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Tebboune, le général Nacer El Djinn et la mafia des cigarettes : une nouvelle affaire Khalifa ?

Tabac

La mafia du tabac bien introduite en haut lieu

​L’incarcération de Zoheir Khelaf, PDG adjoint de la Société de tabac algéro-émiratie (STAEM) et de l’Union Tobacco Company (UTC), dans une affaire de trafic de cigarettes aux ramifications présumées dans les hautes sphères du pouvoir, sonne comme un nouveau signal de l’instabilité chronique du système algérien.

Ce scandale, qui révèle une opacité persistante entre affaires et politique, pose une question lancinante : assiste-t-on, sous la présidence d’Abdelmadjid Tebboune, à l’émergence d’une nouvelle « affaire Khalifa », du nom de l’énorme scandale politico-financier des années 2000 ?

​L’engrenage du scandale

​Zoheir Khelaf, dont les sociétés qu’il dirige pour le compte du propriétaire majoritaire réel, l’Emirati, Ahmed Hassan Abdul-Qahar Al-Shaibani (aussi transcrit Ahmed Hussein Al-Shaibani) sont des partenariats majeurs (la STAEM fabriquant sous licence Marlboro et L&M de Philip Morris, avec une majorité de capitaux émiratis et Madar, holding publique, comme actionnaire), était un homme clé de l’industrie du tabac en Algérie. Son placement sous mandat de dépôt est intervenu avant  le  limogeage de Charaf Eddine Amara de la tête du groupe public Madar, actionnaire de la STAEM pour le compte de l’État algérien. Amara, lui-même ancien président de la Fédération algérienne de football (FAF) et proche des cercles de décision, a été, selon certaines sources, l’artisan de la cession de l’ex-SNTA à des partenaires émiratis sous l’ère Bouteflika. Ces mesures en cascade suggèrent l’ampleur d’un dossier qui dépasse largement la simple infraction économique.

​Le trafic de cigarettes, souvent lié à des réseaux de contrebande et d’évasion fiscale, est un marché parallèle juteux qui ne peut prospérer sans l’existence de complicités au sommet de l’Etat. L’ombre des hauts dignitaires du pouvoir politique et sécuritaire plane lourdement sur cette affaire, désignant un système de prédation où l’économie nationale est mise au service d’intérêts privés et mafieux.

​L’énigme Nacer El Djinn

​La dimension politique et sécuritaire du dossier s’est cristallisée autour de la figure du général Abdelkader Haddad, dit Nacer El Djinn, ex-chef de la puissante Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Sa disparition/fuite, dont on dit qu’elle est à l’origine –et la conséquence – de la divulgation du scandale de la mafia des cigarettes, a plongé le régime dans une crise sécuritaire majeure, confirmée par les vastes opérations de recherche.

La panique visible du pouvoir face à cette cavale trahit l’inquiétude que Nacer El Djinn, décrit comme une « boîte noire » du renseignement, puisse révéler des secrets compromettants sur la corruption au sommet, impliquant y compris l’entourage direct du chef de l’Etat, Abdelmadjid Tebboune et de l’état-major de l’armée.

​Sa fuite et la traque lancée pour le « faire taire » sont le révélateur d’une guerre des clans où l’élimination des rivaux prime sur la gouvernance. L’instabilité du renseignement, autrefois arbitre du système, reflète le délitement interne d’un régime qui peine à asseoir sa crédibilité.

​Le spectre de la « kleptocratie » et la question Tebboune

​L’affaire de la STAEM, par sa complexité, ses ramifications et l’implication présumée de l’élite politique et sécuritaire et des membres des familles des hauts dignitairesdu régime, rappelle les heures sombres de la « kleptocratie » et, par son impact potentiel, l’affaire Khalifa. Si le chef de l’Etat, Tebboune, a fait de la lutte contre la corruption l’un des piliers de son mandat et de son projet d' »Algérie nouvelle », ce scandale majeur vient ébranler cette posture.

​L’arrestation de Khelaf et le limogeage d’Amara pourraient être présentés comme la preuve d’une justice impartiale agissant contre la « Issaba » (la « bande »), mais le rôle central de Nacer El Djinn et la peur des révélations suggèrent une lutte de pouvoir plus qu’une purge éthique totale. Le régime se retrouve face à un dilemme : punir la corruption sans déstabiliser l’ensemble du système et sans se retrouver éclaboussé. La transparence et la gestion de cette affaire seront un test décisif pour la crédibilité du pouvoir en place et pour Abdelmadjid Tebboune lui-même, dont la promesse de rupture est mise à rude épreuve par les vieux démons de l’État algérien.

​Ce scandale est un puissant rappel que les intérêts économiques opaques, impliquant des partenaires étrangers, et les luttes intestines au sein de l’appareil sécuritaire et politique, demeurent la véritable matrice des crises algériennes.

Samia Naït Iqbal

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