calmer les ardeurs des Imazighen, en premier lieu les Kabyles, car soyons sérieux, quelle région d’Algérie se sent aussi concernée par le tamazight que la Kabylie ? À part, peut-être, le M’zab !?

Ainsi donc, comme à l’accoutumée, on vient de décider que le tamazight ne devait pas figurer dans les examens scolaires importants. 

Ce coup fourré n’est pas le premier en son genre. On nous le renouvelle quasiment chaque année. Jusqu’à quand perpétuera-t ’on ce grossier mensonge qui consiste à ne considérer comme officielle notre langue ancestrale sur papier et sur papier seulement ?

Il est vrai que notre langue dérange les tenants du pouvoir depuis longtemps, et ils ne manquent pas une occasion de faire sombrer dans l’humiliation, ses millions de pratiquants. 

Il ne serait pas étonnant que l’objectif des gugusses qui nous gouvernent est de casser la dynamique d’excellence scolaire affichée chaque année en Kabylie et alentours.

Quand comprendra-t-on enfin que la richesse de cette langue est telle que l’apprendre en premier à l’école est un gage de réussite et de maîtrise des autres langues ?

Mais de l’excellence généralisée qui en veut vraiment en haut lieu ? Là où règne une médiocrité hors du commun.

Du point de vue phonétique, le berbère est d’une richesse incommensurable, que ni un francophone, ni un anglophone, encore moins un arabophone, ou tout autre « lingua-phone» ne saurait appréhender avec justesse.

Ne serait-ce que pour son extrême richesse phonétique, il est impératif de préserver ce trésor inestimable. Je ne connais pas très bien le tifinagh pour me prononcer sur son aptitude à prendre en charge l’éventail des phonèmes berbères, mais je sais qu’à ce niveau l’arabe est très pauvre. Même si la langue est belle, elle ne peut rivaliser, en termes de phonologie, avec tamazight.

Petite anecdote fort à-propos : un riche Saoudien se retrouve en voiture sur une place de Londres. Ne sachant où se garer, il s’adresse à un policier : La lettre p « marbouta » ou « mazbouta » n’existant pas en arabe, la question « May I park here » se transforme en « May I bark here ? » (Puis-je aboyer ici). L’agent de sa majesté répond poliment « Suit yourself Sir ! », faites comme il vous plaît monsieur, aboyez donc ! Une petite lettre qui joue bien des tours aux saoudiens, aux pays de Shakespeare et d’Hemingway. 

Quand nous étions collégiens à Alger et que l’on nous avait, en lieu et place du virus d’obédience, inoculé celui d’une soif de savoir universel, nous fréquentions de nombreux centres culturels, parmi lesquels le centre culturel Italien de la rue Charras, le centre culturel russe, pas très loin, du côté du marché Clausel, le centre culturel Bulgare, en face de la grande poste, etc.

Chaque fois que nous nous inscrivions aux cours de langue, c’était toujours la même constatation et le même émerveillement à notre égard, de la part de nos profs : les berbérophones ont une aptitude unique à apprendre les langues. Non pas parce qu’ils seraient plus intelligents que les autres, mais tout simplement parce que le premier rempart de la prononciation est rompu avec aisance.

Constat et fascination confirmés par nos profs d’anglais aux USA. Même si nous nous faisons agresser par nos compatriotes arabophones quand nous cochions la case « Berber » au lieu de la case « Arab » sur la fiche de renseignements individuelle pour indiquer notre langue maternelle. Que de remontrances du style : « Wech ? djebtouna el-problème taâkoum hata ellahna ya-el-kbayel ? » Vous nous avez ramené votre problème jusqu’ici les Kabyles ?) N’empêche qu’au bout du compte, les notes de TOEFL (Test Of English as a Foreign Language) obtenues par les berbérophones étaient, de loin, supérieures à celles de toutes les autres composantes ethniques : sud-américains, africains, saoudiens, asiatiques, etc… À tel point que la directrice du centre de langues que nous fréquentions nous avait chargé de transmettre un message à nos responsables de Sonatrach, demandant que les étudiants algériens de l’époque soient tous envoyés en formation dans son établissement. Nous faisions augmenter le GPA (Grade-Point-Average) -sorte de moyenne globale- du centre d’un sacré facteur.

S’obstiner à vouloir diminuer l’importance de Tamazight fait partie d’un processus de destruction massif organisé. Le but de tout ce tapage est de trouver le plus court chemin pour l’appauvrir et le rendre conforme à l’inertie dont est victime la langue arabe, pour des raisons qu’il est inutile de développer ici. Arrêtons de chercher d’autres excuses ! Nous l’avons suffisamment mis en relief sur ces colonnes, le but est édicté par une volonté d’aliénation à grande échelle. Comme si ce qui est fait avec l’arabe ne suffisait pas, ils veulent s’attaquer à la sève maintenant. 

Quand j’étais collégien, au collège Sarrouy de la Casbah d’Alger, pour menacer les perturbateurs, le directeur avait toujours à ses lèvres la même leçon de morale chaque fois qu’il débarquait à l’improviste pour mettre fin au chahut d’élèves indociles : « Vous savez mes enfants, quand dans un panier de poires, il y en une de pourrie, il faut se dépêcher de l’enlever, si l’on ne veut pas courir le risque d’avarier toutes les autres. » Les perturbateurs saisissaient très vite le message, croyez-moi ! Le hic maintenant chez nous, c’est que les dégâts se sont si fortement propagés que l’on ne sait plus si le nombre de poires pourries est supérieur ou inférieur à celui des poires saines. Entamer une opération de nettoyage adéquat devient, de ce fait, bien compliqué. 

Le français est un butin de guerre, avait formulé Kateb Yacine. Le pouvoir a tout fait pour le noyer dans des abysses sans fond. Mais concernant le berbère, la donne est tout autre. Il ne s’agit plus de butin que l’on cherche à nous confisquer, mais de la sève qui coule dans nos veines que l’on s’acharne à empoisonner. 

Tout comme les langues de nombreuses autres minorités, le Tamazight est sous le joug d’un colonialisme aux allures d’ornements pacificateurs pervers. Mais en tant que patrimoine universel, il est du devoir de l’Unesco de le soutenir et d’en protéger les peuples qui le pratiquent encore. Chercher à en diminuer l’importance c’est vouloir précipiter son anéantissement pur et simple. 

Ce que le pouvoir ne sait pas, c’est que plus il use de stratagèmes lamentables pour noyer notre langue maternelle, plus il éveille les esprits d’une jeunesse avide d’irriguer ses racines. Malgré des décennies de matraquage idéologique pervers, les jeunes Amazighs savent ce qu’ils sont et connaissent leurs références historiques. Jouer au yoyo avec leur langue ne sert à rien.

D’ailleurs, qu’on nous dise comment peut-on prétendre enseigner la lointaine langue de Shakespeare sans le moindre moyen, aussi bien pédagogique que logistique, alors qu’on peine à imposer une langue incrustée dans nos gènes ?

Décidément, on massacre un pays, au vu et au su de tous, et surtout de ses impuissants habitants.

Kacem Madani

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