Dimanche 22 décembre 2019
Tebboune : faut-il désespérer ? Par Mohamed Benchicou
Abdelmadjid Tebboune. Crédit photo : Zinedine Zebar.
Dieu et les hommes en sont témoins : le nouveau président algérien ne manque ni d’enthousiasme ni d’aplomb. Ainsi soit-il ! Abdelmadjid Tebboune a ainsi fait serment, la main sur le Coran et le cœur battant, de «défendre la Constitution, de veiller à la continuité de l’Etat », formules qui n’engagent à rien et qu’on oublie généralement l’heure d’après, «d’agir en vue de la consolidation du processus démocratique » et, relisons bien, «de respecter le libre choix du peuple».
Pour un homme qui s’est cramponné à ces présidentielles au mépris des appels de ce même peuple à ne pas voter, c’est, pour le moins, cynique. Mais c’était l’époque où de brillants esprits, dont l’infatigable général-major Gaïd Salah, assuraient le bon peuple (et Poutine), que les choses étaient sous contrôle et que les Algériens allaient se diriger en foules infinies vers les urnes. Et comment douter de l’intuition de notre ami Amar Belhimer, que nous avons connu plus avisé, et qui, en sa qualité de membre dirigeant du panel de dialogue de Karim Younes, avait imprudemment affirmé, durant la quart-d’heure de gloire dudit Panel, que le peuple ‘’votera en masse ».
Manque de pot : ce peuple qui n’y connaît rien à la prospective, a boudé les urnes du général Gaid Salah et le scrutin a connu la plus faible participation de toutes les présidentielles depuis l’indépendance : 39,38 %, un chiffre significatif mais pourtant remis en cause par la contestation qui l’estime encore plus faible en réalité. Mais ne nous attardons pas sur ces sujets qui fâchent. Après tout,
Tebboune aura été précédé dans le parjure par Fakhamatouhou Bouteflika dont on se souvient qu’à sa prise de fonction, en 1999, entre une citation de Tocqueville et un éloge à Jefferson, il faisait serment de réaliser l’inimaginable : « Je suis en train de réhabiliter l’État et je suis en train de mettre l’Algérie sur les exigences de l’an 2000, c’est-à-dire une nécessaire et inévitable modernisation.»
Souhaitons, toutefois, que Tebboune nous épargne les rodomontades de son prédécesseur, des pitreries qui font autant rire que pleurer aujourd’hui.
Comment ne pas s’amuser, en effet, de cette pseudo-réforme de la justice lancée à grands coups de publicité en 1999 et qui, 20 ans plus tard, se traduit par l’incarcération de tout le personnel politique algérien ? C’est l’Etat de Bouteflika ! Mafieux, incompétent, sans stratégie… Mais nous voilà au cœur du débat : comment le reconstruire, cet État ? Bouteflika l’a démantelé pour les besoins du pouvoir absolu, mais sans pouvoir créer un autre État, fût-il « bouteflikiste ».
L’ancien État n’était sans doute pas juste, pas moderne, totalitaire, mais il avait sa cohérence, sa discipline, sa force de persuasion. Il s’appuyait sur le parti unique du FLN et sur l’hégémonie de la Sécurité militaire dont les relais étaient partout, contrôlaient tout…Les prévarications dont on parle n’auraient pu se produire. Du moins, pas à cette échelle. Si ces pillages massifs ont vu le jour, c’est parce que l’État algérien, sous Bouteflika, n’était plus qu’un ensemble de fragments de l’ancien système, des fragments orphelins, reliés faiblement à un État faible. C’est un peu la situation russe post-Eltsine.
Rappelons-nous les propos de M. Camdessus, du temps où il était à la tête du Fonds monétaire international : «Nous n’avions pas vu que le démantèlement du Parti communiste soviétique était le démantèlement de l’État soviétique. C’est plus tard que nous avions réalisé notre erreur : nous avions grandement contribué à créer le vide…» Comment combler ce vide ? l’ancien chef de l’’État cultivait l’illusion de croire qu’il pouvait remplacer à lui seul toutes les institutions qui forment l’État.
Tebboune, en supposant qu’il soit sincère, cultive, lui, l’illusion de croire qu’il est en mesure, à lui seul, de rétablir les choses avec sa seule volonté. Sans État, sans soutien populaire, sans implication des Algériens…Non, M. Tebboune, vous allez rapidement réaliser ce qu’il en coûte de mépriser la volonté populaire : vous n’êtes pas outillé pour mener les batailles que vous citez.
Il vous faudrait la puissance de la légitimité populaire ; vous ne l’avez pas. Vous devrez, tôt ou tard, composer avec des forces alternatives, parmi les oligarques, les puissances de l’argent, parmi le commandement militaire, parmi les services et la bureaucratie….
Le président pense satisfaire la jeunesse en annonçant son intention de nommer des ministres de 26-27 ans. L’intention, si elle est fondée, peut paraître louable mais dans un orchestre comme dans un gouvernement, l’âge ne fait rien à l’affaire. Le plus important est de savoir quelle symphonie on va interpréter et sous la direction de quel chef d’orchestre.
Dans les prochaines parties, nous reviendrons sur le regard de la jeunesse, sur la similitude entre Bouteflika et Tebboune et sur les raisons qui nous font dire qu’il y a des motifs de croire au changement et de ne pas désespérer.